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VERBE. ORIGINES DU TERME

(ἀγένητος) comme Dieu, ni produit (γενητός) comme les créatures, « mais, dit-il lui-même, intermédiaire entre ces deux extrêmes, je suis pour tous deux comme un otage ». Ibid., 206, p. 502 Cf. Lebreton, ἈΓΕΝΝΗΤΟΣ, dans Histoire du dogme de la Trinité, T. II, Paris, 1928, note C, p. 610-642.

Il est donc impossible d’identifier le Logos philonien et Dieu, si du moins on entend Dieu au sens strict du mot, comme Philon l’entendait certainement. Voir De somniis, i, 228-230 (p. 655) et la note que lui consacre Lagrange, op. cit., p. 3. Toutefois, trois ou quatre passages de Philon semblent attribuer au Logos une sorte de divinité dérivée, improprement dite. Voir Fils de Dieu, t. v, col. 2385-2386 ; J. Lebreton, Hist. du dogme de la Trinité, t. i, p. 237-242.

Quelle réalité accorder à cet intermédiaire ? Personne ou force abstraite ? La pensée de Philon est difficile à saisir et ses interprètes sont en désaccord. Tantôt le Logos est représenté avec un caractère personnel : grand-prêtre, intercesseur, ange, otage ; tantôt des textes plus nombreux et plus caractéristiques semblent en faire une force impersonnelle. Faut-il admettre que Philon a professé inconsciemment deux opinions inconciliables, affirmant à côté du Logos impersonnel des stoïciens un Logos personnel d’origine juive ou alexandrine ? Une telle contradiction n’aurait rien d’étonnant chez un philosophe de cette époque.

Beaucoup d’auteurs acceptent ce dualisme chez Philon : Zeller, Die Philosophie der Griechen, Leipzig, 1923, t. v, p. 379 ; Heinze, Die Lehre vom Logos in der griechischen Philosophie, Oldenbourg, 1872, p. 294 ; A. Aall, Geschichte der Logosidee in der griechischen Philosophie, Leipzig, 1896, p. 213 ; J. Réville, Le Logos d’après Philon d’Alexandrie, Genève, 1877, p. 61 ; H. Soulier, La doctrine du Logos chez Philon d’Alexandrie, Turin, 1876, p. 158.

D’autres pensent qu’il est possible de ramener la doctrine de Philon à l’unité ; cf. Fils de Dieu, col. 2386. — É. Bréhier ne voit dans le Logos qu’une conception mythologique, sans personnalité réelle : Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, Paris, 1908, p. 111. D’autres n’ont trouvé dans la personnification du Logos qu’une simple figure de langage, une accommodation exégétique : Dorner, Entwicklungsgeschichte der Lehre von der Person Christi, t. i, Berlin, 1846, p. 33 ; J. Drummond, Philo Judæus or the Jewinsh-Alexandrian philosophy in its developpment and completion, Londres, 1888, t. II, p. 225, dont les arguments ont été résumés et les conclusions reproduites par Grill, Untersuchungen tiber die Entstehung des vierten Evangeliums, Tubingue, 1902, p. 140 sq. — Le P. Lagrange, par contre, croit reconnaître chez Philon un Logos personnellement distinct du Dieu supérieur. Le Logos de Philon, dans Revue Biblique, 1923, p. 321-371. Voir la discussion de cette interprétation dans le Bulletin d’histoire des origines chrétiennes des Recherches de science religieuse 1926, p. 324-328. — Tout en déniant au Logos philonien une personnalité distincte, le P. Lebreton se refuse à ne voir dans les personnifications philoniennes du Logos que de simples figures de langage ; et il les justifie par des influences philosophiques et mythologiques. Op. cit., p. 247-248. Voir aussi Fils de Dieu, col. 2386.

b) Le Verbe de saint Jean.

Sur les deux points essentiels de la doctrine philonienne : caractère d’intermédiaire, ni Dieu ni créature, prêté au Logos et absence de personnalité vivante et consistante, la pensée de saint Jean apparaît en contradiction absolue avec l’enseignement de Philon. Sans doute, saint Jean conçoit le Verbe comme un intermédiaire entre Dieu et l’homme, mais un intermédiaire qui, d’une part, est égal et consubstantiel à Dieu et, d’autre part, est homme parfait. Affirmation impossible à concilier avec la notion philonienne d’intermédiaire et qui ne trouve sa réalisation que dans le dogme chrétien de l’incarnation, le Verbe étant et demeurant Dieu, mais se faisant chair, c’est-à-dire s’unissant la nature humaine.

