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USURE. L’ÉPOQUE CLASSIQUE, LE MILIEU
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par C. Spicq. Esquisse d’une histoire de l’exégèse latine au Moyen Age, Paris, 1944.

L’explication allégorique avait détourné de l’usure les textes qui la visaient le plus expressément. On ne trouvera guère d’interprétation littérale que dans Y Expositio in Penlaleuchum de Bruno d’Asti, P. L., t. clxiv, col. 147-550. Ce bon exégète applique exactement l’interdit de l’Exode aux avari fœneralores dont il décrit les méfaits, aussi dommageables à la liberté qu’au patrimoine de l’emprunteur. Col. 295. Le Lévitique lui fournit l’occasion d’un trait dur contre les gagistes. Col. 457. Avec une grande simplicité, il avoue son embarras devant la permission accordée par le Deutéronome : il lui faut bien recourir à l’image. Le capital prêté par les Juifs, c’est la lettre et l’esprit de la Loi et des Prophètes, qui constituent notre argent, notre pain, notre viii, toute notre richesse. Col. 528. Ainsi l’un des rares auteurs enclins au réalisme choisit, à l’occasion, la clé du symbole. C’est le parti que prennent presque tous ses contemporains. La Glose ordinaire entend la prohibition de l’Exode comme une invitation aux prédicateurs de l’Évangile à se contenter du vivre et du vêtement. P. L., t. cxiii, col. 261 sq. ; l’étranger dont parle le Deutéronome, c’est l’infidèle ou le pécheur dont le prédicateur exige foi, pénitence et bonnes œuvres. Col. 479.

L’insistance d’Ézéchiel n’a frappé aucun de ses commentateurs. En revanche, les Psaumes ont donné lieu à d’abondantes gloses. « Il ne prête point son argent à intérêt », Ps., xiv, 5, c’est l’éloge de l’aumône, ou pour le moins du prêt gratuit, selon l’exact iManegold, In Psalmis, P. L., t. xciii, col. 537 ; du refus de superabundanlia, précise le juriste Yves de Chartres, In Psalmis, Bibl. nat., ms. lat. 2480, fol. 8. Ici encore, le sens figuré prévaudra. L’usure qui est interdite, c’est la temporelle, sans doute, mais aussi la spirituelle, celle des prédicateurs qui attendent honneurs et faveurs, des faux généreux qui quêtent le regard, tandis que l’usure approuvée est celle de ce capital spirituel que constitue la parole de Dieu. Glose ordinaire, P. L., t. cxiii, col. 864. Anselme de Laon, P. L., t. cxvi, col. 237 (sous le nom d’Haimo d’Halberstadt ) ; Bruno d’Asti, P. L., t. cxliv, col. 739 ; Gilbert de la Porrée, Bibl. nat., ms. lat. 12 004. fol. l(i ; Pierre Lombard, P. L., t. cxci, col. 10>9. Cette usure est annoncée par les ps. xiv et xxx vu ; quant au fcenerabis gentibus de Deut. xxur. 19, il signifie non seulement la vocation d’Israël mais encore celle de l’Eglise, à qui sa prééminence permet la munificence.

Glose ordinaire. P. L., t. cxiii, col. 166 et 484.

Tous les commentateurs interprètent à la lettre la phrase rapportée par Luc, vi, 35 : Miituum date nil inde speranles, et quant aux marchands du Temple, la Glose ordinaire y reconnaît les usiniers qui prêtaient aux fidèles l’argent nécessaire pour acheter les animaux offerts par leur coreligionnaires, permettant ainsi la conversion en précieux numéraire des oblat ions périssables. P. L., t. CX1V, col. 153. On ne sera pas surpris de trouver la même exégèse chez Anselme de Laon, P. L., t. clxii, col. 1427.

2. Décret de Gratien. La Concordia discordanlium canonum, où Gratien, vers 1 1 l<i, fait la somme de l’ancien droit, traite à deux reprises de l’usure.

An tractatm ordinandorum, commentant l’exclusion des clercs processifs ou cupides, il inclut les usuriers, il il allègue le can. Il des Apôtres, qui ordonne la déposition du clerc majeur usurier, le can. 20 du concile d’Elvire, le can. 17 du concile de Nicée, dans la version dionysienne, le can. 5 du pseudo-concile de Laodicée, la décrétale de saint Léon aux évêques cam panlens, la lettre de Bainl Grégoire aux Napolitains. Dist. XLVI, c. v et x ; MA II, c i, ir, iv, v.

