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1613 TRINITÉ. LES PÈRES APOSTOLIQUES 1614

ne peuvent pas faire autrement, puisqu’ils le saluent du titre de Sauveur : que serait le salut si Jésus n’était pas Dieu ? Jésus est aussi le juge des vivants et des morts ; on reconnaît là un titre emprunté à la catéchèse apostolique et destiné à figurer dans le symbole.

On doit encore citer la doxologie finale : « Au Dieu unique et invisible, au Père de la vérité, à celui qui nous a envoyé le Sauveur et l’auteur de l’incorruptibilité et qui, par lui, nous a manifesté la vérité et la vie supracéleste, à lui soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen. » xx, 5. L’Esprit-Saint n’est pas mentionné ici, et c’est à peine si l’auteur de l’homélie y fait quelques allusions rapides. Son silence n’est pas pour nous étonner.

Le Pasteur d’Hermas.

De tous les Pères apostoliques, Hermas est assurément celui dont la théologie est la plus déconcertante : on a essayé parfois d’expliquer ses formules dans un sens acceptable et l’on y est parvenu non sans peine. Il est plus vraisemblable de penser que l’auteur du Pasteur ne se préoccupe guère de la précision des termes et qu’il se contente de parler un langage familier là où il faudrait faire attention aux formules. Homme privé, Hermas n’a d’ailleurs pas d’autre autorité que celle qui lui vient de son antiquité et du crédit dont ont joui ses visions dans quelques parties de l’Église ancienne. Si l’Egypte a cité le Pasteur avec éloges, si même quelques écrivains l’ont rangé parmi les livres inspirés, il ne faut pas oublier que, dès le début du IIIe siècle, Tertullien, devenu montaniste, il est vrai, en a parlé en termes sévères. Les opinions à son sujet ont toujours été discutées. Il ne nous sera pas interdit de tenir compte de ces divergences pour apprécier ses essais d’explications.

Le dogme monothéiste est fermement mis en relief par Hermas : « Avant tout, crois qu’il n’y a qu’un Dieu, qui a tout créé et consommé et a fait de rien toutes choses pour qu’elles existassent. » Mand., I, 1. Tel est le premier commandement ; tel est aussi le premier article du symbole. Le chrétien admet, avant toute autre chose, l’existence d’un Dieu unique, créateur du ciel et de la terre. Et, dans tout l’ouvrage, c’est ce Dieu unique qui est mis en relief ; c’est à lui que vont les adorations et les louanges des fidèles. Jésus-Christ n’est même pas nommé dans le Pasteur, et l’on a expliqué cette omission étrange par l’atmosphère de suspicion dans laquelle vivaient les chrétiens de Rome au temps de la composition du livre et qui rendait dangereuse la seule mention du Christ. L’explication n’est pas invraisemblable ; encore faut-il ajouter que le prophète ne sent pas le besoin de s’appuyer sur le rôle historique du Sauveur et que ses regards sont bien plutôt orientés vers l’avenir que vers le passé.

Ce n’est pas à dire qu’Hermas se désintéresse de la spéculation proprement dite et, lorsqu’il en a l’occasion, il essaie, tant bien que mal, d’expliquer sa croyance. La cinquième parabole mérite une mention spéciale. L’auteur y raconte l’histoire d’une vigne dont le propriétaire a confié le soin à un serviteur fidèle et dévoué. Comme la vigne a prospéré sous la conduite de ce serviteur, le père, après avoir pris conseil de son fils, qui est aussi son héritier, et de ses amis, décide de l’adopter et de le faire cohéritier de son fils. Et voici le sens de la parabole : « Le champ c’est le monde. Le maître du champ est celui qui a tout créé et tout achevé et confirmé ; le fils est le Saint-Esprit. Le serviteur est le Fils de Dieu ; la vigne, est ce peuple qu’il a planté ; les pieux (de la clôture) sont les saints anges du Seigneur qui gouvernent son peuple ; les herbes arrachées de la vigne sont les infidélités dei serviteurs de Dieu ; les mots envoyés du festin sont les commandements que Dieu a donnés à son peuple pur son fils ; les amis et les conseillers sont les saints anges qui ont été créés les premiers ; l’absence du maître, c’est le temps qui reste jusqu’à sa parousie. — Je lui dis : Seigneur, tout cela m’apparaît grand, magnifique et glorieux… Mais explique-moi encore ce que je vais te demander. — Pourquoi le Fils de Dieu est-il représenté comme un serviteur dans la parabole ? »

