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USURE. L’ÉPOQUE CLASSIQUE, THÉORIE GÉNÉRALE 2354

2. Gage.

La discussion rebondissait à l’occasion des gages que s’appropriait l’usurier non payé. Saint Antoine résume les arguments et conclut que le gagiste est propriétaire. Op. cit., c. viii, § 17. Toutefois, il ne conseille point une opération qui donne lieu à tant de disputes.

3. Lucre médiat.

Ceux qui considéraient comme furtifs les objets usuraires devaient envisager tout le destin de ce capital réprouvé. Il pouvait être transformé. Robert de Courçon, op. cit., p. 50-54, affirme que l’on convertissait souvent en monnaie de foire les lingots formés par la fusion de deniers usuraires. La tache originelle subsiste : Corruptione radicis est corruptum quod unde derivatur. Plus communément, l’usurier achètera une terre. Nous le savons par maints exemples, et comment les banquiers florentins devinrent de grands propriétaires fonciers. A. Sapori, / mului dei mercanti fiorentini del Trecentoe l’incremento delta propriété fondiaria, dans Rivista del dirilto commerciale…, t. xxvi, 1928, spécialement, p. 236-241. Gervais du Mont-Saint-Éloi se demande si les fruits sont licitement perçus : Utrumliceat alicui vivere de fruclibus provenientibus ex agro empto de pecunia usuraria. Quodlibet, q. lxxi, Bibl. nat., lat. 15 350, fol. 2. Nous retrouverons ce problème au chapitre de la restitution.

4. Aumônes.

Pour éviter la réprobation divine ou humaine, les usuriers se montraient généreux. Ils bâtissaient des églises et des ermitages, des hôpitaux et des léproseries, offraient des vitraux, des dortoirs. Robert de Courçon, op. cit., p. 35. Retenant leurs rapines, ils font les libéraux. Tabula exemplorum, p. 72. Dans leurs testaments, ils comblent les pauvres, A. Sapori, L’intéresse del danuro…, loc. cit., p. 161 sq., dotent les filles sans fortune, Doren, op. cit., p. 430. Que valent tant de générosités ?

Toute une question du Décret de Gratien est consacrée à leurs aumônes (xiv, 5) : elles sont inacceptables. Alexandre III confirme cette doctrine au IIIe concile du Latran, qui refuse les oblations de l’usurier et dans une lettre à l’archevêque de Palerme, etiam pro redimenda vita caplivi. Décrétâtes, t. V, tit. xix, c. 3 (Quia in omnibus) et 4 (Super eoj. Un des buts de Robert de Courçon est de fustiger les abbés qui acceptent les dons des usuriers. Op. cit., p. 22-32. Cependant, la question n’était point aussi plane que le laisseraient supposer les textes catégoriques du Corpus. Nombre de quodlibets le prouvent, où l’on dispute si l’usurier peut, de ses gains, faire l’aumône et surtout si le pauvre peut licitement accepter : Gilles de Rome, quodl. ii, q. xxvi ; Gervais du Mont-Saint-Éloi, q. xlii ; Raymond Rigauld, quodl. vii, q. xviii. Cf. Glorieux, op. cit.. t. i, p. 138, 143 ; t. ii, p. 248.

Conclusion. — Sur les principes généraux, l’accord est parfait entre les docteurs : tout avantage procuré par le prêt d’argent ou de denrées ou même de services est usuraire ; toute usure, condamnée par les Écritures, la morale et le droit ; toute condamnation, mortelle pour l’âme ; en liii, la fortune de l’usurier, résultant du crime, ne peut être convertie en bonnes œuvres.

