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VALENCIA. LE VALENCIANISME


plus loin l’analyse réflexive des conditions à priori de la prescience de Dieu. Hentrich, ibid., p. 71-151.

Telle est, en résumé, l’esquisse d’un « valencianisme » vu par le P. Hentrich. Ce qui s’y rapporte à providence divine et liberté humaine nous semble objectif et cohérent. Mais ce qui y concerne la détermination active de la volonté créée et le concours divin nous a paru devoir être révisé. C’est, en tout cas, dans l’esquisse plus ample du valencianisme résultant de la présente étude, que nous allons intégrer ce qui regarde la providence divine et la détermination libre.

Conceptions génératrices.

D’assez nombreux

points caractéristiques du corpus doctrinal de Valencia ayant été ici analysés, il ne s’agit plus que de constituer en synthèses ses conceptions génératrices. Comme Suarez qui eut charge de lui répéter ses leçons de philosophie, Valencia doit au professeur jésuite Martinez son premier fonds métaphysique. Et c’est, doté de ce fonds, qu’il a repensé ou critiqué le thomisme de la Somme théologique.

1. Ihjlémorphisme renouvelé.

Une première conception génératrice du valencianisme est un hylémorphisme renouvelé. Les êtres de l’univers sont matière et forme. Pure puissance par rapport à cet esse taie qu’elle reçoit de la forme, la matière première est un réel composant créé. De l’idée divine elle participe son infime degré d’essence, sa valeur propre de vérité et de bien : de quoi fonder, à titre créé ultime, les lois de la quantité et du nombre. En communiquant l'être spécifique, la forme substantielle assure au composé concret sa valeur qualitative : inorganique, végétative, animale, humaine. Le principal, mais pas tout.

Les composés concrets sont à la fois individuels et spécifiques. Fonciers l’un et l’autre, ces deux éléments participent chacun de la matière et de la forme. Ni le spécifique ne résulte entièrement de la forme, comme chez l’ange, ni l’individuel totalement de la matière. En ce qui concerne l’individuel, il faut, pour le pouvoir penser au moins en général, y voir la réalisation concrète d’une valeur originale infra-spécifique, complémentaire de la valeur ou perfection spécifique. Et ceci est vrai des individus angéliques eux-mêmes. Cette valeur dite complémentaire est moins riche que la valeur spécifique. Elle est néanmoins radicale, elle aussi, tenant de la forme et de la matière ; participée comme la perfection spécifique, de l’idée divine. En chacun des êtres concrets, l’espèce unificatrice importe plus que la différenciation individuelle.

Cet hylémorphisme renouvelé commande la théorie valencianiste de la connaissance. Portant sur les êtres matériels, notre intellection doit être et est d’emblée universelle et singulière : universelle, en tant qu’elle traduit ce qu’elle peut de la perfection spécifique, singulière pour autant que cette traduction s’accompagne d’une certaine saisie très superficielle, mais réellement intellectuelle et directe, des sujets singuliers auxquels nous attribuons nos prédicats universels. Étant intellectuelle, cette attribution implique un minimum d’intellection directe des sujets matériels concrets. Aussi bien ces sujets ont-ils, pour la fonder, leur intelligibilité individuelle vraiment originale. Rien de plus cohérent, de plus sainement expérimental tout ensemble et métaphysique, et rien de mieux orienté aux meilleures exigences de l’existentialisme moderne que cet hylémorphisme, ainsi renouvelé par Valencia, de la matière et de la forme, de l’individuel et du spécifique, de l’intellection à la fois concrète et abstraite des êtres matériels.

2. Amorce d’une philosophie de l’esprit.

De même que notre intelligence des êtres ou des objets inférieurs à l’esprit est à la fois de contenu réel et abstrait ainsi, d’après Valencia, notre intellection des

réalités spirituelles d’ordre humain est-elle à contenu expérimental et notionnel tout ensemble. Ce qui, en son agir pensanl et voulant, s’exprime de ses habitus, de ses facultés, de sa nature même, détermine notre âme à se connaître elle-même par elle-même. Dans l’expérience progressive qu’elle forme de soi, en s’exprimant intellectuellement le réel extérieur, elle puise de quoi se penser d’une pensée à contenu positif, propre et proportionné. Ce qu’ignorait Valencia c’est qu’avant lui, surmontant le sensisme aristotélicien de ses propres formules, saint Thomas d’Aquin avait su lui aussi, lui déjà, puiser dans le spiritualisme augustinien du Mens ergo… semetipsam per seipsam novit. Ce qu’il sentait sans doute mais qu’il n’a pas formulé, n'élaborant de philosophie que ce que lui semblent en requérir ses commentaires théologiques, c’est que, privé de ce cogilo spiritualiste, l’homme ne se connaîtrait pas proprement comme esprit incarné transcendant le sensible et le propre corps ; c’est que, ne se connaissant pas comme esprit d’une connaissance à la fois expérimentale et notionnelle, il ignorerait ce qui est caractéristique de l’esprit en soi, des perfections pures ou absolues, partant de la véritable idée transcendantale d'être ; c’est que, nullement muni de données valables pour édifier une philosophie de l’esprit, une véritable ontologie spiritualiste, il ne saurait jamais trouver de voie dialectique vers l’Esprit cause première, exemplaire parfait et fin dernière. S’il n’a pas formulé ces conséquences d’un thomisme anormalement privé de son augustinisme, s’il n’a pas même su qu’en empruntant lui-même à saint Augustin la précieuse amorce d’une philosophie de l’esprit, il imitait le saint Thomas du De veritate, du De potentia et de Y In Johannem, du moins s’est-il engagé dans la voie qui donne seule accès au sens philosophique de l’esprit, lorsqu’il a écrit ces lignes : videtur probabile quod etiam in hujus vitæ slatu, anima ipsa, et potentiæ, et habitus, et actus ipsius intelligantur per suam enlilalem sine alia specie. .. ; per hoc… sufficienler cum intellectu uniuntur, quo insunt in eadem essenlia animée. Comment., disp. VI, q. vii, punct. 2, col. 1380-1381.

3. Métaphysique originale du libre arbitre humain en accord avec la providence divine. — Commandée par l’expérience humaine et par les données de la foi catholique, la conception valencianiste du libre arbitre n’est pas originale en son principe. Mais, en préservant de toute détermination surajoutée notre pouvoir naturel ou surnaturalisé de choisir, en y soulignant cette propriété, créée il est vrai et seconde, de se déterminer soi-même pour ou contre le mouvement de la grâce prévenante ou du concours divin universel, en ne soustrayant rien de notre libre détermination ni de son résultat à la causalité première mais en maintenant toujours cette causalité motrice à son niveau métaphysique et transcendant ; enfin, en se gardant de distinguer physiquement notre active détermination de son effet, c’est-à-dire en évitant de disjoindre le sujet agissant de son acte agi, Grégoire de Valencia paraît avoir élaboré originalement la juste théorie du libre arbitre humain. A son déploiement intégral Dieu coopère, du haut de sa transcendance créatrice, en le maintenant uni à la Source d'être. C’est dans la mesure où il méconnaîtrait quelque chose de cet ensemble, que l’exposé du P. Hentrich ne pourrait nous satisfaire. Gregor von Valencia, p. 147.

Convient-il, en ce qui regarde l’accord de notre libre arbitre avec la divine providence, d’instituer une comparaison entre Valencia et Molina ? Notons seulement, à ce sujet, que si, retenu ou soutenu par la terminologie de saint Thomas, le théologien d’Ingolstadt ne parle explicitement ni de futurible ni de