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VERBE. LES TEXTES JOHANNIQUES

De là à donner au Verbe, par attribution, le rôle de cause exemplaire, il n’y a qu’un pas. Ce pas est franchi facilement si l’on accepte une des manières de ponctuer les ꝟ. 3 et 4. Ces versets ont été, en effet, coupés de diverses façons : le P. Lebreton relate quatre leçons ; op. cit., note I, p. 532-536. Deux surtout sont à retenir. La leçon la plus ancienne coupe ainsi la phrase : « Rien ne s’est fait sans lui. Ce qui s’est fait était vie en lui » (Tatien, S. Théophile, S. Irénée, Tertullien, S. Athanase, S. Cyrille d’Alexandrie, S. Augustin, S. Thomas d’Aquin). Au témoignage de Maldonat, cette leçon était encore à son époque, bien que personnellement il ne l’admît pas, la formule usuelle ; aujourd’hui elle a encore les préférences de Westcott-Hort, Loisy, van Hoonacker, Calmes, Vogels, von Soden, de Grandmaison. L’autre leçon est conforme à la ponctuation de notre Vulgate : « Sans lui rien n’a été fait de ce qui a été fait. En lui était la vie ». Cette lecture apparaît pour la première fois chez Alexandre d’Alexandrie, puis chez Didyme, Épiphane, Jean Chrysostome, Jérôme. Les partisans de cette leçon, au dire de saint Ambroise, sont Alexandrini et Ægyptii, et plus généralement plerique (traduire : plusieurs) docti et fidèles, In ps. xxxvi, n. 35, P. L., t. xiv, col. 984 B ; De fide, l. III, n. 43, t. xvi, col. 622 C. De nos jours encore, d’excellents critiques la considèrent comme la seule recevable : Tischendorf, Nestlé, Knabenbauer, J.-H. Holtzmann, Grill, Zahn, Harnack, Lagrange, Lebreton, Vosté, Durand, etc. Pour soutenir l’interprétation de saint Augustin, estime le P. Lebreton, il faut « prêter à l’évangéliste une conception exemplariste, dont on ne trouve chez lui aucune trace certaine ; il faut ici entendre le Verbe non plus comme la Parole de Dieu, mais comme le modèle idéal que Dieu a conçu ; il faut enfin interpréter la « vie » dans un sens qu’on ne retrouvera plus dans tout le reste de l’évangile. » Op. cit., p. 533. L’autre leçon serait donc plus conforme au contexte. Le ꝟ. 4 s’enchaîne alors aux précédents d’une façon plus logique. On comprend mieux que dans le Verbe est la source de vie et de lumière qui, par l’incarnation, doit se répandre sur les hommes : « Dieu nous a donné la vie éternelle et cette vie est dans son Fils. » I Joa., v, 11. Mais, par ailleurs, le ꝟ. 3 présente alors un pléonasme, assez difficile à légitimer.

c) Le Verbe et les hommes.

Vie et lumière expriment donc la puissance d’expansion du Verbe sur les hommes : « En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. » ꝟ. 4. Tout l’évangile sera le développement de cette pensée : le Christ est apparu a saint Jean comme une source de vie spirituelle. Doctrine essentielle au christianisme, qu’on trouve déjà esquissée dans les Synoptiques ; cf. Matth., x, 30 ; xxiv, 46 ; Marc, ix, 35 ; x, 30 ; Luc, xxi, 19. Saint Pierre avait confessé le Christ comme « le Fils du Dieu vivant », Matth., xvi, 16 ; il le nomme aussi « l’auteur de la vie », Act., iii, 15. Saint Paul surtout montre dans le Christ la source unique de vie pour les hommes. Rom., v, 21 ; vi, 4-5, 10, 11 ; I Cor., xv, 45 (le dernier Adam, esprit vivifiant) : Gal., ii, 20 ; Eph., ii, 4-10 ; Col., iii, 3-4. Cette idée est à la base de la doctrine paulinienne du corps mystique. Or, cette même conception de la vie communiquée à l’âme fidèle par le Christ est au centre le l’évangile Johannique. Cf. J.-B. ». Frey, Le concept de vie dans l’évangile de saint Jean, dans Biblica, t. i, 1920, p. 37-38 ; 218-239.