L’application de cette doctrine à la vie des affaires comportait plus de difficultés que sa définition théologique. Si les principes étaient clairs, il était plus délicat de s’entendre sur le domaine concret : papes et docteurs vont s’y employer pendant plusieurs siè III. Domaine de l’usubb, — L’ancien droit se bornait à condamner l’usure. Le droit classique, envinit toutes les catégories de personnes et d’opérations qui pouvaient susciter l’application des règles, eut à trancher quatre Béries de difficultés,

inut d’abord, tous les hommes sont-ils visés sans

distinction d’origine, la loi est-elle universelle quant aux sujets ? Quant aux actes, le domaine primitif de l’usure est le mutuum. Mais la définition très large, quidquid sorti accedit, autorisa les papes et les docteurs à tenir pour usuraires de nombreuses opérations considérées comme faites in fraudem usurarum et d’autres qui, tout simplement, procuraient un gain. A mesure que l’on élargissait le domaine, il fallait bien multiplier les exceptions. Enfin, l’extension des affaires et le mouvement des idées firent déclarer finalement licite mainte opération qui avait été contestée.

Généralité de la prohibition.

Dans une chrétienté

homogène et pacifique, aucune place pour l’usure. Mais la doctrine, s’applique-t-elle également aux non-baplisés, aux ennemis, à certains groupes spécialisés par la coutume ?

1. Juifs.

L’usure était devenue au Moyen Age la profession d’un certain nombre de Juifs, à cause des prohibitions coraniques, aussi bien que des canoniques. Cf. L. Massignon, art. cité ; bibliographie dans J.-B. Sagmuller, Lehrbuch des kathol. Kirchenrechts, 4e éd., Fribourg-en-Brisgau, 1925, p. 115-116. Toutefois, ils n’eurent jusqu’aux temps modernes qu’un rôle secondaire dans le développement de la Banque. A. Sayous, Les Juifs, dans Revue économique internationale, 1932, p. 492 sq.

S’il faut en croire les canonistes, les Juifs se prévalaient de l’Ancien Testament et du texte de saint Ambroise inséré au Décret, cause XIV, q. iii, c. 12, pour pratiquer l’usure dans la chrétienté qui leur était, selon les expressions de ces autorités anciennes, étrangère ou hostile. Cependant, deux textes formels : une décrétale d’Innocent III, Décrétâtes, t. V, tit. xix, c. 12 (Post miserabilem) et le can. 67 du IVe concile du Latran, ibid., c. 18 (Quanlo amplius) enjoignent aux pouvoirs séculiers de faire rendre gorge aux usuriers juifs.

Ces textes donnèrent lieu à d’abondants commentaires. Et le problème général fut traité dans de nombreux consilia parmi lesquels eurent une grande diffusion et influence les quatre Consilia contra Judœos feenerantes d’Alexandre de Nevo, jurisconsulte de Vicence, composés vers 1440, édités à Nurenberg, 1479. L’interdit du IVe concile du Latran ne paraît viser que la démesure, mais la doctrine écarte généralement cette interprétation. Raymond de Penafort, op. cit., § 15, saint Thomas, Sum. theol., loc. cit., a. 1 et les canonistes classiques, commentant le c. Conquestus, déclarent coupable de péché mortel le Juif usurier. Les arguments contraires, tirés du Deutéronome, de saint Ambroise et du c. Quanto (au mot immoderatœ) sont repoussés par Alexandre de Nevo, qui, au premier et au troisième dubium de son Cons. i, et dans son second Conseil, réfutant la réplique d’Ange de Castro, exclut l’application de la permissio comparativu. La meilleure raison est que l’usure appartient à la catégorie du péché secundum se (quatrième dubium du premier consilium), est pecca tum essrntialiter, non point secundum quid, comme le voudrait le servite Galganus (Consilia ni et /r).

Comment expliquer la tolérance dont jouissent les Juifs dans tous les pays de la chrétienté ? Paul de Castro la fonde, pour l’Italie, sur la coutume et sur les privilèges pontificaux. Pierre d’Ancharano considère que le pape seul peut accorder une telle dispense. La meilleure raison paraît être que, l’usure étant inévitable, mieux vaut laisser les Juifs la pratiquer selon leur loi que les chrétiens contre leur loi, ainsi que l’expose Tartagnus dans le premier Consilium de son 1. II. La controverse entrait dans le domaine théologique, puisqu’il s’agissait de la responsabilité de l’Église dans le salut des Juifs. Mais les préoccu pations étaient surtout d’ordre pratique : assurer la