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    1. TRINITE##


TRINITE. ORIGENE

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aÙTOÔeôç, aÙToaXrjGeia, aù-roayaOéç, il y a place pour celui qui est un second Dieu et à qui conviennent seulement les qualificatifs de véritable et de bon. Est-ce à Philon qu’Origène doit cette théorie ? on l’a prétendu parfois, mais ce n’est pas très sûr. Pourquoi ne pas reconnaître qu’elle était en quelque sorte exigée par l’ensemble de son système et par sa méthode d’exégèse ?

Lorsque, par exemple Origène apprend par les Écritures que le Fils est l’image du Dieu invisible, ne sera-t-il pas amené à spéculer sur la nature de l’image qui reproduit son modèle, mais qui en diffère et qui lui est manifestement inférieure ? Saint Jérôme lui attribue cette formule : « Le Fils, image du Père invisible, comparé au Père n’est pas la vérité ; par rapport à nous, qui sommes incapables de recevoir la vérité du Père, il est comme l’image de la vérité. » Nous voudrions savoir si Jérôme traduit textuellement la phrase d’Origène ou s’il la commente, et nous pouvons hésiter d’autant plus que, petit à petit, on finit par attribuer au maître d’Alexandrie les paroles suivantes, qui sont certainement un faux : « Par rapport à nous, le Fils de Dieu est vérité ; par rapport au Père, il est mensonge. » En toute hypothèse, la doctrine de l’image devait amener Origène à déclarer que le Fils de Dieu n’était pas la vérité en elle-même, ce qui est la caractéristique exclusive du Père.

Ailleurs, Origène explique de la même façon que l’action des personnes divines est différente selon le rang qu’elles occupent : « Examinons pourquoi celui qui est régénéré dans le baptême a besoin pour être sauvé du concours de la Trinité tout entière et ne saurait devenir participant du Père et du Fils sans le Saint-Esprit. II nous faut pour cela décrire l’opération spéciale du Saint-Esprit comme aussi celle du Père et du Fils. Je pense que Dieu le Père, embrassant toutes choses, atteint chacun des êtres et que, comme il est l’Être, il leur donne à tous d’être. Inférieur au Père est le Fils, dont l’action s’étend aux seuls êtres raisonnables, car il vient au second rang après le Père. Inférieur encore est le Saint-Esprit dont l’action n’atteint que les saints. Ainsi, à ce point de vue, plus grande est la puissance du Père par rapport au Fils et au Saint-Esprit ; plus grande est celle du Fils, par rapport au Saint-Esprit. » De princ, I, iii, 5, P. G., t. xt.col. 150 ; Kœtschau, p. 54-56.

A un autre endroit, Origène se pose le problème de la prière. À qui, se demande-t-il, doivent s’adresser nos prières ? « Si nous entendons ce qu’est l’oraison, peut-être verrons-nous qu’il ne faut prier ainsi aucun être produit, et pas même le Christ, mais seulement le Dieu de l’univers et le Père, que notre Sauveur lui-même priait et qu’il nous enseigne à prier… En effet, si le Fils est distinct du Père par l’essence et le suppôt, il faut prier ou bien le Fils et non le Père, ou bien tous les deux, ou bien le Père seul. Prier le Fils et non le Père, tout le monde conviendra que ce serait faire une chose absurde et aller contre l’évidence. Si nous prions les deux, il faudra, dans nos prières, dire au pluriel : « Donnez, faites, accordez, sauvez, et ainsi de suite » : ce sont des formules choquantes et que nul ne pourrait trouver dans l’Écriture. Il reste donc qu’il ne faut prier que Dieu, le Père de l’univers, mais sans le séparer toutefois du grandprêtre qui a été établi avec serment par le Père, selon qu’il est écrit. » De orat., xv, 1.

La conclusion est claire : il ne faut pas prier le Christ, mais seulement le Père par le Fils qui a été établi comme médiateur.

On pourrait sans peine multiplier les citations : « Le Christ est la vie, mais celui qui est plus grand que le Christ est plus grand que la vie. » In Joan., XIII, iii, 19. « Autant Dieu, le Père de la vérité, est plus grand et plus haut que la vérité et, étant le Père de la sagesse, supérieur à la sagesse et au-dessus d’elle, autant i ! dépasse la lumière véritable. » Ibid., II, xxiii, 151. « Ne faut-il pas dire que le Monogène et le premier-né

de toute créature est l’essence des essences et l’idée des idées et le principe, et que son Père et Dieu est audelà de tout cela ? > Conl. Cels., VI, G4.

