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2387 USURE. A LA RECHERCHE D’UNE THÉORIE NOUVELLE 2388

valeur pour la société entière, ce surcroît se traduit aussi par un bénéfice à l’avantage de la production elle-même. Comment se répartira ce profit entre les ayants-droit ?

Les socialistes, logiques avec leur système arbitraire qui attribue au seul travail toute l’efficacité dans la production de la valeur, refusent toutes les requêtes du capital en vue d’une rétribution quelconque. Peu leur importe que ce capital soit investi sous forme de prêt ou d’association. Ses réclamations sont également taxées, par eux, d’injustice ou d’usure. En dehors des réparations qu’exige le matériel, des amortissements pour l’entretien et le remplacement des machines, le capital est condamné au service gratuit et obligatoire.

Voici maintenant des économistes dont la situation n’est pas aussi nette. Ils ont été d’avis que le capital n’avait pas une part active dans l’accroissement de la valeur. Mais il reste nécessaire dans son rôle d’instrument. Si on ne lui accorde aucune prime il se dérobera à moins qu’on ne le réquisitionne par force, ce que n’envisagent pas ces auteurs qui ne sont pas socialistes, mais appartiennent plutôt à l’école libérale. La nécessité impose donc d’inscrire le capital au nombre des bénéficiaires.

Cette prime se justifierait, d’après les explications assez embarrassées qu’on nous donne, comme une façon de récompenser « l’abstinence » dont ferait preuve le capitaliste en soustrayant ses ressources à la consommation immédiate pour les apporter à l’œuvre productrice, à « l’économie sociale » ; ou bien elle représenterait une sorte de salaire correspondant au « travail » de l’épargne qui permet le placement des fonds ainsi accumulés. Viennent enfin les économistes qui admettent, comme il se doit, la fonction efficace du capital dans la « plus-value » des choses. Ceux-là n’ont pas besoin d’avoir recours à ces explications qui ressemblent à des excuses. Ils peuvent allouer au capital, dans la répartition des profits, une part proportionnée à son mérite. Et ils ne font pas diificulté de l’admettre, que ce capital provienne d’un prêt ou d’une association.

Mais une objection demeure en raison du principe dont ils sont partis. Car le droit du capital à la rétribution lui venait, d’après leurs dires, de son efficacité pour l’enrichissement social. Si donc cette efficacité n’est pas, dans tel ou tel cas, réelle, voici le capital débouté, par le fait, de ses prétentions. « Quand cette règle n’est pas satisfaite, nous dit un auteur contemporain, quand la société n’est pas enrichie, le revenu du capital est, en partie ou en totalité, de l’usure. En partie quand l’accroissement de production et de pouvoir d’achat est seulement insuffisant, en totalité quand il est nul. » Noël Bachet, Économie sociale corporative, p. 114. Et, passant aux applications, l’auteur en cause délimite avec soin, parmi les placements d’argent, ceux qui lui paraissent avoir droit à un revenu et ceux qui n’y sauraient honnêtement prétendre.

Et, par exemple, d’après le critérium qu’il a établi, il condamnera les prêts à court terme. Car le capital argent, pour être productif, doit pouvoir être remplacé par l’outillage ou conservé pour les besoins éventuels de la trésorerie. Il ne peut remplir ce rôle s’il est réclamé, à bref délai, par son premier propriétaire. Et de même les prêts, faits à l’État, ne justifieraient leur intérêt que s’ils sont « rentables », c’est-à-dire s’ils servent à couvrir des travaux, à procurer des avantages, susceptibles eux-mêmes d’enrichir la nation. Au contraire, les placements industriels à longue échéance, qu’ils se fassent sous forme d’obligations ou d’actions, « sont presque certainement rentables » et donc, moyennant certaines adaptations peut être pour les premiers, ils légitiment le revenu qu’ils réclament. Enfin, quand les investissements sont supérieurs aux besoins, la rémunération des capitaux est en partie de l’usure, car une fraction inutile de ces capitaux demande néanmoins son salaire. - Op. cit., p. 117.

c) Le capital dans l’ancienne discipline. — Ce n’est pas sous cet angle, que l’ancienne doctrine et la discipline de l’Eglise ont envisagé le capital et son emploi.

A vrai dire, la notion du capital ne coïncidait pas alors avec celle des modernes et le mot lui-même s’il était usité, n’avait pas l’exacte signification actuelle. Mais on peut retrouver des éléments communs qui suffisent à montrer la diversité ou la divergence des idées. La séparation des biens utilisables se faisait surtout, pour les anciens, entre les ressources dont l’usage se confondait avec la consommation et celles qui, plus stables, permettaient cet usage, sans altération profonde de leur substance. Ce sont ces dernières qui peuvent être rapprochées du capital entendu au sens moderne.

Mais le point, qui préoccupait les moralistes de jadis, n’était pas de savoir si ces ressources avaient une causalité, une efficacité dans l’économie générale et sociale, si elles augmentaient la richesse collective. Il leur suffisait d’examiner si le bien en cause pouvait valoir à son propriétaire un bénéfice légitime. Et la chose leur paraissait établie dès que l’usage, représentant une valeur séparée, distincte de l’objet lui-même, était cédé à autrui ; soit à un individu isolé, soit à un groupement. L’argent alors ne venait qu’en seconde ligne. Il avait droit lui-même à ce bénéfice s’il avait fourni ces ressources stables dans un contrat d’association où le bailleur de fonds restait propriétaire. Il ne pouvait plus prétendre qu’à une indemnité si, dans un contrat de prêt, le capitaliste, cessant temporairement d’être propriétaire, avait pourtant en mains l’un des titres extrinsèques qui autorisaient une compensation.

Ainsi l’examen des moralistes portait, non sur l’efficacité du capital dans la production, mais directement sur la justice de ses requêtes dans la répartition.

2. Le capitalisme actuel.

Quoi qu’il en soit de cette discussion, on voit comment elle a rebondi, de nos jours, à propos des placements d’argent. Et si la notion d’usure, autour de laquelle se mène le débat, n’est plus celle de jadis, au fond c’est le même problème qui se pose. On peut même dire qu’il s’impose avec plus de force qu’autrefois. L’une des affirmations du capitalisme est le droit de l’argent à produire partout et toujours intérêt. Mais cette prétention aboutit à de tels excès que le présent s’en trouve ébranlé, que l’avenir en est gros d’orages.

Il importe moins, à l’heure actuelle, de savoir exactement à quel titre l’intérêt se justifie dans un contrat de prêt que de trouver le moyen de discipliner l’argent dans ses manœuvres et ses combinaisons multiples. C’est l’ensemble de ces manœuvres, quand elles deviennent frauduleuses ou massives, que l’on peut qualifier d’usure, au sens élargi que donne, cette fois, au mot la réalité moderne. C’est contre les empiétements du capital que protestait Léon XIII déjà, dans l’encyclique Rerum novarum, quand il parlait de 1’ « usure vorace » comme du fléau de notre monde économique.

L’argent est passé sur le devant de la scène. Il fait figure de chef d’emploi. Il a d’abord acquis une mobilité extrême. Il a rompu toutes les amarres qui jadis lui rendaient malaisées les expéditions lointaines, le soumettaient à de strictes surveillances. Aujourd’hui, tous les procédés bancaires, toutes les méthodes de la finance, toutes les inventions fiduciaires ont ouvert