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TRINITÉ. L’AFFAIRE DES DEUX DENYS


que le Fils de Dieu était une créature et qu’il y avait un temps où il n’existait pas. Il est probable que les exigences, vraies ou supposées, de la controverse ont entraîné saint Denys beaucoup plus loin qu’il ne l’aurait fallu. D’ailleurs, nous ne devons pas oublier que nous ne possédons plus le texte complet de la lettre à Ammonius et à Euphranor, mais seulement les passages les plus suspects, ceux qui ont été cités par des adversaires. Ce n’est pas dans ces conditions que nous sommes assurés de trouver ici la vraie pensée de l’évêque d’Alexandrie, du moins sa pensée entière.

2° Réplique du pape Denys. —

En tout cas, nous savons que la lettre de saint Denys fut dénoncée à Rome. Le pape, saint Denys, fut ému de sa lecture et aussitôt il envoya deux lettres à Alexandrie : l’une, privée, à l’adresse de l’évêque, lui demandait des explications ; l’autre, publique, formulait la véritable doctrine.

Saint Denys de Rome commençait par condamner le sabellianisme. Puis il ajoutait :

t Je dois m’adresser ensuite à ceux qui divisent, qui séparent, qui suppriment le dogme le plus vénérable de l’Église de Dieu, la monarchie, en trois puissances ou hypostases séparées et en trois divinités. Car j’ai appris que, parmi ceux qui, chez vous, sont catéchistes et maîtres de la doctrine divine, il y en a qui introduisent ces opinions, qui sont pour ainsi dire diamétralement opposées à la pensée de Sabellius. Son blasphème à lui, c’est de dire que le Fils est le Père et réciproquement ; mais eux prêchent en quelque façon trois dieux, divisant la sainte unité en trois hypostases étrangères entièrement séparées. Car il est nécessaire que le Verbe divin soit uni au Dieu de l’univers et il faut que l’Esprit-Saint ait en Dieu son séjour et son habitation. Et il faut de toute façon que la Sainte Trinité soit récapitulée et ramenée à un seul comme à son sommet, je veux dire le Dieu tout-puissant de l’univers, car couper et diviser la monarchie en trois principes, c’est l’enseignement de Marcion l’insensé ; c’est une doctrine diabolique, et non de ceux qui sont vraiment disciples du Christ et qui se complaisent dans les enseignements du Sauveur. Car ceux-là connaissent bien la Trinité prêchée par l’Écriture divine, mais ils savent que ni l’Ancien Testament ni le Nouveau ne prêchent trois dieux. »

Le pape expose ensuite le dogme de la génération éternelle du Fils ; puis il conclut : « Il ne faut donc pas partager en trois divinités l’admirable et divine unité, ni abaisser par ( l’idée de) production la dignité et la grandeur excellente du Seigneur, mais croire en Dieu le Père tout-puissant et au Christ Jésus son Fils et au Saint-Esprit ; et (croire que) le Verbe est uni au Dieu de l’univers. Car il a dit : « Moi et mon Père nous sommes une seule chose » et : « Je suis dans le Père et le Père « est en moi. » C’est ainsi qu’on assure la Trinité divine et en même temps la sainte prédication de la monarchie. » Cité par Athanase, De decretis Nicœnæ synodi, xxvi, P. G., t. xxv, col. 461-465.

Le document romain est des plus remarquables. Il faut, avant tout, en souligner l’allure ferme et décisive. Le pape ne discute pas ; il n’apporte pas d’autre argument que quelques textes de l’Écriture Sainte. Il affirme la doctrine traditionnelle, dont il a pleine conscience d’être le gardien autorisé. Il faut tenir cette doctrine si l’on ne veut pas être rangé au nombre des hérétiques, et il est inutile de tergiverser à ce sujet. Déjà nous avions pu remarquer, dans la formule du pape Calliste, un ton semblable d’autorité. Les décisions de Denys sont toutes marquées du même sceau.

