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1633 TRINITÉ. TERTULLIEN 1634

double génération temporelle, l’une divine, l’autre humaine. » A. d’Alès, La théologie de saint Hippolyte, p. 30.

2. Tertullien. —

Beaucoup plus précis et plus complet, malgré de réelles lacunes, est l’exposé de Tertullien. L’Apologétique donne un résumé que l’on citait encore avec faveur au cours des controverses du IVe siècle : « Dieu a créé cet univers que nous voyons par sa parole et par sa raison et par sa puissance… Nous regardons la parole et la raison et aussi la puissance par lesquelles Dieu a tout créé comme une substance propre que nous appelons Esprit. Sa parole est dans cet esprit quand il commande, la raison le seconde quand il dispose, la puissance l’assiste quand il réalise. Nous disons que Dieu a proféré cet esprit et qu’en le proférant il l’a engendré et que, pour cette raison, il est appelé Fils de Dieu et Dieu, à cause de l’unité de la substance : car Dieu aussi est esprit. Quand un rayon est lancé hors du soleil, c’est une partie qui part du tout ; mais le soleil est dans le rayon, parce que c’est un rayon du soleil et que la substance n’est pas divisée, mais étendue, comme la lumière qui s’allume à la lumière. La matière source demeure entière et ne perd rien, même si elle communique sa nature par plusieurs canaux. Ainsi ce qui est sorti de Dieu est Dieu, Fils de Dieu, et les deux ne font qu’un. Ainsi l’esprit qui vient de l’esprit et Dieu qui vient de Dieu est autre par la mesure, il est second pour le rang non par l’état, et il est sorti de sa source sans s’en être détaché. » Apolog., xxi, 10-13, P. L., t. i, col. 398 ; trad. Waltzing.

L’Adversus Praxean est beaucoup plus développé, comme on peut s’y attendre, puisque ce traité est tout entier composé pour réfuter le monarchianisme. Nous nous contenterons d’en rapporter les thèses essentielles. Voir les art. Monarchianisme et Tertullien. Dans le principe, déclare Tertullien, Dieu était seul, en ce sens du moins que rien n’existait en dehors de lui, car il avait en lui sa raison. Cette raison les Grecs l’appellent Loyos ; les Latins lui donnent le nom de sermo, mais ce dernier nom doit être expliqué en ce sens que la parole n’est pas autre chose que la raison en exercice et qu’il ne faut pas y voir, avec les docteurs stoïciens, un souffle de voix ou de l’air battu. Dieu qui pense nécessairement possède aussi de toute éternité sa parole intérieure qu’il produit et constitue comme un second terme par rapport à lui. Adv. Prax., 5, P. L., t. ii, col. 160.

Lorsque Dieu voulut créer, il proféra cette parole intérieure, et par elle l’univers fut produit. Le Verbe, jusqu’alors caché en Dieu, en sortit ; il devint une voix et un son pour proclamer le Fiat lux ! Cette prolation constitue la naissance parfaite du Verbe qui est ainsi enfanté et devient Fils. Ado. Prax., 7, col. 16t. Le Fils est donc tout autre chose qu’une parole, qu’un son ; il est une personne distincte du Père. Quæcumque ergo substantia sermonis fuit illam dico personam, et illi nomen ftlii vindico, et dum filium agnosco, secundam a pâtre defendo. Adv. Prax., 7, col. 162.

Cependant la prolation du Verbe ad extra, sa génération en tant que Fils ne le séparent pas du Père. Il lui reste uni, comme le fleuve l’est à sa source et le rayon au soleil : Nec dubitaverim dicere filium et radicis fruticem et fontis fluvium et solis radium, quia omnis origo parens est et omne quod ex origine profertur progenies est, multo magis sermo Dei, qui etiam proprie nomen fllii accepit. Adv. Prax., 8, col. 163. Qu’on n’aille donc pas comparer la doctrine catholique avec la théorie valentinienne des éons que profère le Dieu suprême et qui se séparent de lui : le Fils demeure dans le Père. Le Père et lui ne sont qu’un. Ces textes de saint Jean, que cite Tertullien, sont trop clairs pour supporter une contradiction.

