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2363 USURE. L’ÉPOQUE CLASSIQUE, PRINCIPES GENERAUX 2364

ses créanciers en rentiers perpétuels à 5%, munis de titres négociables. Voir J. Hamel, op. cit., p. 80 sq. ; pour Gènes, les ouvrages de 11. Harisse et de H. Sieveking ; pour Florence, ceux de B. Barbadoro ; pour Venise, de G. Luzzatto.

Fallait-il considérer cette opération comme usuraire ? Question très controversée, qui finit par tourner en querelle d’ordres mendiants. Endemann, op. cit., t. i, p. 454 sq. L’opinion sévère alléguait le caractère illicite de la superabundantia, versée annuellement, et qui finirait par dépasser le capital. Pour la négative, on insistait sur le fait qu’il n’y a point mutimm, mais contribution obligatoire, non-remboursable à la demande du créancier, versée sans espoir cupide. C’est l’État qui a décrété la rente et il a des revenus annuels pour l’acquitter. Le risque est grand de ne point revoir le capital même. Et pourquoi pénaliser l’affectation à un intérêt public de sommes qui eussent pu, librement employées, procurer des gains ? L’élément de nécessité, d’organisation unilatérale par les pouvoirs souverains paraît déterminant à la Summa Pisana. Un citoyen qui souscrit ou qui vend son titre embarrasse davantage les auteurs : Zabarella le met hors de cause, car il n’y a point vrai mutuum, ni vraie liberté. On trouvera un copieux exposé de la dispute dans Laurent de Rodulpfais, op. cit., p. 32 sq. ; Ambroise de Vignate, op. cit., p. 55 ; saint Antonin, op. cit., c. Il (très important) et aussi dans le Consilium 303 de Frédéric de Sienne.

7. Monts-de-piété.

Les masses patrimoniales que constituaient les montes profanes servirent d’exemple aux franciscains pour établir le crédit mutuel, d’abord gratuit : le premier mont-de-piété fut fondé en 1462 à Pérouse. H. Scalvanti, II Rions Pietatis di Perugia, Pérouse, 1K92. L’institution se répandit promptement dans les Marches, en Toscane, puis dans le Nord de l’Italie. Elle reçut sa forme définitive de Bernardin de Feltre, dont la première fondation fut faite à Mantoue en 1484. R. P. Ludovic de Besse, Le bienheureux Bernardin de Feltre et son œuvre, t. ii, Paris, 1902. Le principe en était l’appel aux capitaux disponibles de la bourgeoisie, et le versement par l’emprunteur d’un intérêt annuel qui fut d’abord fixé à 10 %. En 1486, Innocent VIII approuvait et recommandait l’établissement ; en 1493, le chapitre général de l’ordre franciscain acceptait la nouvelle formule et défendait, à l’avenir, la création de monts gratuits. Une ardente controverse fut ouverte par les défenseurs des maximes rigoureuses, qui se trouvaient être en même temps des religieux non-franciscains. Nicolas Barian, ermite de Saint-Augustin, publia en 1496 un pamphlet : De monte impietatis, où il exposait la doctrine traditionnelle du mutuum. À quoi Bernardin de Busti répondit par un Defensorium achevé en 1497, où il analyse en deux contrats successifs l’opération du mont-de-piété : un prêt sur gages, consenti par l’établissement, puis un louage de services entre employés et emprunteur. Ce dernier contrat est onéreux. La voie était ouverte à la pratique des intérêts et à la justification casuistique. Frais généraux, usage bienfaisant, responsabilité du gage : autant d’arguments qui pouvaient servir à d’autres qu’aux frères mineurs, et dont ceux-ci reconnaissaient, d’ailleurs, la valeur générale. L’Église universelle devait, dans deux conciles œcuméniques, approuver leur œuvre et, par le fait même, la légitimité de certains intérêts.

Tout l’essentiel de cette histoire se trouve dans Flolzapfel, Die Anfànge der Montes Pietatis (14621515), Munich, 1903, et M. Weber, Les origines des monts-de-piété, thèse soutenue à la Faculté de droit de Strasbourg en 1920.

