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USURE. L’ÉPOQUE CLASSIQUE, THÉORIE GÉNÉRALE

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culicr (Endemann, op. cit., i, 24). Pour suivre le mouvement de leurs idées, plusieurs volumes seraient nécessaires qui exploiteraient méthodiquement toutes les sources et la littérature du Moyen Age. Nous ne pouvons ici que classer les problèmes, dégager les principes, choisir les opinions de quelques docteurs, sous trois rubriques : théorie générale, domaine de l’usure, sanctions.

II. Théorie générale. - I-es étymologies proposées par les docteurs (par exemple Raymond de Penafort, op. cit., p. 323) n’éclairent aucune de leurs explications. Quatre séries de problèmes les ont préoccupés : l’analyse du délit, les lieux et les motifs de sa condamnation, la nature du péché, la condition des biens usuraires.

Définitions et caractères.

Les expressions de

saint Ambroise, adoptées par Gratien, dans le dictum final de la cause XIV, q. iii, déclarent usuraire tout surplus fourni par l’emprunteur au préteur : quodcumque sorti accedit. Chacun de ces mots soulevait des difficultés, qui aboutirent à multiplier les définitions oiseuses, entre lesquelles un Laurent de Rodulphis renonce à choisir, les déclarant toutes acceptables. Op. cit., n. 1. Les discussions concernent l’occasion, l’objet et la forme de l’excédent.

1. Occasion.

Occasion normale de cet enrichissement illicite : le prêt de consommation, nuituurn, qui a pour objet tout ce qui peut être pesé, compté ou mesuré, principalement les denrées périssables et l’argent monnayé. Gilles de Lessines, op. cit., c. n et m. Si le débiteur restitue 110%, il y a usure simple, usura ou fœnus sortis, usura prima ou simplex, si le calcul de l’usure porte aussi sur l’excédent, c’est-à-dire si par la suite, la base est 110 et non point 10(1, il y a intérêt composé, anatocisme, usura usurarum, usura secunda vel duplex. Les décrétistes marquent bien que toute affaire n’est point honteuse, turpc

) lucrum, ni toute fraude usuraire ; mais tout contrat, toute affaire qui procure un excédent, un gain, non justifié par le travail, s’apparente à l’usure.,

En revanche, le prêt d’objets périssables qui a pour fin l’ostentation ou l’ornement est un eommodat (gratuit) ou un louage, autorisant une merci s : cas du père de famille qui emprunte une pile de pièces d’or pour éblouir le jouvenceau dont il voudrait faire un gendre. Les princes trompent souvent leurs hôtes par des ruses diplomatiques de cette sorte. Robert de Courçon, op. cit., p. 15. Huguccio et Laurent, reprenant la terminologie du Digeste, distinguent bien du muluum cette opération, qui n’a point pour but la consommation, mais le décor, ad pompam et ostenlationem ; le gain est alors licite, puisque l’usage, séparé de la propriété de la chose, autorise rétribution. Panormitanus, in Ut. XIX, Décrétâtes, 1. V. Cf. Mac Laughlin, op. cit., p. 143-144. Nous excluons ce cas, dont Hostiensis fait abusivement une exception à l’interdit de l’usure, sous le nom de Socii pompa. Véritable ou déguisé, le prêt de consommation est l’occasion normale de l’usure.

2. Objet.

Peu importe la nature du supplément : argent, blé, viii, huile, étoffe, toute superabundanlia est usuraire, même s’il s’agit d’une chose non fongible, qui n’eût pu faire l’objet du muluum. Non seulement la datio, mais le jactum : un meunier qui prête au boulanger, pour obtenir sa clientèle, tire avantage de son prêt, puisqu’il stipule une occasion de gain et une servitude. Guillaume de Rennes, sous R. de Penafort, loc. cil., § 4. Le professeur qui avance des deniers à ses étudiants afin qu’ils suivent son cours et reçoit d’eux quelque gratification pour ce service est usurier, certains disent : simoniaque. Même la simple bienveillance escomptée du prêteur, et qui procurera des avantages temporels, est une usure.

