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VENGEANCE


fouet ». Sum. theol., IIa-IIæ, q. cviii, a. 4, ad 2um. Théoriquement, il faudrait se contenter de peines « privatives », privation de la liberté (les otages), l’amende, l’ignominie jetée sur l’adversaire coupable, en dénonçant publiquement ses forfaits. Pratiquement, ce serait en plus d’un cas, placer l’adversaire innocent et consciencieux dans un état immérité d’infériorité. Les applications pratiques deviennent des cas d’espèces, que M. Le Fur a examiné en les groupant sous quelques chefs : sort des prisonniers de guerre, traitement des blessés, emploi de moyens de guerre interdits, respect des populations inoffensives au point de vue de leur vie et de leurs biens, protection des œuvres d’art. Op. cit., p. 68-116. On voudra bien se référer à son enseignement. D’ailleurs, la pensée de saint Thomas n’est pas aussi absolue qu’on pourrait l’estimer au premier abord. La raison de solidarité sociale, on l’a déjà constaté, ne lui a pas échappé et l’on en trouve quelques échos dans l’ad 5um de l’a. 1 et dans l’a. 4 tout entier.

Les sanctions.

C’est un axiome en morale que le mérite appelle la récompense, le démérite, la punition. La sanction, dans son acception la plus générale, peut donc être définie : le plaisir ou la peine qui récompense ou punit les actes. Cf. Baudin, Morale, p. 200. En parlant de vengeance, on ne saurait s’arrêter à la sanction considérée comme récompense du bien accompli ; il ne peut être question que du châtiment punissant la violation du devoir.

Mais ici encore, la sanction subjective et intérieure de la conscience (remords, dégoût, tristesse) ne relève pas, à proprement parler, de la justice vindicative, à moins qu’on n’y veuille trouver une manifestation immanente de la justice divine.

Il faut en dire autant des sanctions naturelles d’ordre physique ou biologique (tares, maladies, accidents) qui peuvent parfois être la conséquence de l’inconduite et qu’on appelle la « justice immanente » des choses. La sanction naturelle répond d’autant moins à l’idée de justice vindicative, qu’elle peut très bien ne pas exister.

Si nous passons du domaine de la responsabilité subjective à celui de la responsabilité objective, nous pourrons envisager les sanctions extérieures qui expriment plus nettement l’idée de vengeance. — La sanction diffuse de l’opinion (mépris public flétrissant le vice, le crime, l’inconduite) peut être en certains cas une sanction vraiment vengeresse. Ce mépris, en effet, est un juste châtiment du pécheur pour les fautes qu’il a commises et il se rattache à cette peine que saint Thomas appelle l’infamie. Mais il s’en faut que l’opinion publique reflète toujours l’esprit d’une juste vengeance : cette opinion est le plus souvent celle du monde avec tous ses préjugés, et le monde récompense et punit ceux qui lui plaisent OU lui déplaisent plutôt que ceux qui ont bien ou mal agi.

La sanction légale (civile ou pénale) émanant de l’autorité judiciaire a normalement plus de chance d’être une manifestation de la justice vindicative. En se reportant à la doctrine exposée plus haut, il faut même affirmer qu’elle devrait être toujours une manifestation de cette vertu. Toutefois, même en faisant abstraction des erreurs judiciaires possibles, on doit reconnaître que les sanctions légales sont encore, dans la société, une expression bien Imparfaite de la vertu de vengeance. 1)e telles sanctions, en effet, ne sauraient atteindre lous les ailes H seul vent même le méchant échappe aux punitions méri tées. alors que le juste peut être privé de toute reconnaissance extérieure. La nécessité de telles sanctions n’est pas ici en cause : on affirme simplement leur insuffisance et, par conséquent, la nécessité, en ce qui concerne le mal impuni, d’une vengeance divine dans l’au-delà. Cette considération suffirait à elle seule à justifier la satispassion des âmes du purgatoire et les châtiments de l’enfer.

L’après-guerre de 1914-1918 a posé d’une façon plus aiguë le problème des relations internationales en vue d’éviter le retour de conflits sanglants et mis en relief la nécessité de sanctions solides pour maintenir le droit et assurer la paix. Dépourvu de sanction, le droit demeure, en effet, un principe théorique de morale internationale. Le pape Benoît XV, dans son message historique du 1 er août 1917, pour prévenir de nouvelles guerres, réclame « en substitution des armées, l’institution de l’arbitrage avec sa haute fonction pacificatrice, selon les normes à concerter et des sanctions à déterminer contre l’État qui refuserait soit de soumettre la question internationale à l’arbitrage, soit d’en accepter les dispositions. » Acla apostolicw Sedis, 1 er sept. 1917. Ces sanctions seraient de différente nature : les sanctions morales (la flétrissure publique infligée à l’État prévaricateur) ; les sanctions juridiques, frappant les intérêts privés, de ses nationaux ; les sanctions économiques (le blocus, l’embargo, le refus des denrées alimentaires et des matières premières, l’interdiction d’émettre des emprunts publics, le refus ou le retrait d’admission à la cote en Bourse) ; les sanctions civiles destinées à atteindre dans la propriété mobilière ou immobilère, dans son domaine public ou dans son.domaine privé, l’État qui refuserait d’exécuter une sentence arbitrale ; enfin, les sanctions militaires, les plus efficaces de toutes, c’est-à-dire l’intervention armée des nations associées contre l’État dont les actes constituent une violation manifeste du droit des gens. Cf. Codsi-Goubran, Le problème des sanctions dans l’évolution de l’arbitrage international, Paris, 1923, c. n et IV.

Les partisans les plus résolus de ces sanctions internationales leur attribuent, certes, une efficacité réelle dans le règlement pacifique d’un grand nombre de conflits internationaux. En tant qu’elles sont efficaces, ces sanctions répondent aux exigences de la vertu de justice vindicative, la vengeance, avons-nous dit, cf. col. 2617, « ayant en vue un bien résultant du châtiment (u coupable, son amendement ou du moins sa compression, la paix publique, le maintien de la justice ou l’honneur de Dieu ». Mais il ne faut lias se faire illusion : la vertu de vengeance ne sera ici jamais pleinement satisfaite : « L’efficacité des sanctions dépend essentiellement du bon vouloir des gouvernements non mêlés au conflit et dont l’intervention Contre les délinquants viendrait à être exigée par requête juridique de la Cour suprême d’arbitrage. Or. qu’il s’agisse d’une rupture diplomatique, d’une brusque interruption des échanges commerciaux ou, à plus forte raison, d’une exécution militaire par autorité de justice, pareille intervention des tierces puissances devra entraîner pour elles-mêmes des sacrifices, des périls et des risques devant lesquels elles hésiteront, plus d’une fois, avant de prendre une décision définitive. M. Codsi-Goubran, op. cit.. p. 7 ! >. On le constate donc ici encore : bien que le principe d’une juste vengeance soit à la base de ces sanctions internationales, il est rare qu’il puisse s’y affirmer comme l’expression exacte de la vertu de vengeance. D’OÙ, conclusion qui s’impose, la nécessite de remettre à la justice souveraine de Dieu le soin de venger pleinement, en ce monde ou en l’autre, la justice humaine bafouée.

Les Vengeances populaires.

Les vengeances populaires ne sauraient être admises comme l’expression de la vertu de Vengeance, Elles réalisent la plupart du temps ce que la vengeance, au sens péjoratif du mot, présente de plus répréhensible. Il n’est