Nous comprenons cette question, et nous sommes d’accord avec Hermas pour la poser au Pasteur. Voici la réponse : « Écoute ; le Fils de Dieu n’est pas présenté comme un serviteur, mais en grande puissance et seigneurie. — Comment, Seigneur, lui dis-je ? je ne comprends pas. — Dire que Dieu a planté une vigne, c’est dire qu’il a créé son peuple et l’a confié à son fils ; et le fils a établi les anges sur le peuple pour le garder ; et lui-même a effacé leurs péchés avec beaucoup de peines et de labeurs ; car on ne peut bêcher une vigne sans travailler et sans peiner. Ayant donc effacé les péchés du peuple, il lui a montré les chemins de la vie, lui donnant la loi qu’il avait reçue de son père. Tu vois qu’il est le Seigneur du peuple, ayant reçu de son père toute-puissance. Quant à ce que le Maître a pris conseil de son fils et des anges glorieux pour admettre son serviteur à l’héritage, écoute : L’Esprit-Saint qui préexistait, qui a créé toute créature, Dieu l’a fait habiter dans la chair qu’il a voulu. Or, cette chair où a habité l’Esprit-Saint a bien.servi l’esprit, se conduisant saintement et purement, sans souiller l’esprit d’aucune façon. Cette chair donc, qui s’était montrée bonne et pure, qui avait travaillé avec l’esprit, qui l’avait secondé dans toute son œuvre, qui s’était comportée fortement et virilement, il l’a élevée jusqu’à l’associer au Saint-Esprit. Car cette chair avait plu à Dieu parce que, sur terre, portant le Saint-Esprit, elle n’avait pas été souillée. Il a donc pris conseil du Fils et des anges glorieux pour que cette chair, qui avait irréprochablement servi l’esprit eût une habitation et ne fût pas privée de la récompense de ses services. » Simil., v, 5-6.

Aussi bien la parabole elle-même que son explication sont embrouillées comme à plaisir. On pense d’instinct à la parabole des vignerons dans l’Évangile, et Hermas, le premier, a dû y penser lorsqu’il a écrit cette page du Pasteur. Mais, tandis que, dans l’Évangile, tout est clair et cohérent, ici tout est obscur et c’est en vain que l’auteur essaie de se dépêtrer dans la multitude des détails qu’il a accumulés et dont ensuite il ne sait guère trouver une interprétation satisfaisante. Il semble d’abord que le Fils de Dieu soit identifié avec l’Esprit Saint, tandis que le serviteur, chargé de soigner la vigne et de la faire fructifier, n’est autre que le Seigneur Jésus ; celui-ci travaille si bien que ses mérites lui valent, sur le conseil de l’Esprit-Saint et des grands anges, le titre et la dignité de Fils de Dieu. Mais ici, la conscience chrétienne proteste : comment le Seigneur Jésus ne serait-il qu’un serviteur ? comment ne serait-il qu’un fils adoptif de Dieu ? Hermas se rend bien compte de cette protestation et il ajoute un commentaire nouveau : après avoir glorifié les labeurs du Christ, il explique que l’esclave de la parabole n’est pas le Christ tout entier comme précédemment, mais seulement le corps qu’a habité l’Esprit Saint, disons, si l’on veut, l’homme dans lequel a résidé le Fils de Dieu ; c’est ce corps, cette chair, cet homme que Dieu a élevé et glorifié en l’admettant à la possession de la gloire éternelle.

Cette nouvelle explication laisse encore beaucoup à désirer. Non seulement elle détruit l’unité de la personne du Christ ; mais, du point de vue de la théologie trinitaire, elle semble identifier le Fils de Dieu et l’Esprit Saint, c’est-à-dire qu’elle aboutit au binilarisme. Cette conclusion est trop absolue : on conçoit mal qu’un chrétien, même peu théologien, ait pu, nu