Il faut en dire autant de la dispense qu’obtiendrait le préteur, d’une communauté politique (unioersitas), de payer une collecte déjà ordonnée : le cas soulevait des controverses, que rapporte saint Antonin, op. cit., c. vii, § 5. On trouvera dans les Sommes des confesseurs et dans les monographies du xv siècle des exemples variés de ces mimera entachés d’usure et qui, comme au chapitre de la simonie, peuvent consister en services ou même en louanges.

Peu importe aussi, la quotité du supplément. Rejetant la notion romaine de taxe, de maximum, les témoins patristiques de la cause XIV, q. iii, excluent le moindre munusculum. In texte, cependant, les gênait : le I v concile du Latran punissait graves et immoderalas usuras [Judicorum]. Fallait-il entendre la permission d’un taux modéré ? L’expression usura moderato avait déjà cours dans la correspondance pontificale et les conciles locaux devaient la populariser. Mac Laughlin, op. cit., p. 99. Indifférente au véritable sens du canon, qui semble autoriser les Juifs à pratiquer un maximum, la doctrine s’attache aux principes généraux. Elle rejette comme arbitraire le raisonnement qui, de la condamnation de la démesure, tirait la permission d’un taux raisonnable. Toute usure est, selon l’opinion commune, immodérée : l’excès ne peut qu’augmenter le délit. Même le taux d’un sesterce constitue une infraction. Voyez les références de Bertachini, op. cit., fol. 322. Mais cette rigueur ne s’applique à la lettre que dans le muluum. Encore s’explique-t-elle par une réaction violente contre l’énormité des taux fixés par les usuriers et qu’une fausse interprétation des centesimx usuræ (100%) paraissait justifier. Salvioli, art. cit., p. 275 sq. Et la notion d’un modus s’introduit dans les distinctions des théologiens pour le cas de nécessité. Durand de Saint-Pourçain, In lll am Sent., àst. XXXVII, q. iv.

3. Forme. - Beaucoup d’auteurs définissent l’usure : lucrum paclo debitum Del exactum. Un pacte est-il donc nécessaire ? question très débattue dans les gloses, les quodlibets et les consilia. Voir par exemple les Consilia 19 et 74 de Paul de Castro. La vérité, c’est que cette condition d’un pacte ne vaut qu’au for externe : quiconque a prêté avec la simple espérance du gain tombe sous la prohibition évangélique.i Au for interne, l’intention de lucre suffit. Saint Au-* gustin parle d’une simple expectative (cause XIV, q. iii, c. 1). Urbain fil légalise cette interprétation. Décrétâtes, t. V, tit. xix, c. 10. Ce qui constitue l’usure, c’est la volonté du gain. Guillaume d’Auxerre, op. cit., fol. 244, suivi par Alexandre de Halès, op. cit., fol. 274, met cette vérité en relief dès sa définition : quid sil usura ? Voluntas acquirendi aliquid per muluum prieter sorlem. Le sujet prêtait encore à dispute à la fin du xiiie siècle : voir les quodlibets de Godefroid de Fontaines et de Robert d’Arras. Glorieux, op. cit., t. i, p. 162 et 234. Résumant toutes les distinctions du Moyen Age, Ange de Clavasio reconnaît trois moments. L’intention de lucre peut naître avant, pendant ou après le muluum. Si elle est antérieure et s’éteint après réflexion, on la tiendra pour non-avenue ; concomitante ou subséquente, elle est irrévocable, donc vicieuse. Summa angelica, loc. cit., fol. 291.

L’Église réprime l’usure mentale, la quasi-usure : le contre-don, justifié par le droit romain (antidora) et la gratitude, n’est acceptable que s’il a été simplement entrevue, sans inspirer le prêt. Alanus, in c. x, Décrétâtes, t. V, tit. xix ; Raymond de Penafort, loc. tit., § 4 ; Gilles de Lessines, op. cit., c. vi. Balde résume élégamment, selon sa coutume : ou l’espoir inspire le prêt, et il y a usure, punissable au for interne, ou le prêt inspire l’espoir, et il y a sentiment naturel ; en cas de doute, on délibérera avec le confesseur. Cette espérance tardive, saint Antonin la