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VERBE. ORIGINES DU TERME

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et le Père est en lui. x, 37, 38. Ainsi, tout en affirmant la même vérité que les autres, saint Jean, dans un langage plus précis, met en relief l’unité du Père et du Fils dans l’action comme dans l’être : « Mon Père et moi, nous sommes un ». x, 30.

p) Le Logos, cause exemplaire. — L’exemplarisme est une doctrine bien philonienne. Pour Philon, les puissances sont des idées conçues par Dieu avant la formation du monde. Le Logos est l’ensemble de ces idées ; il en est le lieu, De somniis, i, 42 (Mangey, t. i, p. 630) ; il est le « monde intelligible ». De opiflcio mundi, 24, 25 (ibid., p. 6). Il est comme le livre « où Dieu a écrit et gravé la constitution de tous les autres êtres ». Leg. alleg., i, 19 (p. 47). De là à concevoir le Logos comme l’image à la fois de Dieu et du monde, il n’y a qu’un pas. Par rapport à Dieu, le Logos est « l’empreinte de son cachet ». De plantatione, 18 (p. 332) ; cf. De somniis, ii, 45 (p. 655) ; il est l’image ou l’ombre de Dieu, De fuga, 101 (p. 561) ; De confusione linguarum, 147 (p. 427). Par rapport au monde créé, le Logos marque de son empreinte (xapax-oip) l’âme humaine qui en est ainsi l’image, le reflet, De opif. mundi, 146 (p. 35) ; cf. De spec. legibus, iv, 123 (t. ii, p. 356) ; Quod deterius potiori insidiari solet, 83 (t. i, p. 207). Le monde lui-même a été marqué de cette empreinte, De somniis, ii, 45 (p. 665) et lui aussi est l’ombre de Dieu, Leg. alleg., iii, 102 (p. 107). Les sept jours de la création reçoivent ainsi une interprétation exemplariste relativement au Logos, De Decalogo, 101 (t. ii, p. 197). Le nombre sept lui-même manifeste le démiurge et le père de l’univers ; en lui, comme en un miroir, l’âme aperçoit Dieu agissant, créant, gouvernant le monde. Ibid., 105 (p. 198). Sur le nombre sept dans Philon, voir B. Allô, L’Apocalypse (3e édit.), Paris, 1933, p. xlii.

Quand l’épître aux Hébreux, s’inspirant de Sap., vu, 26, énonce que le Fils est « le rayonnement de la gloire du Père et l’empreinte de sa substance », Heb., i, 3 ; cf. Col., i, 15, elle présente bien, par rapport à Philon, une coïncidence partielle de terminologie. Deux différences séparent néanmoins les doctrines. Tout d’abord, l’exemplarisme de Philon n’existe que dans un monde d’abstractions et va jusqu’à s’appliquer au nombre sept ; dans l’épître aux Hébreux, le rayonnement et l’empreinte sont une réalité concrète et vivante, Jésus-Christ, qu’il est impossible d’identifier à un être purement idéal. Ensuite, le Logos, image et modèle des autres êtres, n’est, par rapport à Dieu, qu’une représentation imparfaite ; dans l’épître aux Hébreux, le Fils n’est pas une image imparfaite de Dieu ni un sujet secondaire de contemplation religieuse.

Quant au Verbe, saint Jean ne s’arrête pas aux formules de saint Paul. Entre le Verbe et le Père, il y a une ressemblance parfaite qui s’affirme dans l’identité de nature : « Qui me voit, voit mon Père ». Joa., xiv, 19 ; cf. xvii, 2. Mais en même temps, l’évangéliste affirme la dépendance du Fils par rapport au Père ; voir Fils de Dieu, col. 2396-2397, ainsi que la personnalité préexistante du Verbe en Dieu avant l’incarnation. Tout le début du prologue témoigne de cette doctrine.