Le Logos philonien a été conçu pour jouer un rôle de médiateur ou plutôt d’intermédiaire entre Dieu et l’homme ; pour cela, on l’imagine si grand qu’il puisse remplir la distance infinie qui sépare ces deux termes et les toucher l’un et l’autre comme dit Philon, « par leurs extrémités » . Mais ce n’est là qu’une imagination et qui voile mal la contradiction inhérente au système : si cette distance est infinie, quel intermédiaire pourra la combler ? S’il est Dieu, il nous est, lui aussi, inaccessible ; s’il n’est qu’une créature, Dieu reste en dehors de ses atteintes… En face de lui, le Christ Jésus apparaît dans la pleine lumière de sa personnalité vivante, unissant dans l’unité de sa personne ces deux termes si distants et si séparés : il est cet homme, le Christ Jésus, et il est le Dieu béni dans tous les siècles.

Le Logos philonien ne se définit que par des négations qui effacent en lui tous les traits de ces êtres qu’il doit unir ; la foi chrétienne les confesse en lui les unes et les autres ; il est « incréé » et « créé » . J. Lebreton, op. cit., p. 249-250.

2. Comparaisons particulières.

Les traits de ressemblances, plus verbales que réelles, qu’on peut trouver entre le philonisme et la doctrine néotestamentaire ont été minutieusement établis et discutés dans deux notes substantielles du P. Lebreton, op. cit., t. i, notes G et J : La doctrine du logos chez Philon et la doctrine du Fils dans l’épître aux Hébreux, p. 616-627 ; La doctrine du logos chez Philon et chez saint Jean, p. 636-644. On voudra bien s’y reporter.

Le caractère plus spécial de cet article nous oblige à condenser nos remarques autour de trois points où la doctrine chrétienne est plus directement en cause : le terme même de Logos (Joa., i, 1) ; le « monogène » (Joa., i, 14, 18) ; le rôle du Verbe dans la création (Joa., i, 4-5, 10).

a) Le terme Logos.

Le terme Logos, commun aux deux doctrines ne peut s’expliquer, chez saint Jean, uniquement par des influences juives palestiniennes. Le souvenir de la « Parole » , même personnifiée par les prophètes et les psalmistes, ne pouvait suggérer à Jean l’emploi du nom personnel de Verbe. La Memra, nous l’avons vu, n’a pu avoir qu’une influence moindre encore. La doctrine du Verbe a un tout autre caractère : elle exprime la foi de la première génération chrétienne en la personne du Christ en deux natures, divine et humaine. Or, saint Jean n’a pas inventé cette foi ; il lui a donné seulement une forme nouvelle, en appelant le Fils de Dieu fait homme, le Verbe fait chair.

Cette forme nouvelle semble avoir été préparée par d’autres écrits apostoliques, ceux notamment de saint Paul, qui donne déjà au Fils des qualifications où se reflète une influence alexandrine. Le Christ est « puissance et sagesse de Dieu » , I Cor., i, 24 ; « image de Dieu » . II Cor., iv, 4. L’épître aux Colossiens, i, 15-17, reprend la même figure en l’amplifiant et en la complétant : « Il est l’image du Dieu invisible, né avant toute créature, car c’est en lui que toutes choses ont été créées… ; tout a été créé par lui et pour lui. Il est, lui, avant toutes choses et toutes choses subsistent en lui. » Cf. I Cor., viii, 6. Mais c’est surtout dans l’épître aux Hébreux que ces formules sont le plus nettement accusées : « Dieu nous a parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par lequel il a aussi créé le monde, ce (Fils) qui est le rayonnement de sa gloire et l’empreinte de sa substance et qui soutient toutes choses par sa puissante parole. » i, 2-3. Ces métaphores et ces conceptions ont été introduites par saint Paul dans le Nouveau Testament probablement sous une influence alexandrine. Est-ce l’influence d’Apollo, cf. Act., xviii, 24, ou faut-il admettre une influence