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VENTURA (JOACHIM)

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Can. 142 : Prohibentur clerici per se vel per alios negotiationem aut mercatiiram exerccre sive in propriam sive in aliorum utilitateni.

A. Michel.


VENTURA Joachim (1792-1861). — I. Sa vie.— Né à Païenne, enlré chez les jésuites, piiis, à leur suppression dans le royaume de Naples, devenu maître général des théatins, il se fit connaître par des travaux de théologie et de philosophie et fit une brillante carrière de publiciste et de prédicateur, comparable sous bien des rapports à celle de Lacordaire. Il collabora à Y Encyclopedia ecclesiaslica de Naples, et fut membre du conseil royal de l’instruction publique. Il soutint les premières opinions de Lamennais, et encouragea la traduction italienne de YEssai sur l’indifférence. Il traduisit le livre Du pape, de J. de Maistre, celui de Bonald, sur La législation primitive, et donna, en 1825, au Journal ecclésiastique un article fort remarqué : Sur la disposition actuelle des esprits en Europe par rapport à la religion, où s’affichaient ses idées libérales.

En 1826, il publia le De jure ecclesiaslico, manuel de philosophie religieuse où il avait classé les doctrines de de Maistre, de de Bonald, de Lamennais, de SaintVictor, se posant ainsi pour un des apôtres de ce qu’on a appelé la philosophie catholique. Animé des meilleures intentions en faveur de la liberté de l'Église, il fit des réserves dès 1831, peut-être plus tôt, sur l’attitude personnelle de Lamennais dans Y Avenir. Comblé d’honneurs par les papes, il avait prononcé l’oraison funèbre de Pie VII, membre de commissions pontificales, il publia, dans un domaine hors des controverses, un ouvrage en 3 vol., Les beautés de la foi, 1839, et un petit manuel d’allure toute pacifique, Bibliotheca parva… veterum Ecclesiæ Patrum, 1840, qui, par son succès en France, donna occasion au célèbre malentendu des Anciens et des Modernes.

Les vraies difficultés avec le Saint-Siège, qui se montra toujours paternel, remontent à 1828, avec la publication du De methodo philosophandi, et s’avivèrent avec son panégyrique du leader irlandais O’Connell, 1847, et celui des victimes du siège de Vienne, 1848. A Rome, en effet, le P. Ventura était devenu l’homme des révolutionnaires modérés et il seconda de tous ses efforts les tendances libérales et le mouvement séparatiste de la Sicile, publiant plusieurs brochures politiques : La question sicilienne, L’indépendance de la Sicile, La légitimité des actes du parlement sicilien, enfin un gros volume : Les mensonges diplomatiques, dont le succès même l’obligea à accepter, avec le bon plaisir du pape, le titre de ministre plénipotentiaire de Sicile à Rome. Bien plus, il prit parti, avec l’abbé Rosmini, dans les affaires de Rome, cf. son opuscule : Opinion sur une chambre des pairs dans les États pontificaux, 1848. Ce projet de confédération italienne sous la présidence du pape, poussa Pie IX à donner une constitution au peuple romain, et l’on sait tous les malheurs qui s’en suivirent. Le P. Ventura refusa de suivre le pape à Gaète et expliqua son refus en deux opuscules : La fuite du pape et La religion et la démocratie, 1849. Ainsi, suivant Lamennais d’assez loin et dans un tout autre esprit, il passa de la défense du pouvoir de l'Église à la thèse de la séparation complète du spirituel et du temporel.

Mais, dès lors, sa retraite s’imposait : son discours sur les morts de Vienne fut condamné à Rome. Il vint habiter la ville de Montpellier, où il se livra à la prédication et composa un opuscule sur la venue de saint Pierre à Rome : Lettres à un ministre protestant, 1859. Dès 1851, il vint s'établir à Paris et signa désormais : Ventura de Raulica. Il occupa

les premières chaires de la capitale, où il était fort goûté, par sa tenue oratoire très discrète et son élocution claire, s’exprimant en un français impeccable, malgré quelques incorrections de prononciation. Il prêcha aux Tuileries le Carême de 1857, qu’il fit paraître en volume, sur le Pouvoir politique chrétien. Il essaya en vain de ramener Lamennais au giron de l'Église, au moment de sa mort, et mourut, luimême à Versailles le 2 août 1861.

II. Doctrine.

Les principes philosophiques et apologétiques du P. Ventura sont exposés à maintes reprises dans l’introduction de ses principaux ouvrages, par ex. : La raison philosophique et la raison catholique, 1852-1859, mais développés surtout dans La tradition et les semi-pélagiens de la philosophie ou le semi-rationalisme dévoilé ; il y expose ses idées sur les forces de la raison, sur les principes des connaissances humaines, sur la loi naturelle, la tradition, les effets de l’enseignement philosophique actuel dans les établissements dirigés par des rationalistes soi-disant catholiques.

1° Sa position très nette contre le rationalisme contemporain l’amena peu à peu à discréditer les forces de la raison naturelle. Tant qu’il se tint sur le terrain des philosophes païens, comme dans ses conférences à l’Assomption de 1851-1852, la tendance ne se marquait encore que par des attaques outrancières contre Aristote, Platon, et même Descartes, qu’on pouvait attribuer aux lacunes de son information. Il citait abondamment les Pères. Il prônait un retour à la doctrine de saint Thomas, dont quelques textes — toujours les mêmes — émaillaient ses discours ; et il prédisait « la restauration de la philosophie catholique » avec un optimisme que les événements ont justifié. « Oui, on la reverra cette philosophie chrétienne tant décriée. On reconnaîtra la solidité de ses principes, la justesse de sa méthode, l’harmonie de ses doctrines… Et l’on regrettera sa longue absence… »

Déjà, cependant, il énonçait la partie positive de son enseignement avec une précision qui est l’indice d’une préméditation de trente années. C’est en effet aux alentours de 1820 que nous reporte sa position traditionaliste de 1851 : « L’esprit humain, en connaissant les choses spirituelles par la révélation, peut s’en rendre compte, les discuter, les développer, les démontrer, les appliquer. Mais il ne les invente pas, il ne les découvre pas par la raison ; seulement, il les connaît, mais par la révélation, en sorte que vouloir atteindre la connaissance des vérités immatérielles sans révélation d’aucune espèce, même naturelle et sociale, est aussi insensé que vouloir obtenir la vision des choses physiques sans lumière. » La raison philosophique et la raison catholique, t. ii, préf., p. xlviiixlix. Sur quoi A. Vacant a raison de ranger le P. Ventura parmi les traditionalistes mitigés, en ce qu' « il restreignit la doctrine de Bonald aux connaissances suprasensibles ». Vacant, Éludes théol. sur les constitutions du concile du Vatican, t. i, p. 299. » Il apporta encore un autre adoucissement au traditionalisme en admettant que la connaissance de Dieu, de l’immortalité de l'âme et des principes de la morale …une fois acquise, pouvait être démontrée, défendue et développée par la raison. » Loc. cit., p. 143.

Ventura y mettait sans doute des conditions, des prédispositions morales : « Comme dans l’ordre physique la lumière ne produit la vision que pour des yeux sains, la révélation ne produit de connaissance que pour la saine raison : la connaissance de la vérité est le prix de la raison qui se défie d’elle-même, de la raison qui s’abaisse. Pour nos grands philosophes, il n’est donc pas étonnant qu’ils ne connaissent pas ce que tout le monde connaît. » La raison philoso-