La conception d’un Verbe, cause exemplaire du monde, n’apparaît guère dans le IVe évangile. C’est en ponctuant le t. 4 comme l’a fait toute l’antiquité, que les théologiens ont pu appuyer sur le texte johannique la doctrine du Verbe exemplaire des créatures. Voir col. 2641. Mais il sont soin de préciser que cet exemplarisme convient en toute vérité à l’essence divine et qu’on le rapporte au Verbe par appropriation pure. Cf. S. Thomas, Cont. Genl., t. IV, c. xiii. Quoi qu’il en soit, même avec cette

interprétation exemplariste, la même opposition demeure entre la doctrine johannique et la conception philonienne. Le Verbe est Dieu ; il est l’image de Dieu par identité de nature en vertu de sa procession selon l’intelligence et, s’il est dit cause exemplaire des créatures, c’est uniquement « en tant que les choses faites par Dieu préexistent de toute éternité dans le Verbe, immatériellement et sans aucune composition ; elles ne sont dans le Verbe que le Verbe lui-même, qui est Vie ». Id., loc. cit.

Conclusion. — Loin de pouvoir se réduire au Logos impersonnel de Philon, le Verbe de saint Jean et de la foi catholique apparaît comme une personne réelle, vivante, concrète, en Jésus-Christ, lequel, au cours de tout l’évangile, se fait le révélateur des mystères de la vie divine. Cf. Joa., i, 10. Combien différente est la connaissance que le Logos de Philon peut apporter d’un Dieu, dont il n’est qu’une ombre, qu’une image, une empreinte I

Les rapprochements possibles entre la doctrine révélée et la conception philonienne aboutissent à la constatation de coïncidences plus verbales que réelles. Certaines idées — tel l’exemplarisme ou l’allégorisme — étaient diffuses dans le judaïsme hellénistique. Elles ont agi sur la théologie de saint Paul, mais leur action a été moindre sur celle de saint Jean, chez qui la doctrine du Verbe, renouvelée par la connaissance expérimentale qu’il en avait eue (cf. I Joa., i, 1), s’inspire plutôt de la doctrine de la Sagesse sur la Parole et relève à la fois de la tradition biblique et d’une nouvelle révélation.

Il ne faudrait donc pas considérer le prologue et sa terminologie comme une réfutation directe et voulue de quelque hérésie naissante, gnosticisme, docétisme, ébionisme, hérésies très réelles, qui trouvent d’ailleurs dans l’évangile de Jean tout entier leur réfutation implicite. Ce n’est pas non plus un moyen d’exalter Jésus-Christ au-dessus du Précurseur, comme l’a voulu prétendre Baldensperger, Der Prolog des vierten Evangeliums, Fribourg-en-B., 1898. Enfin, l’emploi du mot Logos n’est pas la christianisation _ d’un terme de philosophie plus ou moins païenne, destinée à attirer à la foi naissante les Gentils cultivés. Voir ici Philon le Juif, t.xii, col. 1452-1453, et Lagrange, Évangile selon saint Jean, p. clxxvii. Avec le P. Vosté, nous admettons volontiers que c’est sous l’influence d’une inspiration divine spéciale et en se remémorant les révélations entendues des lèvres mêmes de Jésus sur sa personne, que Jean, se rappelant l’usage biblique du mot Logos, eut l’idée d’y recourir pour désigner le Verbe incarné.

Depuis la publication de l’art. Fils de Dieu, la bibliographie concernant les rapports du quatrième évangile et du Logos alexandrin s’est quelque peu enrichie.

1° Le premier volume de l’Histoire du dogme de la Trinité du P. Lebreton a eu, en 1927, une nouvelle édition très amplifiée. Le Logos y fait l’objet de plusieurs études. Se rapportent aux exposés précédents : Les origines, p. 56 sq. ; La conception stoïcienne, p. 61, sq. ; La conception alexandrine et platonicienne, p. 74-84 ; La Sagesse (dans l’A. T.), p. 122 sq. ; La Parole, p. 131-133 ; La Sagesse (du judaïsme palestinien), p. 160 ; La Parole ou Memra, p. 162 ; La Shekina, p. 165-168. Dans le judaïsme alexandrin et tout particulièrement chez Philon, Les puissances, p. 198 ; Le Logos, p. 209-251. Le reste du volume est consacré à la révélation du dogme de la Trinité dans le Nouveau Testament, le c. vi L’Évangile de saint Jean, p. 474-540 est à consulter tout spécialement. Voir également les notes G et J ; La doctrine du Logos chez Philon et la doctrine du Fils dans l’épître aux Hébreux, p. 616-627 ; La doctrine du Logos chez Philon et chez saint Jean. Une table des textes de Philon.

2° Outre l’Évangile selon saint Jean, du P. Lagrange, Paris, 1928, p. clxxih sq. et 28-34, du même auteur dans