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VERSIONS. LES SEPTANTE, VALEUR
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postérieure à celle de la traduction des Septante. Cette dernière, en dépit de l’inhabileté de certains de ses auteurs, peut donc représenter un texte hébreu plus ancien et meilleur que le texte massorétique. Ce sont des cas d’espèce, à résoudre chacun pour son compte. On comprend dès lors l’intérêt que présente la reconstitution du texte primitif des Septante et les très nombreuses études, systématiquement dirigées, auxquelles il donne lieu depuis les dernières années du xixe siècle. C’est seulement quand ces travaux auront apporté tous leurs résultats, que l’on poura entreprendre une comparaison utile entre le texte hébreu et celui des Septante. La restitution de leur texte primitif se heurte, d’ailleurs, à de sérieuses difficultés, comme nous le verrons plus loin.

Quoi qu’il en soit de cette remarque générale, il est incontestable que les diverses parties de l’Ancien Testament ont été plus ou moins heureusement traduites. Ce serait la version du Pentateuque qui serait la plus réussie ; celle du Psautier est de beaucoup la plus défectueuse, le ou les traducteurs ont souvent mal compris leur texte et ont calqué systématiquement leur grec sur les mots hébreux, sans tenir le moindre compte de nuances importantes, qu’une connaissance même élémentaire de la syntaxe hébraïque aurait dû leur faire entendre. À rendre toujours et en toute hypothèse le temps perfectif de l’hébreu par l’aoriste et l’imperfectif par le futur, ils ont abouti a des contre-sens multipliés, voire à de véritables non-sens. Le malheur a voulu que ces défauts s’accentuassent encore dans le décalque latin de ce livre 1

On s’est demandé quels étaient les caractères de la langue des Septante. À ce sujet, les jugements ont été très divers. Longtemps on a parlé de langue judéo-grecque ou de grec biblique, comme s’il s’agissait là d’une sorte de dialecte spécial. L’étude du grec hellénistique, tel que nous le révèlent et les écrivains de l’époque et aussi les inscriptions, papyrus, ostraka, etc., a montré que la Bible des Septante est simplement un des monuments, et l’un des plus considérables, de la Kowyj, c’est-à-dire de ce grec courant que les conquêtes d’Alexandre avaient répandu dans toute l’Asie antérieure, en Syrie et en Egypte. Bien des particularités du vocabulaire, de la morphologie, de la syntaxe ne sont ni spécifiquement juives, ni proprement bibliques, mais appartiennent simplement à la dite Kotvrj. On ne saurait néanmoins négliger l’influence de l’original hébreu. Le souci de serrer le texte primitif, plus encore que le manque de connaissances linguistiques des traducteurs, a amené ce tour général sémitique particulièrement sensible dans certains livres historiques. Que l’on compare à ce point de vue le I er livre des Machabées, décalque d’un original sémitique, avec le IIe, abrégé d’un ouvrage composé en grec, et l’on se rendra compte que le premier n’est pas grec, tandis que l’autre l’est parfaitement.

2. Au point de vue thêoloqique.

En dépit de ses défauts, la traduction des Septante eut dès l’abord un très grand succès. Ne parlons pas seulement des milieux hellénisés de la Diaspora juive, où elle devint très vite le texte officiel, utilisé en particulier dans le culte de la Synagogue. Les chrétiens, dès le début, la reçurent des Juifs ; comme elle avait servi aux réunions synagogales, elle servit aussi aux réunions ecclésiastiques. En quoi d’ailleurs les communautés primitives ne faisaient que suivre l’exemple des apôtres. C’est le texte des Septante que citent le plus ordinairement saint Paul et les évangélistes, y compris saint Matthieu, en dépit de ses origines sémitiques. Cet usage constituait une sorte de cano nisation tacite du texte grec et devait lui valoir une révérence spéciale.

De là à considérer la Bible grecque comme participant aux privilèges du texte original, tout spécialement à celui de l’inspiration (et de l’inerrance qui en découlait), il n’y avait qu’un pas. La polémique avec les Juifs le fit aisément franchir. Ceux-ci, nous le voyons bien dans le Dialogue de Justin avec Tryphon, contestaient fréquemment l’interprétation que donnaient des textes prophétiques de l’Ancien Testament leurs adversaires chrétiens. Ils prétendaient que les oracles qui passaient pour si lumineux’aux yeux de ceux-ci ne se lisaient pas, du moins avec une égale clarté, dans leur Bible à eux. La réponse péremptoire consistait à dire que, si les textes hébraïques ne parlaient plus comme le grec, c’est qu’ils avaient été altérés plus ou moins volontairement. Le grec, au contraire, rendait au mieux le sens primitif, antérieur aux maquillages des rabbins ; aussi bien une intervention spéciale de la Providence avait mis les traducteurs à l’abri de toute erreur. De cette intervention, on trouva d’assez bonne heure la preuve dans la légende des cellules, où les traducteurs enfermés séparément, ou même deux par deux, avaient réalisé une version parfaitement identique.

Quoi qu’on ait prétendu, cette légende est en étroit rapport avec l’idée que la traduction des Septante avait été faite sous l’inspiration particulière de Dieu, tout au moins avec une assistance très spéciale. Voir les textes cités col. 2702. Tout au moins les divers auteurs qui affirment l’autorité des Septante constatent-ils l’étroit accord entre les traductions réalisées, quoi qu’il en soit des conditions matérielles où le travail a été effectué. Si Tertullien et saint Hilaire sont un peu réticents, Augustin est clair à souhait. Il se demande, dans le De docirina christiana, de quel texte de l’Écriture il faut partir. Après avoir prôné VItala, il reconnaît qu’il faut en corriger le latin par les traductions grecques. Il y en a plusieurs ; la plus autorisée pour l’Ancien Testament est celle des Septante, qui jam per omnes peritiores Ecclesias lania prwsentia sancti Spirilus inlerprelati esse dicuntur ut os unum tôt hominum fuerit. Ainsi dans les diverses Églises on est d’accord pour dire que leur travail s’est fait sous une influence du Saint-Esprit et que, dans le fait, tous ces hommes n’ont eu qu’une seule bouche. « Et si, comme on le rapporte et comme le disent beaucoup de gens tout à fait dignes de foi, ils ont fait leur travail enfermés séparément chacun dans une cellule et que, comparaison faite, il ne s’est rien trouvé dans leur texte qui différât ou pour les mots ou pour l’ordre même des mots, qui donc pourrait comparer une autre autorité à celle-ci, à plus forte raison la préférer ? Augustin se rend compte d’ailleurs que l’histoire des cellules n’est pas admise par tous et il avance prudemment une seconde hypothèse : celle d’un travail fait en commun : « S’ils ont conféré ensemble pour réaliser cette uniformité de traduction en délibérant, dans ce cas même (qui est un pis-aller aux yeux d’Augustin), il ne faut pas, il ne convient pas qu’un seul homme, quelle que soit son habileté (serait-ce Jérôme qui serait visé ?), se mêle d’amender ce en quoi sont convenus tant de vieillards et si doctes. » Mais, quand il y a une différence entre l’hébreu, certainement inspiré et le grec (inspiré lui aussi), que conclure ? Augustin répond avec assurance : « Il faut céder, je pense, à l’arrangement divin, qui a été réalisé par eux et suivant lequel les livres que les Juifs, soit religion, soit envie, dérobaient aux autres peuples, devaient être livrés, par l’intermédiaire de Ptolémée, bien avant la venue du Sauveur, aux gentils qui, un jour, croiraient en lui.