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1627 TRINITÉ. LES HÉRÉSIES DU IIIe SIÈCLE 1628

t-il à copier des passages d’intérêt anecdotique et laisse-t-il de côté ce qui se rapporte à l’enseignement. Artémon a dû prêcher à Rome aux environs de 230, et il semble qu’il était encore de ce monde après 260, lorsque éclata à Antioche l’affaire de Paul de Samosate. Peut-être est-ce lui qui est réfuté dans le De Trinitate de Novatien : en ce cas, nous pourrions dire qu’il niait la divinité de Jésus-Christ par crainte du dithéisme : « Si autre est le Père et autre le Fils ; si d’autre part le Fils est Dieu et le Christ est Dieu, il n’y a pas un seul Dieu, mais on introduit deux dieux également : le Père et le Fils. S’il n’y a qu’un Dieu, le Christ est un homme, et c’est le Père qui est, par voie de conséquence, le Dieu unique. » Novatien, De Trinitate, 30, P. L., t. iii, col. 967. Artémon avait, paraît-il, l’audace de prétendre que sa doctrine avait été enseignée dans l’Église de Rome depuis ses origines jusqu’au pontificat de saint Zéphyrin (199-218) : nous ignorons sur quels arguments il s’appuyait pour affirmer cette thèse qui surprenait fort les catholiques. Eusèbe, H. E., V, xxviii.

A Antioche. Paul de Samosate. —

L’erreur de Paul de Samosate se rattache-t-elle historiquement par quelque lien à celle d’Artémon ? il ne le semble pas, et il est plus probable qu’elle constitue une tentative indépendante. Si les évêques réunis contre lui à Antioche renvoient Paul à Artémon, c’est parce qu’ils avaient remarqué des traits communs entre les deux doctrines et non parce que l’évêque d’Antioche avait emprunté ses opinions à l’hérésiarque romain. Des réflexions de même ordre l’avaient amené aux mêmes conclusions que le docteur de Rome. En tout cas, l’erreur du Samosatéen est, elle aussi, une erreur christologique et ce n’est que par contre-coup qu’elle atteint la doctrine trinitaire. La lettre des six évêques qui est le plus ancien document de la controverse déclare : t Celui qui refuse de croire et de confesser que le Fils de Dieu est Dieu avant la création du monde, en disant que l’on annonce deux dieux si le Fils de Dieu est proclamé Dieu, celui-là nous le déclarons étranger à la règle ecclésiastique et toutes les Églises catholiques sont d’accord avec nous. » Sur cette lettre, voir l’art. Paul de Samosate, t.xii, col. 47 en haut.

Nous n’avons sur l’enseignement de Paul que des témoignages dont l’origine peut être discutée. Cependant l’essentiel de sa doctrine est assuré : Jésus a vécu comme l’un de nous.

La conclusion qui s’impose à ses yeux, c’est que le Fils de Dieu n’est pas véritablement Dieu et que le Christ est purement et simplement un homme. Cependant, la théorie de Paul ne saurait être ramenée à ces deux affirmations, car elle est beaucoup plus subtile. Au lieu de nier le mystère de la Trinité, elle s’efforce de l’expliquer. L’auteur du De sectis résume ainsi cette théorie : « Sur la divinité, ii ne parlait que du Père… Paul de Samosate ne disait pas que le Verbe personnel est né dans le Christ, mais il appelait Verbe l’ordre et le commandement de Dieu, c’est-à-dire : Dieu a ordonné par cet homme ce qu’il voulait et faisait. .. Paul ne disait pas que le Père, le Fils et le Saint-Esprit étaient le même, mais il donnait le nom de Père à Dieu qui a tout créé, celui de Fils au pur homme, celui d’Esprit à la grâce qui a résidé dans les apôtres. » De sectis, iii, 3, P. G., t. lxxxvi a, col. 1213-1216.

