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2359 USURE. L'ÉPOQUE CLASSIQUE, OPÉRATIONS LICITES

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taie de lucre, donc usure, bien que l’on dise : change. » Références nombreuses dans Bertachini, op. cit., au mot : Cambium.

Conclusion. — Ainsi, l’afflux et le besoin des richesses mobilières multipliaient les occasions de prêts et d’usures. Une application rigoureuse de la notion de superabundantia excluait toutes opérations profitables, qu’elles fussent ou non frauduleuses. Mais une saine intelligence des intérêts de l'Église et de la société civile conseillèrent, nous l' allons voir, des atténuations nombreuses.

Exceptions.

Canonistes et théologiens groupent parfois les cas où le prêteur peut recevoir un

surplus. Hostiensis les aligne en cinq vers : mais des douze opérations qu’il énumère, bien peu sont de véritables exceptions aux interdits usuraires, et il n’y comprend point le cas de nécessité, que nous placerons en tête d’une liste qui se bornera, par la suite, à certains cas intéressant l'Église (gages ecclésiastiques, fidéjusseurs de clercs) ou la famille (dot, orphelins).

1. Cas de nécessité.

C’est une question très débattue que celle des fins justificatives de l’usure.

L’excuse d’urgente nécessité est admise par Robert de Courçon, op. cit., p. 55. Selon Hostiensis, la nécessité, qui rend toutes choses communes, atténue la faute : qui intendit… tantum necessitati suse providere… videtur quod non peccet… sed non propter hoc excusutur a toto. Lectura, in c. 3, Décrétâtes, t. V, tit. xix. Il se trouve même au xive siècle, selon Bohic, des laxistes qui justifient l’emprunt à intérêt par la seule utilité économique. Une œuvre excellente, comme serait de nourrir des affamés, de bâtir une église, autorise-telle à emprunter usurairement ? Robert de Courçon met hors de cause l’emprunteur, op. cit., p. 18. Innocent IV consacre à ce doute une fine dissertation, in c. 4, Décrétâtes, t. V, tit. xix. Réponse affirmative si l’usurier est en plein exercice et place n’importe où son argent : on le priera de le prêter gratis. S’il refuse, mieux vaut, après tout, qu’il l’affecte au salut public. Était-il, au contraire, en voie de repentir, on évitera de l’enfoncer dans son crime. Saint Thomas exonère de faute celui qui emprunte à usure pour subvenir à ses besoins ou à ceux d’autrui. Sum. theol., toc. cit., a. 4, resp. : « Induire un homme au péché n’est en aucune façon permis : quant à tourner au bien le péché d’autrui, voilà qui est licite, car Dieu, lui aussi, utilise tous péchés à bonne fin… D’aucune façon, il n’est permis d’induire un homme à des prêts usuraires, mais il est permis d’emprunter à un usurier professionnel en vue d’un bien comme de pourvoir à une nécessité personnelle ou altruiste. De même que la victime des larrons peut leur dévoiler sa bourse, les incitant au vol, pour éviter l’homicide. » La décrétale Super eo, t. V, tit. xix, c. 4, généralement comprise avec rigueur, comme excluant les plus nobles motifs d’usure, laissait la porte ouverte à l’emprunteur, pour qui les théologiens faisaient jouer la théorie du moindre mal. Le cas de nécessité devait autoriser les emprunts de l'Église elle-même et, par un exemple éclatant, porter un coup au principe de l’interdit. Bien que les textes cachent souvent la promesse d’usure, nous avons assez de preuves de la contrainte où furent les papes, les évêques, les monastères de recourir aux offices des prêteurs d’argent.

