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VENTE. LE JUSTE PRIX
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C’est la raison pour laquelle Pie XI insiste (le mot est dans l’encyclique) sur ce point que « l’homme est libre, non seulement de créer de pareilles sociétés d’ordre et de droit privé (associations corporatives), mais encore (comme dit Léon XIII) de leur donner les statuts et les règlements qui paraissent les plus appropriés au but poursuivi. » Pie X, en ce sens, avait recommandé les associations corporatives catholiques. Encycl. Singulari quadam. Voir ici Hérésie, t. vi, col. 2238. La morale catholique, plus encore que le sentiment de la solidarité, rappelle avec efficacité que tous, dans la société, doivent être « pénétrés qu’il y a une suprématie du producteur et du travailleur, qui augmente les richesses d’un pays, sur le commerçant qui rend sans doute le service utile de les faire circuler, mais ne les accroît pas : qu’il y a faute morale à abuser des nécessités d’autrui ; que la seule poursuite du gain sans rapport avec le travail fourni ou le risque couru est un acte condamnable ; qu’une fortune, parfois colossale, faite en quelques années est normalement suspecte ; … qu’il y a des lois morales à observer quand on réunit des hommes et qu’on utilise leur labeur… Que. dans une société donc, tous soient pénétrés de ces idées, ou tout au moins que l’opinion publique en impose quasi le respect, sinon la parfaite observation, quel secours apporté à la faiblesse humaine et quel point d’appui solide pour les bonnes volontés ! » P. Six, art. cité, col. 806. Ajoutons que cet élément moral ne doit pas intervenir à sens unique ; l’intérêt des travailleurs et des producteurs n’est pas le seul en jeu ; en temps de crise surtout, l’intérêt des consommateurs appelle, lui aussi, le secours bienveillant d’une morale impartiale. Une répartition équitable s’impose des avantages comme des sacrifices.

c) Le prix conventionnel (prix convenu).

Le prix conventionnel ou prix convenu est celui que détermine la libre volonté du vendeur et de l’acheteur. On a vu plus haut que certains objets taxés peuvent être revendus à un prix conventionnel plus élevé, quand ni la justice commutative, ni la justice sociale ne sont lésées. Mais une marchandise, ne comportant ni prix légal, ni prix courant, peut être objet de transaction commerciale à un prix purement conventionnel, à condition qu’il n’y ait ni fraude, ni crainte, ni contrainte. Le prix convenu est ici juste, puisqu’il résulte d’une libre convention passée entre les deux parties et qu’en dehors de cette convention il n’existe aucun moyen de le déterminer. C’est le cas de l’achat et de la vente des œuvres d’art, des pierres précieuses de grosseur extraordinaire, des manuscrits anciens, des autographes, des plantes et animaux exotiques dont le commerce est rare ou inexistant. C’est encore le cas des meubles ou des livres achetés d’occasion, ou bien des objets dont la valeur est contestable (p. ex., les tableaux d’authenticité douteuse), auquel cas chaque partie consent à courir un risque.

Une question morale se pose pour certaines choses dont le prix courant existe normalement : peut-on, en conscience, les vendre à un prix convenu supérieur ? — Deux opinions se trouvent ici en présence. Saint Thomas enseigne, semble-t-il, qu’il n’est pas permis de s'écarter du prix courant normal. S'écarter de ce prix, c’est ouvrir la porte aux injustices que les mercantis retors ou plus habiles ne manqueront pat d’infliger aux acheteurs et vendeurs moins avisés. La sécurité et l’honnêteté des transactions commerciales en pâtiraient. Mais d’autres moralistes estiment qu’un prix résultant d’une convention librement passée est légitime : acheteur et vendeur sont d’accord et, quoi qu’il en soit du prix courant normal, ils estiment l’un et l’autre qu'à leur point de vue, dans le cas concret de leur transaction, il y a équivalence entre la valeur de l’objet et le prix convenu. N’est-ce pas là d’ailleurs la façon d’agir de très honnêtes gens et les lois civiles semblent l’approuver, puisqu’elles sanctionnent les ventes conclues à n’importe quel prix, tant que l’une ou l’autre partie n’a pas subi une perte énorme. Ainsi le code civil français, art. 1674, ne prévoit la rescision d’une vente d’immeuble que dans le cas où le vendeur a été lésé de plus des sept douzièmes. Voir plus loin. L’opposition des deux opinions est d’ailleurs dans les mots plus que dans la doctrine elle-même, car saint Thomas estime qu’un prix de vente surfait de 50 % est encore légalement valable. Sum. theot., IIa-IIæ, q. lxxvii, a. 1, ad l um.

Des raisons valables ne manquent pas pour justifier, en certains cas, la vente d’un objet à un prix supérieur à son prix courant. Les auteurs énumèrent : 1. Une perte probable ou un manque à gagner : le vendeur veut bien céder une marchandise dont il escomptait plus tard tirer un prix supérieur ; ou bien il accorde à l’acheteur un délai plus long pour s’acquitter de sa dette : il est donc juste que le vendeur, ayant dûment averti l’acheteur, s’indemnise à ce double chef ; 2. fin attachement particulier du vendeur à l’objet dont il se sépare : ce sacrifice appelle une compensation ; 3° Enfin, selon une opinion très probable, l’utilité ou la convenance particulière que présente l’objet vendu pour l’acheteur : un jardin attenant à ma maison a plus de prix pour moi qu’un jardin situé plus loin. Mais, à l’inverse, les mêmes principes valent pour justifier l’achat d’un objet en dessous de son prix courant : 1. S’il s’agit de rendre service au vendeur qui a besoin d’argent (il est entendu qu’on n’abuse pas de ce besoin) ; 2. Si le vendeur, ayant trop de marchandise, cherche des acquéreurs bénévoles : pour en trouver, il devra baisser ses prix ; 3. Enfin, si l’acheteur acquitte sa dette avant le temps normal requis ; (c’est l’escompte accordé aux paiements comptant). De toutes ces opérations, la fraude et le mensonge doivent être exclus.

Applications pratiques.

De ces principes sur le juste prix, nous pouvons déduire un certain nombre de règles pratiques :

1. En ce qui concerne les objets dont l’usage est courant et surtout les denrées de consommation nécessaires à la vie, la justice exige que le vendeur s’en tienne au prix légal ou au prix convenu. Si les trusts ou les monopoles imposent des prix excessifs, voir plus loin, l’injustice retombe, non sur les revendeurs qui subissent la volonté du plus fort, mais sur les dirigeants de ces trusts et monopoles.

2. Pour les objets dont la vente n’est pas courante, et dont il est difficile à l’opinion commune d’estimer le prix, on peut s’en tenir au prix convenu, à condition que la convention passée ne soit pas le résultat de la fraude, de la violence ou de la crainte.

3. Le vendeur ne commet en soi aucune injustice. s’il vend au-dessous du prix courant pour attirer la clientèle. Voir COMMERCE, t. iii, col. 405. Sans doute, il lèse indirectement les autres marchands en détournant d’eux les acheteurs. Mais il ne fait, en somme, qu’user de son droit. Il serait coupable d’injustice si le prix inférieur n'était en réalité qu’un trompe-1'œU pour masquer on défaut de qualité ou une insuffisance de poids dans la marchandise. Injustice à l'égard des autres marchands ; niais pas nécessairement à l'égard du client, si la diminution de prix correspond exactement à la diminution de qualité ou de poids.

4. Les commerçants qui soupçonnent ou même savent positivement, de science privée et personnelle. qu’une hausse ou une baisse doit se produire prochai-