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VALENTIN. DIEU, LES EONS, LE MONDE


peut-être trouvé par lui un peu bref et qu’en dehors de saint Irénée, cité par lui avec abondance, il ait surtout recouru à des sources valentiniennes d’origine incertaine. Nous avons déjà remarqué que E. de Faye, op. cit., p. 66, 67, se montre disposé à faire largement crédit à l’évêque de Salamine ; je n’oserais pour ma part avoir autant de confiance dans ses sources. Pseudo-Tertullien et Filastrius suivent au contraire leur modèle ordinaire, bien que Filastrius dépende parfois de saint Épiphane, mais ils ajoutent chacun au texte qu’ils ont sous les yeux et la critique de leur témoignage reste délicat.

D’Hippolyte, nous possédons une autre description du système de "Valentin dans les Philosophoumena, VI, 29-37. On peut laisser de côté l’affirmation toute gratuite qui fait du système de Valentin une copie, plus ou moins modifiée, du pythagorisme et du platonisme : cette idée est propre à Hippolyte et ne repose sur aucune preuve. La notice qui expose le système se laisse diviser en trois parties, ou plus exactement combine trois éléments d’origine différente : d’abord un document que saint Hippolyte prétend analyser d’une manière fidèle, puis des renseignements oraux, intoduits par le pluriel Xéyouaiv ; enfin certaines affirmations ou jugements qui remontent à l’auteur même du livre. Suivant E. de Faye, op. cit., p. 254-256, suivi par A. Siouville, Hippolyte de Rome, Philosophoumena ou Réfutation de toutes tes hérésies, Paris, s. d., t. ii, p. 45, note, le document analysé par Hippolyte est l’œuvre d’un valentinien de la troisième ou quatrième génération. Le système qui y est exposé est relativement simple et il a grande chance de se rapprocher davantage de la doctrine du maître que celui que rapporte saint Irénée : « On n’y remarque, écrit E. de Faye, op. cit., p. 253, aucune de ces excroissances qui déparent celui qu’a décrit saint Irénée dans sa notice. Pas de figure qui fasse double emploi. Pas de rôle parasite. Rien qui donne à supposer qu’on ait mêlé des éléments disparates et d’origine différente pour en composer un système unique. Celui-ci reproduit avec une fidélité rarement en défaut le système primitif de Valentin. » Tant d’assurance n’est pas sans nous déconcerter quelque peu. En réalité, E. de Faye n’a guère, pour discerner ce qui appartient en propre à Valentin, qu’un seul critère : l’idée qu’il se fait du génie propre de Valentin d’après des fragments presque insignifiants et il le déclare lui-même avec candeur : « À la fois philosophe et poète, tel a été Valentin. On dirait qu’il a été formé par Platon. Non par le Platon dialecticien, mais par le Platon créateur incomparable de mythes philosophiques. Demandons-nous si les mythes qu’on attribue à Valentin sont tout ensemble idée et symbole, abstraits et plastiques ; s’ils le sont, il ne faut pas hésiter, ce sont les créations de sa pensée. Les vrais mythes de Valentin ont une originalité particulière qui les distingue aussitôt de toutes les autres productions. » Op. cit., p. 118. Cela est bien vite dit. En fait, si l’on n’a pas d’idée préconçue sur le soidisant génie de Valentin, on sera plus modeste et moins afflrmatif, lorsqu’il s’agira de reconnaître son apport original et de le distinguer de celui de ses dis ciples. On essaiera, certes, de faire cette distinction, mais on procédera avec réserve, sauf sur les points trop rares où nous renseignent les passages cités par Clément. Pour le reste, on essaiera de tenir compte des données cpie mettent à notre disposition les auteurs ecclésiastiques, surtout Irénée et Hippolyte. A Tertullien, nous devons sans doute un Advenus ValentinianoB, qui doit être, signalé, mais qui n’apporte pas de renseignement nouveau, parce qu’il se borne, à peu de choses près, à reproduire la notice de saint Irénée.

