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USURE. LE HAUT MOYEN AGE

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pouvait appliquer aux laïques par ses seuls moyens. Mais il est probable qu’un événement a été décisif dans cette intervention de Charlemagne. Lors de son voyage à Rome à Pâques 774, Charlemagne avait reçu des mains du pape Hadrien la Dionysio-Hadriana ; voir sur les circonstances de cette remise, Fournier-Le Bras, op. cit., t. i, p. 95. Or, cette collection dont l’influence allait être considérable sur la législation carolingienne, Maassen, Geschichte der Quellen, p. 467-469, contenait non seulement les canons de Nicée, mais encore, parmi les décrétales pontificales, la lettre dans laquelle saint Léon défend l’usure aux laïques, Maassen, op. cit., p. 257, déjà connue en Gaule auparavant. Maassen, Concilia, t. i, p. 824, n. 3. Voulant restaurer la discipline dans l’Église, revenir à la tradition, Charlemagne n’aura donc qu’à puiser dans la collection officielle qui lui a été remise par le chef de l’Église.

V. Le Haut Moyen Age.

L’interdiction de l’usure aux laïques par Charlemagne et ses successeurs. —

C’est dans Vadmonitio generalis d’Aix-la-Chapelle, de l’année 789, que se trouve proclamée, pour la première fois dans la législation séculière, l’interdiction de l’usure aux laïques. Soucieux d’améliorer la situation de son royaume, Charlemagne qui s’intitule roi des Francs et défenseur de l’Église, s’adresse plus particulièrement aux évêques. Pour faciliter leur ministère, il a décidé de leur envoyer des délégués qui les aideront à corriger les abus. Afin qu’ils puissent faire œuvre vraiment utile pour l’Église, il veut leur faire connaître quelques textes canoniques, aliqua capitula ex canonicis institutionibus, entendons des règles anciennes auxquelles s’attache une valeur toute spéciale. Les articles 1 à 59 inclus contiennent l’ensemble de ces prescriptions anciennes qui sont toutes empruntées à la Dionysio-Hadriana. C. de Clercq, op. cit., p. 172 sq. Parmi ces prescriptions se trouve la prohibition générale de l’usure pour tous, clercs et laïques. Omnino omnibus interdictum est ad usuram aliquid (lare, il est formellement interdit à qui que ce soit de prêter à usure ; Admonitio generalis, c. 5, Boretius, Capilularia regum Francorum, t. i, p. 54.

La meilleure preuve que le roi des Francs n’entend pas innover, mais qu’il veut simplement restaurer la discipline traditionnelle de l’Église se trouve dans l’article même qui contient la prohibition générale de l’usure. Celle-ci est placée sous l’autorité du concile de Nicée (can. 17), de la lettre du pape Léon aux évêques de Campante, laquelle visait à la fois clercs et laïques, du 44e canon des apôtres dont la discipline remonte vraisemblablement à une date ancienne, et enfin de la loi mosaïque. Le texte ne prévoit aucune sanction. Il est donc à présumer qu’on s’en tient aux peines canoniques antérieurement prévues : déposition et excommunication pour les clercs, excommunication pour les laïques.

L’art. 5 de V Admonitio generalis ne comportait pas de définition de l’usure. Il semble bien cependant que la notion d’usure (’lait suffisamment nette dans le canon 17 de Nicée pour que, dans la pratique, il n’y eût aucune difficulté, alors même que la littérature patristique était à peu près totalement ignorée. Sur l’utilisation, à l’époque carolingienne, des textes antérieurs, cf. les remarques de C. de Clercq, op. cit., p. 316-317.

Cependant c’est ; i des définitions de l’usure et du prêt, conçues un peu à la manière des Étymologies d’Isidore de Séville, que sont consacrés les articles 11 cl 16 du capitulaire promulgué à Nimègue en mars 806. L’art. I 1 déduit l’usure : le fait d’exiger plus qu’on a donné, iisum ai ubi amptim requlrttw quant datur, qu’il s’agisse d’argent ou de denrées, et l’art. 16 déclare qu’il y a juslum fœnus lorsqu’on n’exige que ce qui a été prêté, justum fœnus est, qui amplius non requirit nisi quantum prsestitit. Boretius, op. cit., p. 410.