C’est dans l’éternité de sa préexistence que le prologue proclame le Verbe principe de vie : « En lui était la vie ». ꝟ. 4. Plus tard, Jésus redira : « Je suis la résurrection et la vie », Joa., xi, 25 ; et encore « le suis la voie, la vérité et la vie », xiv, 6. L’allégorie de la vigne, xv, 1-17, rejoint l’enseignement paulinien du corps mystique. À la Cène, Jésus demande à son Père de garder ses disciples et tous ceux qui croiront en lui dans la même unité de vie, « pour qu’ils soient tous un en nous… et que je sois, moi aussi, en eux ». xvii, 21, 26. Mais dans la promesse de l’eucharistie s’affirme d’une manière encore plus profonde l’action vivifiante de Jésus, et pour la vie présente, et pour l’au-delà. Cf. vi, 33, 39, 41, 50-51, 54 : « Je suis le pain vivant… Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement… »

La lumière est intimement unie à la vie : « La vie était la lumière des hommes ». ꝟ. 4. L’action du principe de vie s’affirme d’abord par la lumière. Et Jésus dira plus tard : « Celui qui me suit aura la lumière de vie », viii, 12 ; et encore : « Je suis la lumière du monde », ibid. ; cf. xii, 46. L’union de la vie et de la lumière est déjà dans la tradition juive : la colonne de lumière qui guide Israël ; les éclairs du mont Sinaï ; Dieu, lui-même, lumière d’Israël, Is., x, 17 ; lx, 19-20 ; Michée, vii, 8 ; Ps., iv, 7 ; xxvii (xxvi), 1, etc. Reprenant la prophétie d’Isaïe, xlix, 6, Siméon salue en Jésus « la lumière pour la révélation des nations ». Luc, ii, 32. Et les manifestations de la gloire de Jésus se font dans la lumière. Matth., xvii, 2 ; Apoc, i, 16 ; xxi, 23 ; Act., ix, 3.

Dans le prologue, la lumière du Verbe n’est pas autre chose que la manifestation de la vérité révélée par le Christ. Cette connexion entre la lumière et la vérité est affirmée à maintes reprises par saint Jean : iii, 21 ; I Joa., i, 8, cf. i, 7 ; ii, 4, cf. ii, 10 ; Jésus est lumière parce qu’il est vérité. L’action de la lumière sur les âmes est rendue plus saisissante par l’opposition qu’établit Jean entre la lumière et les ténèbres » : « Et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise (ou ne l’ont point arrêtée), ꝟ. 5. La lumière est la vie et la vérité ; les ténèbres, c’est la mort, c’est l’aveuglement de l’esprit et l’esclavage du démon prince des ténèbres. La prédication de saint Paul connaît cette opposition, Eph., v, 8, 14 ; I Cor., iv, 5 ; I Thess., v, 5. Chez saint Jean, la même opposition s’affirme avec d’autant plus d’éclat que l’enseignement part de Jésus lui-même. Jésus est venu dans le monde comme une lumière. Joa., xii, 46. Ceux qui croient à la lumière deviennent enfants de lumière, xii, 36 ; cf. xii, 46 ; xi, 10 ; viii, 12 ; I Joa., ii, 10. Saint Jean résume ainsi tout l’enseignement de Jésus : « Le message qu’il nous a fait entendre et que nous vous annonçons à notre tour, c’est que Dieu est lumière et qu’il n’y a point en lui de ténèbres. Si nous disons que nous sommes en communion avec lui et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons et nous ne pratiquons pas la vérité Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres et le sang de Jésus… nous purifie de tout péché. I Joa., i, 5-7. Les hommes qui s’attachent aux œuvres mauvaises préfèrent les ténèbres a la lumière et ne comprennent pas la lumière venue en ce monde. Joa., iii, 19-21. N’est-ce pas l’affirmation du prologue : « Les ténèbres ne l’ont point comprise » ? ꝟ. 5.

2. La manifestation du Verbe.

Cette manifestation est décrite sous trois aspects : le témoignage du Précurseur ; le mystère même de l’incarnation et les effets de ce mystère sur nous.

a) Témoignage de Jean-Baptiste.

La personnalité de Jean-Baptiste résume les manifestations encore voilées de l’Ancien Testament, prophéties et théophanies, préparant les esprits à la venue du Verbe, Cf. Matth., iii, 1-3 ; Marc., i, 2-4 ; Luc., iii, 3-6 ; Joa., viii, 50 ; xii. 41. Jean-Baptiste annonce le Messie, mais il doit s’effacer devant lui. Joa., iii. 27. Aussi, dès