Dans la cause XIV, Gratien rassemble vingt-neuf auctoritates, qui lui fournissent la définition de l’usure (q. iv), les sanctions pénales (q. v), le précepte de restitution (q. vi). À l’intérieur de ces trois questions, clairement posées, regroupons dans un ordre méthodique les canons allégués sans aucun lien visible. Les Pères de l’Église, Ambroise, Augustin, Jérôme, commentant les Écritures et le second capitulaire de Nimègue (que Gratien dénomme, à la suite de Burchard : concile d’Agde) déclarent : tout ce qu’exige le prêteur, en sus du bien prêté (superabundanlia) s’appelle usure, quelle que soit la nature du supplément : monnaie, denrée ou vêtement. Ce péché, variété de la rapine (Ambroise), abus qui rend indigne de la propriété (Augustin), est châtié par les papes et les conciles : le concile d’Arles, le concile œcuménique de Nicée, dont le can. 17 est reproduit dans la version isidorienne, puis sous le nom du pape Martin, c’est-à-dire selon l’interprétation de Martin de Braga, un canon du IIIe concile de Carthage, un fragment du pape Gélase, deux canons tarraconnais (dont l’un placé sous le nom du pape Martin) visent les clercs, tantôt énonçant la prohibition, tantôt précisant la peine d’excommunication ou de déposition. L’extension aux laïques est signifiée par le texte célèbre du pape Léon I er. Cependant, l’exception ainbrosienne subsiste : ubi jus belli, ibi jus usurse. Quel emploi faire des richesses acquises par l’usure ? Ambroise, Augustin, Grégoire interdisent d’offenser Dieu en lui offrant ces produits de la rapine. Leur vrai destin est la restitution. Si l’on objecte l’exemple des Israélites, qui édifièrent le Tabernacle avec les fruits du mutuum, Augustin refuse de tenir pour loi générale un ordre spécial de Dieu à son peuple. D’autres nient que la rapine soit condamnée ; n’est-elle pas, répond-il, visée dans la prohibition du jurtum ? Si le mal peut servir au bien, ce n’est point au profit des voleurs.

Dans cette suite de questions se retrouvent, avec quelques attributions erronées, les textes essentiels des Pères latins, des papes et des conciles. Gratien avait sous les yeux, semble-t-il, les collections chartraincs, et, pour la q. v, un florilège patristique. Dans la longue série des textes du premier millénaire, il a omis les fragments des Pères orientaux, certains canons africains et gaulois, des chapitres de capitulaires, enfin la législation de la période grégorienne. Ses propres dicta enrichissent peu le dossier. Il se borne à classer les textes et à poser les problèmes essentiels de la définition, des exceptions et des sanctions. Aucun texte postérieur à Charlemagne n’a été reçu dans sa compilation, même point les synodes romains et l’important canon 13 du IIe concile œcuménique du Latran, qui venait d’être publié, et que Gratien connaissait.

Aux textes de Gratien, ses disciples en ajoutèrent plusieurs autres. Le plus intéressant est un fragment du pseudo-Chrysostome, auteur de l’Opus imperfection super Mutllvrtim, inséré dans la dist. LXXXVIII, c. xi. i De tous les marchands, le plus maudit est l’usurier, car il vend une chose donnée par Dieu, non acquise des hommes (au rebours du marchand) et. après usure, il reprend la chose, avec le bien d’autrui, ce que ne fait point le marchand. On objectera : celui qui loue un champ pour recevoir fermage ou une maison pour toucher un loyer, n’est il point semblable .i celui qui prête son argent à intérêt ? Certes, non. D’abord parce que la seule fonction de l’argent, c’est le paiement d’un prix d’achat : puis, le fermier fait fructifier la terre, le locataire Jouit de la maison : en

ces deux cas. le propriétaire semble donner l’usage de

sa chose pour recevoir de l’argent, et d’une certaine

façon, échanger gain pour gain, tandis que de l’argent avancé, il ne peut être fait aucun usage ; enlin, l’usage