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VENTURA (JOACHIM)


phique…, p. l. C’était beaucoup leur demander, trop sans doute, puisqu’il ne s’agissait de rien de moins que de la soumission passive à une tradition : « Si l’on sépare, dans les livres des anciens philosophes, ce qu’ils ont puisé, comme s’exprime saint Augustin, « aux mines » des traditions universelles », si l’on ôte les vérités qu’ils ont empruntées au peuple qui les connaissait avant eux et mieux qu’eux, ce qui reste dans ces livres n’est qu’un ignoble fatras de systèmes absurdes. .. » Loc. cit., p. li ; cf. p. lvii. Le mot « traditions universelles » qui vient sous la plume de Ventura ne se lit pas dans saint Augustin, qui parle de metallis divinæ Providentise quæ ubique prsesens est. De doct. christ., t. II, c. lx. De même les citations scripturaires dont il étaie son système, I Reg., ii, 3 et II Cor., iv, 6, ne prouvent pas « que la raison humaine, en s’isolant des traditions et des croyances universelles, ne soit jamais parvenue à la connaissance pure, précise et certaine de la vérité ». Loc. cit. Sur le système général, voir l’art. Traditionalisme. Trois ans après ces conférences du P. Ventura, la Congrégation de l’Index faisait signer à M. Bonnetty quatre thèses affirmant la capacité de la raison humaine à démontrer l’existence de Dieu, la spiritualité et la liberté de l’âme.

2° Mais il est une thèse particulière, inaugurée par de Bonald et que Ventura présente d’une façon plus habile ; c’est celle de la révélation implicitée dans le langage. Il ne s’agit pas de l’origine du langage, comme chez Locke, Condillac, Gerdil ou J. de Maistre ; mais bien du rôle permanent du langage dans l’élaboration des idées morales. La théorie du grand orateur, qui se faisait un palladium de la Somme théologique, est, sinon bien solide, du moins assez ingénieuse pour mériter d’être examinée de près. Elle est exposée dans La tradition et les semi-pélagiens de la philosophie, c. iii, § 21, p. 122 sq., en trois points que nous résumons.

1. « Il est de toute impossibilité que l’homme comprenne la quiddilé d’une chose matérielle, ou qu’il s’en forme la conception générale ou l’idée, à moins qu’il n’en ait présent à l’esprit l’image ou le fantôme… » Loc. cit., p. 122 Les idées des choses matérielles s’acquièrent en dépouillant les fantômes de ces objets des conditions qui les individualisent. L’esprit peut s’élever de là à des principes généraux relatifs aux choses matérielles. P. 126.

2. Il est également impossible que l’homme comprenne l’essence des choses spirituelles « … à moins qu’il n’en ait présent à l’esprit quelque chose de corporel qui la lui indique ou la lui rappelle, et dans laquelle il puisse la voir comme dans une image ». P. 122. L’intellect, dans ce cas, se forme une connaissance des objets immatériels en appliquant à ceux-ci, que les mots lui « révèlent », les notions et les principes généraux empruntés à l’ordre matériel.

3. « La présence de cette image dans l’esprit est nécessaire, non seulement afin que l’intellect se forme la première fois l’idée de la chose matérielle ou spirituelle, mais aussi afin qu’il puisse se souvenir dans la suite de ces mêmes choses, y penser, en discourir, en raisonner. Or, puisque les choses spirituelles ne forment pas de fantômes par elles-mêmes, incorpnreorum non sunt phantasmata, I », q. lxxxiv, a. 7, ad 3° iii, puisque rien, dans la nature physique, ne nous parle d’elles (I), ne nous les indique et ne peut nous les indiquer réalisés dans une individualité corporelle, il est de toute nécessité que le fantôme qui nous en donne la première notion, nous soit fourni par la nature morale, qui. à cet endroit, n’est que l’instruction, renseignement, la révélation domestique, sociale… !. a parole, en passant par l’oreille ou les yeux, va se loger elle-même en fantôme dans

l’imagination. Et c’est en regardant en même temps au particulier que la parole indique, et au fantôme où elle est renfermée que l’intellect se rend intelligible la chose immatérielle… et qu’il en raisonne. » P. 123. « De là cette conclusion que le nom des choses immatérielles, apporté par le milieu social, est aussi nécessaire pour connaître les êtres immatériels que les sensations sont nécessaires pour manifester l’existence des corps. » P. 126. « Que l’homme, conclut-il, qui n’aurait jamais entendu un seul mot de Dieu… puisse, par ses seuls moyens, s’élever à une telle connaissance, à une telle idée, voilà ce qui est, non seulement difficile, mais encore impossible. C’est attribuer à l’homme isolé la faculté de se transporter d’un bond du monde corporel au monde spirituel, que l’infini sépare… ; c’est enfin lui attribuer la faculté de bâtir sans matériaux, d’opérer sur le néant. » Op. cit., p. 129.

Nous avons donné cette exposition en l’allégeant des redites qui font de Ventura, parlant en français, un véritable pédagogue. Mais il faut critiquer son raisonnement, la conclusion surtout, et aussi les deux premiers points qui recèlent le vice du syllogisme, à savoir l’activité propre de l’esprit et le rôle actif de la parole.

1. « Tous les traditionalistes supposent l’entendement humain dépourvu de spontanéité. C’est ainsi que le P. Ventura nous le représente » — et cela de bonne foi, en s’inspirant des manuels thomistes de l’époque, — « comme une machine qui dissocierait les éléments particuliers qui lui sont fournis du dehors ; mais lui refuse le pouvoir de s’élever de là à aucune vue supérieure, à aucune découverte. Or, l’entendement a une bien autre puissance. Sans doute, il faut, suivant la doctrine de saint Thomas d’Aquin, que nos conceptions et nos raisonnements aient leur premier point de départ dans des éléments fournis par le monde sensible. Mais l’intelligence ne se contente pas d’analyser ces éléments matériels : à la lumière des principes dont elle perçoit l’évidence, elle se démontre la nécessité des causes et des rapports entre les choses. » A. Vacant, op. cit., t. i, p. 335-336.

2. Le P. Ventura n’a pas tort, comme on le lui a reproché, de « diviser nos concepts en deux catégories, les conceptions relatives à l’ordre matériel, dont les éléments sont fournis par le monde sensible » et alors ces éléments sont proprement les fantasmata, simililudo rei particularis, des images propres de ces choses, et donc l’origine et le moyen permanent de nos connaissances en ces matières, — « et les conceptions d’objets spirituels, dont les éléments, n’étant pas sensibles, ne peuvent être fournis » par la simple expérience. Saint Thomas s’est posé la difficulté même dont le P. Ventura se fait un argument ; et il conclut fermement : « Lorsque nous saisissons par l’intelligence quelque chose de ces réalités incorporelles, force nous est de nous tourner vers des images de corps, bien que ces objets spirituels n’aient point d’images. » I », q. lxxxiv, a. 2, ad 3um. Mais ces images d’ordre matériel ne sont qu’un point de départ pour l’activité de l’intelligence : Incorporea quorum non sunt phantasmata cognosenntur a nobis per comparationem ad corpora srnsihilia. Tout ce qu’on peut concéder au P. Ventura, c’est que > l’image est alors un principe, un fondement de l’opération intellectuelle, mais ce n’est pas le terme du jugement sur les réalités métaphysiques »..1. Wébert, Somme théol. de la Revue des jeunes, p. 235. Saint Thomas n’hésite pas à dire que, pour l’existence de Dieu même, nous la connaissons par relation aux êtres corporels. Nous connaissons Dieu comme cause |des êtres que nous voyonsj,