2. Gages ecclésiastiques.

En prohibant le mortgage, Alexandre III exceptait le cas où l’opération remettrait aux mains de l'Église un bénéfice détenu jusqu’alors par un laïque. Décrétâtes., t. V, tit. xix, c. 1 ( Plures clericorum). Le créancier garde le revenu du gage non par esprit de lucre, mais pour faire rentrer dans le patrimoine sacré un bien qui, lui étant affecté par nature, en fut détourné contre le droit. La doctrine tendit à généraliser le principe, étendant

à tout droit récupéré comme gage par l'Église et même par un laïque le privilège du canon. Alexandre III en avait fait application expresse aux terres et aux dîmes inféodées des monastères. Décrétâtes, t. V, tit. xix, c. 8 (Conquestus est) et Jafîé, Regesta, n. Il 118 (a. 1164-1165) ; Innocent III. à un fief revenu aux mains de l'évêque de Saînt-.Iean-de-Maurienne, ibid., t. III, tit. xx, c. 1 fhisinuatione), en déliant Le vassal de tout service. Canonistes et théologiens ont d’abord souligné le caractère favorable à l'Église de cette solution. Puis, avec Hostiensis, ils ont été enclins à l'étendre aux laïques : le suzerain qui reçoit en gage son fief réunit le domaine utile au domaine direct et, par conséquent, perçoit les revenus de son bien fortuitement remembré. Mac Laughlin, op. cit., p. 126-130.

3. Fidéjusseurs.

L'évêque d’Ely et l’archevêque de Cantorbéry eurent l’occasion d’interroger le pape Lucius III sur les droits de fidéjusseurs qui ont dû verser à des banquiers bolonais la somme prêtée aux clercs qu’ils cautionnent, et supporter quelques débours supplémentaires, appelés damna, debitum augmentatum, accessiones, et qui sont évidemment des usures : si les faits sont vérifiés, la cour épiscopale ordonnera le remboursement intégral. Décrétâtes, t. III, tit. xxii, c. 2 (Pervenit) et c. 3 ( Conslilulus). Les canonistes remarquent : il n’y a point lucrum, mais intéresse, vitatio damni. En versant, outre le capital, des usures — le mot est sous la plume d’Innocent IV — le débiteur ne fait qu’indemniser sa caution. Pourquoi celle-ci a-t-elle payé l’usure, au lieu d’opposer l’exception ? Geoffroy de Trani suppose qu’elle tenait un serment. Mac Laughlin, op. cit., p. 130-131.

4. Dot.

Quand un père de famille, voulant doter sa fille et ne disposant point du fonds prévu, remet en gage un bien frugifère, les fruits seront la propriété du gendre et il n’aura point à les imputer sur le capital, au jour du versement. Telle est la décision d’Innocent III, qu’il justifie par le but même de la dot : soutenir les charges du ménage. Décrétâtes, t. V, tit. xix, c. 16 (Salubriler). En attendant qu’elle soit constituée, le gage la remplace et il est donc normal qu’il en assume la fonction. Hostiensis ajoute que l’intégrité de la dot est ainsi sauve, conformément à l’utilité publique, et que le mari serait lésé par l’ajournement du revenu. Innocent IV considère qu’il y a intéresse, simple compensation du dommage causé par le délai. De nombreuses questions se posaient, au cas de décès d’un des époux avant le règlement de la dot. Mac Laughlin, op. cit., p. 131-134.

5. Biens de protégés.

La doctrine se montrait libérale envers la femme et l’orphelin, permettant à la première de faire fructifier en certains cas sa dot, même par un dépôt bancaire, voir les commentaires du c. Per vestras, Décrétâtes, t. IV, tit. xx, c. 7. Elle admettait aussi que l’orphelin pût recevoir récompense de ses emprunteurs, Gilles de Lessines, op. cit., c.xii, et indemnité proportionnelle de son tuteur négligent dans le placement des deniers.

Conclusion. — Au sens propre du mot, il n’y a point d’exception avouée à l’interdit de superabundanlia. Moindre mal, retour légitime, débours, subrogation, la doctrine fournit les justifications qui semblent respecter le principe fondamental, tout en permettant des anomalies. Il fallut pousser plus loin le libéralisme, autoriser mainte opération d’allure équivoque, sous la pression des besoins économiques ou politiques.

Opérations licites.

Beaucoup d’opérations donnèrent lieu à des doutes, parce qu’elles procuraient des

gains, sans effort du capitaliste : elles rétribuaient ou semblaient rétribuer la simple avance de fonds. Examinons ces cas litigieux, qui furent peu à peu éliminés du domaine présumé de l’usure.