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1619 TRINITE. LES APOLOGISTES 1620

elles. De Justin, nous retiendrons surtout le témoignage qu’il donne à la foi catholique par sa vie et par sa mort.

Tatien.

Tatien, disciple de saint Justin, donne sur le Verbe un enseignement analogue à celui de son maître ; mais il développe d’une manière assez fâcheuse ses propres idées sur le double état du Verbe, avant et après la création : « Dieu, dit-il, était dans le principe, et nous avons appris que le principe c’est la puissance du Verbe. Car le maître de toutes choses, qui est lui-même le support substantiel de l’univers, était seul en ce sens que la création n’avait pas encore eu lieu ; mais, en ce sens que toute la puissance des choses visibles et invisibles était en lui, il renfermait en lui-même toutes choses par le moyen de son Verbe. Par la volonté de sa simplicité sort de lui le Verbe ; et le Verbe, qui ne s’en alla pas dans le vide, est la première œuvre du Père. C’est lui, nous le savons, qui est le principe du monde. Il provient d’une distribution, non d’une division. Ce qui est divisé est retranché de ce dont il est divisé, mais ce qui est distribué suppose une dispensation volontaire et ne produit aucun défaut dans ce dont il est tiré. Car, de même qu’une seule torche sert à allumer plusieurs feux et que la lumière de la première torche n’est pas diminuée parce que d’autres torches y ont été allumées, ainsi le Verbe, en sortant de la puissance du Père, ne priva pas de Verbe celui qui l’avait engendré. Moi-même, par exemple, je vous parle et vous m’entendez, et moi qui m’adresse à vous, je ne suis pas privé de mon verbe parce qu’il se transmet de moi à vous ; mais en émettant un verbe, je me propose d’organiser la matière confuse qui est en vous. Et comme le Verbe, qui fut engendré dans le principe, a engendré à son tour, comme son œuvre, en organisant la matière, la création que nous voyons, ainsi moi-même, à l’imitation du Verbe, étant régénéré et ayant acquis la connaissance de la vérité, je travaille à mettre de l’ordre dans la confusion de la matière dont je partage l’origine. Car la matière n’est pas sans principe ainsi que Dieu, et elle n’a pas, n’étant pas sans principe, la même puissance que Dieu ; mais elle a été créée ; elle est l’œuvre d’un autre, et elle n’a pu être produite que par le Créateur de l’univers. » Orat., 5, P. G., t. VI, col. 813.

Tout est loin d’être clair dans ce chapitre. On y relèvera la comparaison des torches allumées que Justin avait déjà employée et que reprendra le concile de Nicée ; on y relèvera aussi l’affirmation que la production du Verbe ne crée chez le Père aucune division ni aucune diminution. Mais on ne pourra guère s’empêcher d’être inquiet devant l’affirmation d’un double état du Verbe, d’abord intérieur, immanent au Père ; puis proféré au moment de la création. Tatien va jusqu’à dire que le Verbe est la première œuvre du Père, affirmation dangereuse s’il faut la prendre à la lettre. Même si, comme il est probable, il n’y a pas lieu d’insister sur le mot œuvre, on ne voit pas comment échapper à l’impression que, pour Tatien, la création du monde marque pour le Verbe le début de son existence personnelle.

Tatien ne parle guère du Saint-Esprit, sinon pour dire que l’Esprit de Dieu n’est point en tous les hommes, « mais en quelques-uns qui vivent justement ; il est descendu, s’est uni à leur âme et, par ses prophéties, a annoncé aux autres âmes l’avenir caché ; et celles qui ont obéi à la sagesse ont attiré en elles l’esprit qui leur est apparenté. » Orat., xiii. On retiendra cette doctrine de l’inspiration, dans laquelle Tatien se borne à reprendre des formules traditionnelles. Ajoutons que, un peu plus bas, l’apologiste appelle l’Esprit-Saint le ministre du Dieu qui a souffert : expression inattendue, dans laquelle on a voulu voir une affirmation de la personnalité du Saint-Esprit.

Athénagore.