5° Conclusion : principes généraux de la doctrine classique. — Est-il possible de reconnaître dans cette

succession de cas les principes généraux du supplément licite ? Les auteurs ne s’en sont point préoccupés, au Moyen Age. Nous pouvons, cependant, les identifier.

1. Damnum emergens.

Le prêteur a-t-il subi un dommage, il a droit à réparation complète. Ainsi le retard du remboursement justifie l’intéresse, notion fondamentale qu’invoqueront également les fondateurs des monts-de-piété.

2. Lucrum cessons.

En prêtant, le capitaliste s’est privé peut-être d’un placement avantageux. Les Romains et les romanistes associaient étroitement cette notion à celle du dommage ; voir les textes de Justinien et un fragment de Cinus dans Mac Laughlin, op. cit., p. 146. Les canonistes ont beaucoup hésité : cependant, la décrétale d’Alexandre III relative à la vente à crédit, Décrétâtes, t. V, tit. xix, c. 6, peut être comprise comme une indemnité accordée au vendeur pour le gain probable auquel il aurait renoncé, en vendant à une époque moins favorable, sans percevoir aussitôt le prix. Et la doctrine deux fois romaine a été défendue par Hostiensis et Panormitanus.

3. Stipendium laboris.

Recevoir un supplément avec la somme prêtée en mutuum peut être licite, quand il s’agit du salaire d’un travail ou d’un service. Durand de Saint-Pourçain donne l’exemple de l’emprunt forcé. In 7// um Sent., dist. XXXVII, q. n. Le change manuel, l’administration des monts-de-piété, d’une façon générale toutes les opérations de banque justifiaient le même titre.

4. Periculum sortis.

Le risque d’insolvabilité ou de mauvaise foi de l’emprunteur ne suffit pas à justifier l’usure. Tel est le principe général du mutuum, contrat gratuit, et il est affirmé dans un cas extrême, par la décrétale Naviganti. Cependant, saint Thomas considère le risque comme un des fondements de l’intérêt, dans la société.

5. Ratio incertitudinis.

Quand l’issue d’une opération est incertaine, que l’on ne sait si elle sera finalement coûteuse ou profitable, la doctrine tend à écarter le soupçon d’usure. Nous avons relevé cette attitude en plusieurs décrétales, t. V, tit. xix, c. 6 et 19 ; cf. Gilles de Lessines, op. cit., c. vi. Une telle incertitude justifie le prix fort dans la vente à terme : pas d’usure, s’il y a doute et risque (fortuilum periculum). Robert de Courçon, op. cit., p. 61. Gl. ordin. in c. 9, caus. XIV, q. iv. L’acquisition de créances litigieuses au-dessous de leur valeur théorique est autorisée pour la même raison : il y a là une véritable vente et l’acheteur risque de ne toucher qu’une part de la somme due. Panormitanus, in c. 6, Décrétales, t. V, tit. xix.

De même, la rente viagère est autorisée par les romanistes, à cause de l’incertitude. Cinus et Baldus, Corp. juris, t. IV, tit. xxxii, c. 14. Canonistes et théologiens redoutent, cependant, en de pareils cas, l’espérance usuraire. Geoffroy de Trani, vers 1240, et Henri de Gand, dans ses quodlibets i, n et vin (1276, 1277, 1285), professent l’hostilité. L’achat d’un bien avec clause de retour au vendeur à l’instant de la mort de l’acheteur est usuraire, selon Raymond de Peiiafort et Goffredus, l’acheteur ayant l’espoir d’une vie assez longue pour que la valeur des fruits perçus dépasse le capital versé. Hostiensis, suivi par Archidiaconus, laisse au confesseur le soin de démêler l’intention de l’acheteur. Mac Laughlin, op. cit., p. 121. « Doute et risque ne peuvent effacer l’esprit de lucre, c’est-à-dire excuser l’usure », déclare Gilles de Lessines, op. cit., c. vi. Mais quand il y a incertitude et non point calcul, ratio dubii sive periculi potest supplere œquilatem justifiée, car c’est la nature des choses qui fera la différence du prix et non point la vente du temps. En somme, c’est moins l’idée de risque accepté