Tertullien se représente la manifestation du Verbe à l’occasion de la création comme un fait assez important pour avoir donné à Dieu la qualité de Père. Il écrit en effet : Quia et pater Deus est et fudex Deus est, non ideo lamen et pater et judex semper quia Deus semper. Nam nec pater potuit esse ante filium, nec judex ante delictum. Fuit autem tempus cum et delictum et filius non fuit, quod judicem alque palrem faceret. Adv. Hermogen., 3, t. ii, col. 200. On est un peu surpris de retrouver ici une formule qui semble annoncer celle d’Arius : il y eut un temps où il n’y avait pas de Fils. Certes, pour Tertullien, cela veut dire seulement qu’il y eut un temps où le Verbe ne s’était pas manifesté hors de. Dieu, ne pouvait pas être appelé le premier-né de la création, n’avait pas acquis le droit au titre de Fils de Dieu qui est attaché à sa manifestation extérieure. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 95. Mais cette formule reste insuffisante.

Ici encore, nous retrouvons une doctrine qui rappelle celle des apologistes. Ce n’est pas sur la question de la génération du Verbe que le rôle de Tertullien est important à relever. C’est beaucoup plutôt sur la question de la divinité du Saint-Esprit, laissée dans l’ombre par la plupart des docteurs antérieurs à saint Athanase. On pourrait dire qu’ici son adhésion à l’erreur montaniste l’a aidé à réfléchir. Le montanisme annonce le règne de l’Esprit : comment l’Esprit n’occuperait-il pas une place de choix dans la pensée de ses fidèles ? Le Saint-Esprit est donc Dieu, Adv. Prax., 13, col. 168 ; il est un même Dieu avec le Père et le Fils, ibid., 2, col. 157 ; il procède du Père par le Fils, ibid., 4, col. 159. Il vient de Dieu et du Fils : tertius enim est Spiritus a Dco et Filio, sicut tertius a radice fruclus ex frutice, et tertius a fonte rivus ex flumine, et tertius a sole apex ex radio. Ibid., 8, col. 164. Il est encore le vicaire du Fils, De prsescript., 13, col. 26. Tout cela est très remarquable.

Tout aussi remarquables sont les formules qu’emploie Tertullien pour parler de la Trinité ; et quelques-unes d’entre elles ne seront pas améliorées par la suite. Si Dieu est unique, il y a en lui une certaine économie, une dispensation, une communication de l’unité qui en fait découler une trinité : Ex uno omnia per substantif scilicet unitatem et nihilominus cusiodiatur oikonomise sacramentum, quæ unitatem in trinitatem disponit, très dirigens Palrem et Filium et Spiritum, très autem non statu, sed gradu, nec substantia sed forma, nec potestate sed specie, unius autem substantiæ et unius status et unius potestatis, quia unus Deus, ex quo et gradus isti et formée et species in nomine Patris et Filii et Spiritus sancti deputantur. Adv. Prax., 2, col. 157. Saint Irénée avait déjà employé le mot oikonomia, mais Tertullien en fait un usage particulièrement heureux.

Par l’économie se constituent des personnes : unamquamque personam in sua proprictate constituunt. Ibid., 11, col. 167 ; alium autem quomodo accipere debeas jam professus sum, personee non substantise nomine, ad distinctionem non ad divisionem. Ibid., 12, col. 168. Il semble bien que, pour Tertullien, la personne est bien plutôt la présentation concrète de l’individu que le support d’un titre légal : certes le mot persona est susceptible d’un sens juridique et il peut aussi désigner la personne morale ; mais ici il est employé dans un sens beaucoup moins technique ; il sert à mettre en relief ce qu’il y a de caractéristique dans chacune des personnes divines. Cf. G.-L. Prestige, God in patristic thought, p. 159.

Les trois personnes sont numériquement distinctes entre elles. Tertullien insiste sur cet aspect du mystère, afin de réfuter plus sûrement ses adversaires : duos quidem depnimus. Patrem et Filium ; etiam tres cum Spiritu sancto. smindum rntionem oikonomiæ quæ facit numerum. Adv. Prax., 13, col. 109. Biles ont chacune des propriétés qui ne permettent pas de les confondre l’une avec l’autre ; ce qui n’empêche pas qu’elles sont Dieu au même titre l’une, que l’autre, ayant même