L’Apologie d’Athénagore prétend donner à ses lecteurs un exposé de la doctrine chrétienne. Après avoir traité de l’existence de Dieu, elle poursuit : « J’ai donc suffisamment prouvé que nous ne sommes pas des athées, nous qui adorons le Dieu sans principe, éternel, invisible, impassible, incompréhensible, incontenable, qui ne peut être atteint que par l’intelligence et par la raison, qui est entouré par une lumière, une beauté, un esprit, une puissance ineffables, qui a fait, qui a créé, qui gouverne l’univers par son Verbe… (Lacune). Car nous admettons aussi le Fils de Dieu ; et qu’on ne me dise pas qu’il est ridicule que Dieu ait un Fils, car nous ne concevons pas Dieu le Père et Dieu le Fils à la manière des poètes… mais le Fils de Dieu, c’est le Verbe du Père en idée et en puissance, car c’est de lui et par lui que tout a été fait, le Père et le Fils ne faisant qu’un. Le Fils est dans le Père et le Père est dans le Fils par l’unité et la puissance de l’esprit. Le Fils de Dieu est l’intelligence et le Verbe du Père. Et si, dans votre haute sagesse, vous voulez savoir ce que signifie l’Enfant, je vais le dire en peu de mots. Il était la géniture du Père, non qu’il ait été produit, car Dieu, dès l’origine, étant une intelligence éternelle, avait avec lui son Verbe, puisqu’il est éternellement raisonnable (logiksos) ; mais, pour que, dans toutes les choses matérielles, qui étaient comme une nature informe et comme une terre stérile, les plus pesantes étant mêlées aux plus légères, il fût parmi elles idée et énergie, étant sorti au dehors. C’est ce qu’enseigne l’Esprit prophétique : « Le Seigneur, dit-il, m’a créée pour être le commencement de ses voies dans l’accomplissement de ses « œuvres. » D’ailleurs, ce Saint-Esprit lui-même qui agit sur les prophètes, nous disons que c’est une dérivation de Dieu, dérivant de lui et y remontant comme un rayon de soleil. Qui donc ne s’étonnerait d’entendre appeler athées des gens qui affirment un Dieu Père, un Fils Dieu, un Esprit-Saint, qui montrent leur puissance dans l’unité et leur distinction. « dans le rang ? » Apol., 10, P. G., t. vi, col. 908.

Ce passage est des plus remarquables. Pour la première fois peut-être, nous avons un exposé complet du dogme trinitaire. Sans doute, saint Justin avait employé déjà le raisonnement que reprend Athénagore pour montrer que les chrétiens n’étaient pas des athées, mais il avait beaucoup moins longuement présenté la croyance chrétienne. Ici, nous avons quelque chose de clair et qui s’efforce d’être définitif. D’abord un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Le Père est tout-puissant, éternel, invisible et le reste : la raison suffit à déterminer ses attributs. Quant au Fils, il est dans le Père comme le Père est en lui : Athénagore emprunte la formule à saint Jean, il ne saurait prendre de meilleur guide.

Pourquoi faut-il alors que l’apologiste semble dire que le Fils est sorti du Père au moment de la création du monde, après être resté en lui jusqu’alors ? Pense-t-il que le Fils n’a commencé à avoir une existence personnelle que lors de la création ? Les commentateurs ne sont pas d’accord sur le véritable sens du passage. Il est en tout cas permis d’insister sur ce fait que, pour Athénagore, Dieu n’a jamais été sans Verbe ; que, par suite, le Verbe n’a pas été créé, mais qu’il est sorti du Père. Après quoi, on peut ajouter que les formules destinées à mettre en relief le rôle du Verbe dans l’œuvre créatrice sont en effet ambiguës ; comme bien d’autres Pères, Athénagore a été gêné par le texte, déjà classique, des Proverbes, qu’il a cru devoir citer et qui, dans la traduction des Septante, semble favoriser l’idée de la génération temporelle du Verbe.

La formule relative au Saint-Esprit « qui dérive de Dieu et y remonte comme un rayon de soleil » a été également discutée et, comme toutes les métaphores, elle prête en effet le flanc à la critique. On peut croire cependant qu’elle veut surtout mettre en relief la divinité du Saint-Esprit, procédant du Père, envoyé par lui dans les âmes des prophètes et des saints, et qu’il serait fortement exagéré d’insister sur le retour vers le Père pour découvrir ici des tendances expressément sabelliennes.

Saint Théophile d’Antioche.

Parmi les apologistes, saint Théophile occupe une place à part parce qu’il est évêque. Il a charge d’âmes ; il est le représen-