D’autre part, saint Denys affirme avec une égale netteté la monarchie divine et la trinité. Ce sont là les deux termes semblablement assurés de la doctrine traditionnelle. L’Église a enseigné et enseigne qu’il n’y a qu’un seul Dieu, mais que le Père, le Verbe (ou le Fils) et le Saint-Esprit sont Dieu. Comment cela ? Évidemment ici réside le mystère et le pape ne cherche pas à le résoudre. Il réprouve le sabellianisme, et en cela il est fidèle à recueillir l’héritage de Calliste, mais il insiste comme de juste sur la condamnation du trithéisme et de tout ce qui lui ressemble, du subordinatianisme en particulier.

Telle est bien la tendance romaine, depuis que nous l’avons vue se manifester. Les simples fidèles, à Carthage et à Rome, au dire de Tertullien, se posaient comme les défenseurs de la monarchie. Saint Zéphyrin, saint Calliste, saint Denys leur donnent au fond raison ; et leurs déclarations appuient sur l’unité divine, plus, semble-t-il, que sur la trinité des personnes. C’est que les papes se défient des élucubrations des théologiens privés sur le Verbe et sur ses rapports avec le Père : on ne saurait oublier que ni saint Justin, ni Tertullien, ni saint Hippolyte, ni Novatien, ni Origène, n’appartiennent à la hiérarchie ; ils n’ont pas officiellement mission de sauvegarder et d’enseigner la doctrine traditionnelle ; ils ont plus de liberté pour poursuivre leurs recherches, mais ils courent aussi le risque de se tromper. Après Zéphyrin et Calliste, le pape Denys tient à sauvegarder l’unité de Dieu. Par suite, il n’accepte pas que l’on parle de trois hypostases dans la Trinité : ce mot lui paraît dangereux parce qu’il inclut une division, une séparation ; les hypostases ne sont-elles pas nécessairement étrangères l’une à l’autre et séparées l’une de l’autre ? Nous avons signalé qu’Origène n’avait pas redouté le terme litigieux. Aussi bien finira-t-il par être reçu dans l’usage courant, après explications et éclaircissements, mais il faudra de longues discussions avant qu’il en soit ainsi.

Dans la partie conservée de la lettre de saint Denys de Rome, il n’est pas fait mention de rô(i.ooumoç. Le pape n’employait-il pas ce mot ? ou bien saint Athanase a-t-il omis les lignes qui pouvaient lui être consacrées ? Nous ne le savons pas. La chose est pourtant d’importance ; car nous voudrions être fixés autant sur le sens précis de l’expression que sur son origine. On a beaucoup dit que le terme consubstantiel, appliqué à la Trinité, était de provenance romaine et il est sûr que Tertullien emploie des formules qui sont du moins très voisines, qui pourraient même être la traduction latine du mot grec, mais nous ne possédons pas de documents romains qui le contiennent et cela est regrettable. En toute hypothèse, si les adversaires de saint Denys d’Alexandrie lui reprochent de ne pas se servir du mot « consubstantiel », si l’évêque se croit obligé de répondre à ce grief et de justifier son silence, ce ne peut être que parce que le terme était dès lors entré dans l’usage courant et que, dans certaines Églises tout au moins, on le regardait comme nécessaire.

Ces Églises ne sont probablement pas à chercher en Orient. Nous avons déjà rappelé, col. 1628, que le concile d’Antioche, rassemblé contre Paul de Samosate, a rejeté l’ôfxooiiaioç, et nous verrons que le concile de Nicée témoignera de peu d’enthousiasme à l’égard d’un terme qui lui semblera insuffisamment précis. Il n’est d’ailleurs pas probable qu’Origène ait employé la formule : les témoignages que nous avons à ce sujet, même celui de Pamphile dans V Apologie, ne sont pas au-dessus de tout soupçon. Ci-dessus, col. 1641. C’est en Occident que doit être cherché le centre de diffusion du " consubstantiel » ; et, parmi les Églises d’Occident, une seule avait assez d’autorité pour proposer le mot avant même de l’imposer, l’Église romaine. Lors donc qu’on écrit, à propos de la lettre de saint Denys de Rome : « De l’ôji.ooûaioç, il ne disait rien : le mot était nouveau et, si son collègue d’Alexandrie l’évitait, le pape, lui, ne voulait pas l’adopter », on formule une conclusion que n’autorise pas l’état actuel de nos documents. Cf. J. Tixeront, La théologie anténicéenne, p. 487.