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2381 USURE. A LA RECHERCHE D’UNE THEORIE NOUVELLE 2382

Ou bien la loi édictait un emprunt public. C'était le cas, par exemple, de ces cités italiennes dont nous avons vu que le budget recourait souvent, moyennant intérêt, à la bourse des citoyens. Il arrivait aux moralistes d’alors, fût-ce au prix d’une hypothèse ellemême assez gratuite, d’estimer qu’il y avait là libéralité gracieuse des pouvoirs publics pour reconnaître l’empressement des contribuables à rendre ce service financier.

Mais, à côté de ces explications, il n’est pas douteux que d’autres, spécialement au xviiie siècle, chez les juristes, légistes, et même les théologiens, ont donné les décisions légales, en matière de prêt, comme un titre susceptible, à lui seul, de justifier la perception d’un intérêt. Leur position était alors la suivante : « Admettre la validité du titre légal…, c’est soutenir que cet intérêt, d’injuste qu’il était en lui-même et de droit naturel, devient juste et licite en vertu de la loi civile… D’un côté, on convient que le prêteur n’a droit naturellement qu'à la restitution de son capital… Mais, d’autre part, on affirme que le Prince confère au prêteur le droit que celui-ci revendiquait sans raison, et qu’il impose à l’emprunteur l’obligation de payer plus qu’il ne doit et qu’il n’a reçu. » Bacuez, De l’intérêt et de l’usure, p. 27, cité par Van Roey, p. 291.

Pour appuyer cette thèse, ses partisans font appel au domaine souverain de l'État en ce qui concerne le bien public et ils apportent, en outre, des analogies avec la prescription qui transfère, moyennant certaines conditions rares et exceptionnelles, la propriété d’un bien à un autre titulaire que son premier possesseur. Ces raisons ne sont pas convaincantes. Si l’intérêt, dans le prêt, est interdit par la nature des choses, la loi civile ne saurait avoir la vertu de lever, par elle-même, cette prohibition. Et le bien public subirait plutôt un dommage par l’intrusion de la justice légale intervenant pour troubler la justice commutative, celle qui préside à l'établissement et à l’exécution correcte des contrats.

2. Autres éléments à considérer.

a) L'élément du temps. — I.e délai, qui s’interpose, dans un contrat de prêt, entre le jour de l’emprunt et celui du remboursement, peut-il justifier la réclamation d’un intérêt ? Parfois jadis, les lois civiles, que nous mentionnions plus liant, se sont servies encore de cet argument pour appuyer leurs décrets financiers.

Il est sûr. par ailleurs, que, si cette prétention était admissible, la discussion devrait aussitôt cesser. Car le délai entre, comme un élément essentiel, dans tout contrat de crédit. S’il donne droit, par lui-même, à toucher un surplus, tout prêt satisfait à cette condition et l’on traite d’une chimère en parlant de sa gratuité.

Cependant quelques théologiens d’autrefois n’ont pas dénié toute valeur à l’argument qui se fondait sur le temps. Ils disaient que ce délai du remboursement constituait, pour le prêteur, une privation financièrement appréciable.

Sous une autre forme, avec une autre formule, un économiste autrichien moderne, M. von BôhmBawerk, a soutenu une proposition analogue. Il allègue que les biens actuellement prêtés ont. pour leur propriétaire qui s’en dessaisit, une valeur réelle plus grande que ceux dont le remboursement rend plus tard le seul équivalent numérique. En sorte (pu-cet h' différence, el le délai qui la marque, fonderaient le droit a un Intérêt pour la somme avancée. Mais il faut se rappeler la nature même du contrai de prêt, du muluum, très différent d’une location. Dans cette dernière, l’objet, provisoirement cédé. Comporte un usage séparable, distinct, de l’objet lui même. Le propriétaire conserve aussi, sur cet usage, un droit. Il |ieul donc se faire indemniser' pour la privation

temporaire de ce droit, fl n’en va pas de même pour l’argent prêté. Celui-ci est devenu — provisoirement mais réellement — la propriété de l’emprunteur. L’usage n’est pas ici distinct de la consommation, de la dépense. Il ne constitue donc pas une valeur à part, supplémentaire. Il n’est point pécuniairement appréciable, susceptible d'être tarifé. Sauf dans les cas où cette privation devient, pour le prêteur, onéreuse en raison de circonstances spéciales, c’est-àdire sauf les cas où interviennent les titres extrinsèques classés et reconnus, le temps n’est point, en lui-même, motif à une compensation régulière.

Et c’est la doctrine qu’ont sanctionnée, par la condamnation des théories contraires, les souverains pontifes Alexandre VII en 1660 et Innocent XI en 1679. Denz.-Bannw. n. 1142 et 1192.

b) Le « lucrum cessans » généralisé. — Ainsi donc, le temps, indépendamment des titres extrinsèques qui peuvent y être inclus, ne saurait autoriser l’usure même modérée. Mais précisément, dans les circonstances contemporaines, l’un de ces titres, tout au moins, ne manque plus jamais à l’appel.

C’est le lucrum cessans, que nous avons vu étendre son rayon avec les métamorphoses du monde économique, triompher des objections que saint Thomas lui opposait encore, de la défiance qui l’ont rendu longtemps suspect et avoir cause gagnée à partir du xvie siècle.

Aujourd’hui, il est avéré que le fait d’avancer de l’argent entraîne, pour le bailleur de fonds, s’il le fait gratuitement, un manque à gagner certain. Car l’argent disponible trouve aisément à se placer dans des entreprises qui ont toujours été considérées comme légitimement lucratives. Il y aurait évidemment cercle vicieux à autoriser le revenu du prêt, sous couleur que ce prêt trouve aujourd’hui de multiples occasions de se conclure avec stipulation d’intérêt. Mais, nous le répétons, ce sont les contrats, admis de tout temps comme lucratifs, basés sur une association, qui sont aujourd’hui multipliés. Dès lors, le prêt ne saurait demeurer gratuit sans causer, pour ceux qui le consentent, ce manque à gagner, ce lucrum cessans classé parmi les titres qui légitiment une indemnité compensatrice. Et ce régime est si établi qu’il dispense même de la preuve à faire dans chaque cas particulier.

Il peut donc sembler que nous ayons la clef du problème et la raison suffisante qui explique, justifie, l’autorisation accordée à la perception ordinaire d’un intérêt dans les contrats de prêt actuels. Encore faut-il voir que cet intérêt, même vulgarisé, garde le caractère d’une indemnité pour charges occasionnelles, risques adventices, et n’acquiert pas celui d’un revenu régulier. Si larges que soient les autorisations qui en résultent, elles semblent, à plusieurs, insuffisantes. Toute théorie qui justifie le revenu par des raisons extrinsèques, accidentelles au prêt lui-même, pourra être indéfiniment élargie : elle restera toujours insuffisante.

V. À la iieciiehc.uk d’une théorie nouvelle. Les contrats de crédit et de placement d’argent ont pris, à l’heure actuelle, une trop grande importance pour qu’on puisse les introduire dans nos institutions par une porte de côté et les loger dans les dépendances. Il faut reconnaître ces exigences actuelles et en tenir compte. Mais il importe alor.s de déterminer avec soin (fans quelles condiliitns et selon quelles formes de contrat l’argent peut légitimement rapporter à litre intrinsèque. Tiberghlen, L’encyclique Vixperventt, Éditions Spes.

I" La productivité virtuelle de l’argent. Les contrats, où l’argent peut légitimement rapporter à titre intrinsèque, n’ont |amals été ignorés. Nous les avons vu figurer sous la forme îles associations, des rentes…