La prohibition générale de l’usure se retrouve dans un capitulaire de l’année 813 environ dont on ne peut déterminer exactement la destination, c. 14, Boretius, op. cit., p. 183, ainsi que dans des capitula italica de Charlemagne dont la date est incertaine. Boretius, op. cit., p. 219. L’amende du ban sanctionne l’usure dans ce dernier cas. Cette sanction qu’on ne rencontre que dans ce texte et qui ne se retrouve jamais dans les capitulaires postérieurs laisse planer des doutes quant à l’authenticité de celui-ci. Voir sur l’édition des capitulaires dans les Mon. Germ. hist., par Boretius et Krause, les remarques de S. Stein, Étude critique des capitulaires francs, dans Le Moyen Age, 1941, p. 1-75.

En 825, Lothaire renouvellera l’interdiction de pratiquer l’usure dans le capitulaire d’Olonne, a. 5. Boretius, op. cit., p. 327. Les dispositions prises par ce capitulaire sont des plus importantes, car elles donnent expressément aux évêques le pouvoir non seulement de rechercher et de punir les usuriers, mais encore de réclamer l’appui des comtes afin d’imposer leurs décisions au besoin par la force. En outre, elles sanctionnent civilement le délit d’usure en édiclant contre les usuriers les peines de la réprimande) de l’amende et de l’emprisonnement. Enfin dans un Capitulare missorum de 832, c. 4, Krause, Capilularia regum Francorum, t. ii, 1897, p. 63, Lothaire ordonne aux missi de rechercher les usuriers et de les livrer aux évêques dont ils dépendent, propriis episcopis, qui leur imposeront la pénitence publique.

Telles sont les principales dispositions prises par le pouvoir séculier à l’époque carolingienne. Au demeurant il n’est pas possible de séparer, sans tomber dans l’arbitraire, les dispositions conciliaires de l’époque carolingienne des capitulaires royaux. Le capitulaire tantôt précède le concile et constitue comme un ordre du jour, tantôt promulgue des décisions adoptées par le concile. C’est là un point à ne pas perdre de vue dans l’étude de la législation conciliaire de l’époque carolingienne.

La législation conciliaire et les statuts diocésains depuis l’époque carolingienne jusqu’au décret de Gratien.

On ne saurait soutenir que la lutte contre l’usure ait été menée uniquement dans le monde carolingien. On peut, par exemple, citer un concile anglais de 787, tenu dans le Nortbumberland, dont le canon 17 déclare les usures prohibées en se fondant sur le ps. xiv, 5 et sur l’autorité de saint Augustin. Mansi, t. XII, col. 917. Mais il reste hors de doute que dans le monde franc, plus qu’ailleurs, l’usure a été combattue vigoureusement dans le même temps que se poursuivait la réforme générale de l’Église et de l’État.

Il n’est pas impossible qu’un concile d’Aix-la-Chapelle ait, en 789, promulgué les dispositions de VAdmo nitio generalis dont le c. v comportait prohibition générale fie l’usure. Hefele-Leclercq, t. m. p. 1027. Il est certain que, dès le début du ixe siècle, sur l’initiative de Charlemagne et de ses successeurs, les dispositions conciliaires se multiplient Interdisant la pratique de l’usure soit aux clercs, soit aux laïques, le plus souvent aux uns et aux antres : concile de Rlesbach, Preislngel Salzbourg (800 environ), can. in. l’.oretius. op. Cit., p. 227 ; Werminghofl. Concilia, t. il. p. 2(19 ; conciles de Heims. can. 32..Mayencc. can. lii, Chalon-sur-Saône, can. 5, de l’année 813, qui ont pour point de départ une même admonitio impériale. Werminghofl, op. cit., p. 256 et 27ô ; Hefele-Leclercq, t. m. p. 1 1 13 ; C. de Clercq, op. < P-’^ :  ! ’sq- concile d’Aix de 816, can. 62. Werminghofl, t. n. p. 365 et