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1615 TRINITÉ. LES APOLOGISTES 1616


milieu du IIe siècle confondre le Fils et l’Esprit de Dieu. On croira volontiers que l’Esprit qui vient habiter dans le Christ n’est pas, au sens strict le Saint-Esprit, mais seulement l’élément spirituel et divin, sans aucune précision. Dès lors, l’existence de la Trinité des personnes est sauvegardée. En toute hypothèse, les explications proposées par Hermas laissent à désirer ; leur imprécision nous empêche d’ailleurs de classer l’auteur du Pasteur soit parmi les adoptianistes, soit parmi les subordinatiens, soit parmi les binitariens ; on pourrait croire à première vue qu’il est l’un ou l’autre ; mais, comme il propose successivement diverses hypothèses, il faut conclure seulement que ses expressions trahissent sa croyance intime et la déforment.

La neuvième parabole semble avoir été composée un certain temps après le reste du livre ; et elle trahit une pensée plus ferme, bien que les incohérences n’en soient pas absentes. Il est manifeste qu’Hermas a de la peine à se mouvoir dans le monde des symboles qu’il a créés. Cette parabole, on le sait, raconte la construction de l’Église sous la forme d’ure tour qui repose sur un roc inébranlable, dans lequel a été creusée une porte neuve. Hermas interroge le Pasteur à ce sujet :

Avant tout, Seigneur, explique-moi ceci : qu’est-ce que le rocher et la porte ?— Le rocher, dit-il, et cette porte, c’est le Fils de Dieu. — Comment donc, Seigneur, le rocher est-il ancien et la porte neuve ? — Écoute et comprends, homme qui ne comprends rien. Le Fils de Dieu est né avant toute la création, de sorte qu’il a été le conseiller de son Père dans son œuvre créatrice. Voilà pourquoi il est ancien. — Mais la porte, Seigneur, pourquoi est-elle neuve ? — Parce que c’est aux derniers jours du monde qu’il s’est manifesté ; c’est pourquoi la porte est neuve (et elle a été faite) pour que ceux qui doivent être sauvés entrent par elle dans le royaume de Dieu… Nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu sinon par le nom de son Fils lui-même. — Le nom du Fils de Dieu est grand et infini et soutient le monde entier ; si donc toute la création est soutenue par le Fils de Dieu, que dire de ceux qui ont été appelés par lui, qui portent le nom du Fils de Dieu et qui observent ses commandements ? Simil., IX, xii, 1-5 ; xiv, 5.

Il n’est plus question ici de l’Esprit-Saint, sinon peut-être tout au début de la parabole, où le Pasteur déclare : « Je vais te montrer tout ce que t’a déjà montré l’Esprit-Saint qui s’est entretenu avec toi sous la figure de l’Église : car cet esprit est le Fils de Dieu. » Similit., IX, i, 1. Encore ne peut-on rien conclure de ce texte isolé, fait pour rattacher la neuvième parabole à la cinquième : l’Esprit-Saint n’est pas nécessairement une personne dans le langage d’Hermas. En toute hypothèse, le Fils de Dieu est nettement défini : il préexiste à la création ; il a été le conseiller de son Père dans l’œuvre créatrice ; il soutient le monde entier. Aux derniers jours du monde, il s’est manifesté, et l’incarnation n’est plus comme précédemment une habitation de l’Esprit-Saint dans une chair humaine, mais une ostension dont la véritable nature n’est d’ailleurs pas précisée. Enfin, le nom du Fils est le seul par qui les hommes puissent être sauvés : il faut, de toute nécessité, entrer dans la tour, par la porte qui est le Fils de Dieu. L’influence de l’Évangile de saint Jean est trop manifeste ici pour qu’il y ait lieu d’insister.

On s’étonne pourtant de voir encore le Fils de Dieu paraître au milieu des six anges glorieux comme s’il était le premier d’entre eux ; et comme, à la parabole VIII, l’ange grand et glorieux est nommé Michel, on se demande si Hermas n’a pas confondu le Fils de Dieu et l’archange Michel. Il faut, pour expliquer ces formules embrouillées, se souvenir des spéculations judaïques sur les anges. Dans l’Ancien Testament, l’ange de Jahvé jouait un rôle important, ci-dessus, col. 1551 ; Michel était présenté comme le gardien et le guide d’Israël. On peut croire qu’Hermas a pensé à tout cela et qu’il a voulu y faire allusion. Mais on n’attachera pas autrement d’importance à ces identifications passagères et superficielles.