L’explication du De sectis n’est pas parfaitement claire. Nous y voyons que le Samosate en conservait les noms de Père, de Fils et d’Esprit-Saint, tout en affirmant que seul le Père est Dieu. Mais faisait-il du Fils et de l’Esprit-Saint des réalités subsistantes, ou ne leur reconnaissait-il qu’une existence nominale ? La question reste controversée. Dans le document homéousien rédigé en 359 par Rasile d’Ancyre et Georges de Laodicée, nous trouvons la déclaration suivante : « Paul de Samosate et Marcel d’Ancyre prirent prétexte de l’Évangile de saint Jean qui dit : « Au commencement « était le Verbe », pour ne pas appeler le Fils de Dieu véritablement un Fils ; mais le nom de Verbe leur fournit un argument pour dire du Fils de Dieu que c’était une parole sortie de sa bouche, un son articulé. Une telle prétention obligea les Pères qui jugèrent Paul de Samosate, afin de bien montrer que le Fils a une hypostase et qu’il est subsistant, qu’il est existant et qu’il n’est pas une simple parole, à appliquer aussi au Fils le nom d’ousia ; ils montrèrent par ce nom d’ousia la différence entre ce qui n’existe pas par soi-même et ce qui est subsistant. » Épiphane, Hseres., lxxiii, 12, P. G., t. xlii, col. 428.

A s’en tenir à ce texte, Paul aurait donc enseigné que le Verbe n’a pas de subsistence propre. Il n’est pas une ousia. Il n’existe que dans la mesure où il est proféré par le Père. Cependant nous savons par ailleurs que le Samosatéen admettait que Dieu a engendré son Verbe et qu’ainsi le Verbe a pris une hypostase : n’y a-t-il pas une contradiction entre les deux formules ? Ou bien, au cours de la discussion qu’il a dû soutenir avec les membres du concile, Paul n’a-t-il pas été amené à faire des concessions au langage traditionnel ? La question n’est peut-être pas susceptible de recevoir une solution dans l’état de nos connaissances.

En toute hypothèse, la personnalité du Verbe était loin d’être aussi accentuée que l’exigeait l’enseignement de l’Église, dans la doctrine du Samosatéen, puisque le concile d’Antioche crut devoir affirmer expressément que le Verbe a une ousia et qu’il n’est pas une simple lektiké energeia de Dieu. Il alla même plus loin, puisqu’il rejeta, comme incapable d’exprimer la vraie doctrine, le terme omoousios, ou consubstantiel, que Paul avait sans doute adopté.

Sur ce grave incident, nous n’avons, il est vrai, que des témoignages indirects. La lettre des homéousiens en 358, qui insistait là-dessus, est perdue et nous ne connaissons son argumentation que par les allusions de saint Hilaire, de saint Athanase et de saint Rasile. Saint Hilaire, qui donne de la lettre une analyse détaillée écrit : « Vous ajoutez en second lieu que, lorsque Paul de Samosate a été déclaré hérétique, nos Pères ont rejeté l’homoousios parce que, par cette affirmation de l’unité d’ousie, il enseignait que le Père et le Fils ne sont qu’une seule et même chose. Secundo quoque id addidistis quod Patres nostri, cum Paulus Samosatenus hæreticus pronuntiatus est, etiam homoousion repudiaverint, quia per hanc unius essentiæ nuncupalionem solitarium atque unicum sibi esse Patrem et Filium prædicabat. » De synod., 81, P. L., t. x, col. 534.

Saint Athanase propose une autre interprétation de la condamnation portée à Antioche contre le consubstantiel : « Ceux qui ont déposé l’homme de Samosate, écrit-il, ont entendu l’homoousios au sens corporel, car Paul cherchait à sophistiquer et disait : « Si le Christ « n’est pas d’homme devenu Dieu, il est donc consubstantiel au Père ; il est nécessaire par suite qu’il y ait « trois substances, l’une principe et les deux autres qui « en sont issues. » Pour se garder à l’endroit de ce sophisme, les Pères ont déclaré que le Christ n’était pas consubstantiel : le rapport du Fils au Père n’est point en effet ce que pensait l’homme de Samosate… L’homme de Samosate pensait que le Fils n’est pas antérieur à Marie, mais lui devait le commencement de son existence. On se réunit à ce sujet. On le déposa et on le déclara hérétique. Sur la divinité du Fils, on écrivit avec trop de simplicité et l’on n’arriva point à l’exactitude absolue pour le consubstantiel. On en parla suivant le sens qu’on en avait conçu. » De synod., 45, P. G., t. xxii, col. 772-773.