Dans l’Évangile, Jésus refuse pour lui la qualification de bon et déclare que Dieu seul est bon. Origène s’empare de cette déclaration pour mettre en relief la supériorité du Père sur le Fils : « Le Père est bon : le Sauveur est l’image de sa bonté. » In Joan., VI, lvii, 295. « Il est l’image de sa bonté et le reflet, non pas de Dieu, mais de la gloire de Dieu et de sa lumière éternelle, et la vapeur, non pas du Père mais de sa puissance, et l’épanchement pur de sa gloire toute-puissante et le miroir de son énergie. » Ibid., XIII, xxv, 151-153. « La volonté, qui est en lui, est l’image de la volonté première et la divinité, qui est en lui, est l’image de la divinité véritable ; et, étant l’image delà bonté du Père, il dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? » Ibid., XIII, xxxvi, 234. « Il devait donc prier pour la résurrection de Lazare et le Père, le Dieu qui est le seul bon, prévint sa prière. » Ibid., XXVIII, vi, 42.

On voit, dans ces derniers textes, l’influence que l’Écriture a pu exercer sur l’esprit du maître alexandrin. N’est-ce pas en partie parce qu’il se trouve en présence d’une formule scripturaire à expliquer qu’Origène est amené à mettre en relief la subordination du Fils de Dieu ? Pourtant il y a autre chose et l’on ne saurait guère hésiter à voir dans cette idée un des principes philosophiques qui guident le plus fortement l’esprit d’Origène. La transcendance de Dieu est, pour lui, une vérité incontestable ; Dieu transcendant et unique a besoin, en quelque sorte, du Verbe pour entrer en rapport avec le monde. Sans doute le Verbe n’appartient pas à la catégorie du créé ; il est Dieu d’une certaine manière, ou tout au moins divin. Mais il n’est pas placé sur le même rang que le Père.

Certains passages rendent même un son plus inquiétant encore. Origène ne dit-il pas que le progrès de l’âme mystique ne doit pas s’arrêter au Christ mais atteindre le Père lui-même ? S’il en est ainsi, on ne voit plus quel serait le rôle du Sauveur, puisqu’il deviendrait possible de se passer de lui : « Vous pouvez vous demander s’il arrivera un temps où les anges verront par eux-mêmes ce qui est dans le Père et ne le regarderont plus à travers un intermédiaire et un serviteur : lorsque celui qui voit le Fils voit le Père qui l’a envoyé, on voit dans le Fils le Père ; mais quand on verra comme le Fils voit le Père et ce qui est dans le Père, on aura pour ainsi dire comme le Fils la vision immédiate du Père et de ce qui est dans le Père, sans avoir besoin de concevoir par l’image ce que l’image représente. Et je pense que cela c’est la fin, quand le Fils remettra la royauté à Dieu, au Père, quand Dieu sera tout en tous. » In Joan., XX, vii, 47. Il n’y a pourtant pas lieu d’épiloguer sur des passages de ce genre. Ici surtout, on se rend compte du rôle prépondérant joué par un texte scripturaire dont l’interprétation est difficile. Origène doit expliquer ce texte ; et, se trouvant embarrassé pour le faire, il propose un commentaire à titre d’hypothèse. Il donne l’impression d’être le premier à reconnaître la fragilité de son exégèse et d’attendre, de solliciter même une explication plus satisfaisante.

On a essayé parfois d’étendre la même indulgence à la plupart des textes subordinatiens d’Origène. « On n’appuiera pas sur eux, écrit par exemple J. Tixeront, un jugement trop sévère pour l’orthodoxie trinitaire d’Origène, si l’on remarque que plusieurs peuvent très bien s’expliquer, et sans beaucoup d’efforts, d’une façon acceptable ; que l’incorrection des autres vient plutôt de termes employés qu’elle ne tient à la pensée de l’auteur ; qu’il est juste enfin, dans le doute, de le faire bénéficier de ses déclarations fermes et précises, formulées ailleurs… Ajoutons qu’il s’est plaint lui-