En somme, la théologie d’Hermas est bien celle que nous pouvions attendre d’un chrétien de bonne volonté, attaché de tout son cœur à l’Église, mais assez ignorant des difficultés dans lesquelles il s’engage. Il ne faut pas lui demander des précisions ; il ne faut même pas s’étonner des incohérences ou des contradictions dans lesquelles il lui arrive de tomber. Rien de tout cela n’atteint l’essentiel de sa croyance.

III. LES APOLOGISTES.

La grande affaire des apologistes, c’est de défendre la foi chrétienne contre les objections des païens ou des Juifs. Lorsqu’ils commencent à écrire, entre 120 et 140, l’Église est déjà une force ; l’Évangile a été prêché un peu partout dans le monde romain. Les païens instruits s’inquiètent. Pline le Jeune a dû demander à l’empereur Trajan des instructions au sujet de ces gens qui chantent des hymnes au Christ comme à un Dieu. Lucien écrira bientôt dans le Peregrinus : « Les malheureux se sont persuadé qu’ils ne mourront jamais et qu’ils vivront éternellement… De plus, leur premier législateur leur a persuadé qu’ils sont tous frères entre eux, dès qu’ils ont rejeté et renié une bonne fois tous les dieux de l’hellénisme, pour adorer ce sophiste crucifié qui est leur maître et pour vivre selon ses lois. » Peregr., xiii. Et Celse lui fera écho : « Si l’unique objet de leur culte était le Dieu unique, ils pourraient peut-être argumenter puissamment contre leurs adversaires ; mais maintenant ils offrent un culte excessif à cet homme apparu récemment et pourtant ils ne croient pas offenser Dieu en adressant aussi leur culte à l’un de ses serviteurs. » Dans Origène, Contra Cels., VIII, 12, P. G., t. xi, col. 1533. Contre les philosophes qui attaquent le christianisme, il faut lutter par des arguments philosophiques. Telle est la mission que revendiquent les apologistes… Même ceux qui, comme Tatien, se moquent des philosophes ne font pas autre chose ; leurs arguments font partie de l’arsenal de la diatribe cynique.

Si désireux qu’ils soient de mettre en relief l’accord foncier du christianisme avec la raison et la sagesse humaine, les apologistes n’en sont pas moins avant tout des fidèles, attachés de toute leur âme aux enseignements de l’Église. Il ne faut pas s’y tromper : ce qui compte d’abord pour eux, c’est la croyance traditionnelle. Us essaient d’expliquer cette croyance, de la mettre à la portée des païens cultivés ; mais ils n’attachent pas d’autre importance à leurs arguments que d’être pour eux un instrument de conquête. Il pourra par suite leur arriver d’employer des formules inadéquates, des expressions suspectes : plus qu’à cela nous devons nous attacher aux passages dans lesquels s’affirmera leur adhésion à la foi commune.

Saint Justin.

Justin le Philosophe est, à bien des égards, le plus important des apologistes. U n’est pas seulement celui que nous connaissons le mieux. U est aussi celui qui a fait le plus d’efforts personnels pour réfléchir sur sa foi et pour l’exprimer en termes philosophiques.

Au point de départ de ses affirmations, prend place la croyance en Dieu. « Ce qui est toujours semblable à soi-même et immuable et cause de l’être pour tout le reste, c’est cela qui est Dieu. » Dial., 3 (textes de Justin dans P. G., t. vi). Cette définition platonicienne est d’ailleurs loin d’épuiser tout le contenu de l’idée de Dieu. Justin ne se contente même pas de dire : « L’ineffable Père et Seigneur de l’univers ne va nulle part, ne se promène, ni ne dort, ni ne se lève, mais il demeure à sa propre place où qu’elle soit ; il est doué d’une vue et d’une ouïe pénétrantes, non par le moyen des yeux