Des documents que nous venons de signaler, quelle est l’idée d’ensemble qui se dégage, touchant la doctrine de Valentin ?

2° Dieu, les éons et le monde. — Au-dessus de tout est le Dieu suprême et éternel, le Père : « Il n’existait absolument aucun être engendré. Seul existait le Père inengendré sans lieu ni temps, sans conseiller, sans aucun autre être qu’on puisse concevoir de n’importe quelle manière… Mais, comme il était fécond, il voulut enfin engendrer ce qu’il avait en lui-même de plus beau et de plus parfait et le produire au dehors, car il n’aimait pas la solitude. Il était tout amour. Or l’amour n’est pas de l’amour s’il n’y a pas d’objet aimé. » Philosoph., VI, 29. Il faut conclure de ce texte que Valentin professait le monothéisme le plus strict. Irénée, Cont. hær., i, i, 1, place au contraire au point de départ de la théorie un couple primitif, formé de Bythos, l’abîme, et de Sigè, le silence. II est d’ailleurs assuré par Hippolyte lui-même, que telle était bien la croyance de certains valentiniens, mais l’on peut tenir pour probable que le maître faisait dériver tout le reste d’un unique principe.

Le Père inengendré donne donc naissance à un couple, Nous et Alétheia, l’Intellect et la Vérité. Ce couple, cette dyade devient le principe de tous les êtres qui constituent le plérôme. De lui procèdent Logos et Zoé, le Verbe et la Vie et de ce deuxième couple naît un troisième, Anthropos et Ecclesia, l’Homme et l’Église. Tels sont les six grands éons, ceux qui forment l’élément supérieur. Les auteurs pour qui le Dieu inengendré, Bythos, au lieu d’engendrer seul le premier couple, a à côté de lui une épouse Sigè, appelée aussi Ennoia ou Charis, parlent ici de l’Ogdoade et il est certain que l’Ogdoade tient une place importante dans la spéculation des valentiniens, sinon dans celle de Valentin lui-même.

Cela fait, l’Intellect et la Vérité, désireux de rendre gloire au Père inengendré donnent naissance à dix éons : tel est le nombre parfait que seuls ils peuvent lui offrir. De leur côté, Logos et Zoè émettent douze éons, nombre supérieur à dix, certes, mais moins parfait que lui. On obtient ainsi vingt-huit éons, ce sont eux dont l’ensemble constitue le plérôme. Il est évident, bien que toute précision fasse ici défaut, que les éons sont de moins en moins parfaits. Seuls les membres de la première syzygie, du premier couple, connaissent exactement le Père ; ce sont eux, et tout particulièrement Nous, qui le révèlent aux autres éons.

Arrive à ce moment l’événement décisif qui trouble la paix du plérôme. I.e dernier des éons, Sophia, en dépit de son nom, conçoit l’idée insensée d’imiter le Père inengendré et de donner elle-même naissance à un être nouveau, sans s’unir à son pendant, Theleios. Elle ignorait ou voulait ignorer que seul le Père possède un pareil pouvoir. Elle conçoit cependant, et met au monde une substance sans forme et sans organisation, quelque chose d’analogue à la matière première dont parle Aristote. La vue de cet être informe suffit à épouvanter les éons et tout aussi bien à inspirer à Sophia le plus amer des regrets. Pour les rassurer le Père donne à Nous et à Alétheia l’ordre de procéder à une nouvelle émission : le Christ et l’Esprit-Saint se présentent alors, ce dernier jouant le rôle d’élément féminin, car on sait que dans les langues sémitiques le nom qui désigne l’Esprit est du genre féminin. Il y a ainsi trente éons, ce qui est le nombre définitif. Aussitôt émis, le Christ chasse du plérôme l’avorton de Sophia. mais il lui donne en même temps la forme qui lui manquait. Pour l’empêcher à tout jamais de rentrer dans le plérôme, le Père émet de lui-même un nouvel éon appelé Slauros (palissade, pieu), ou Horos (limite) ou Participant