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USURE. L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE

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ment collection datant de la même époque, cf. Laodicée (Conc. de), t. viii, col. 201 1-2615 ; enfin la collection artésienne dite /Ve concile de Carthage ou Staluia Ecclesiw antiqua, datant de la fin du v c siècle, c. 67, Hefele-I.eclercq, t. ii, p. 117. Voir en outre sur ces collections les indications avec renvoi bibliographique dans Fournier-Le Bras, Histoire des collect. can., t. i, p. 16 et 17.

Ainsi par mesure disciplinaire l’Église a interdit aux clercs toutes les formes de l’usure, entendons la perception de tout surplus par quelque procédé que ce soit, dans un prêt de consommation, sous peine de dégradation et d’excommunication, et l’on peut dire que, géographiquement, cette interdiction s’étend à peu près à toute la chrétienté.

Mais ce qui n’est pas bon pour les clercs ne vaut pas davantage pour les laïques. N’est-ce pas aux laïques que les Pères s’adressent dans leurs discours et leurs écrits ? L’Écriture n’a-t-elle pas défendu la pratique de l’usure à tous sans exception ? Dès lors il était naturel que l’Église songeât à imposer aux fidèles ce qu’elle avait jugé nécessaire pour les clercs.

Vers l’interdiction de l’usure aux laïques.


Il semble bien qu’on doive faire remonter au concile d’Elvire la première intervention directe de l’Église à rencontre de l’usure praticjuée par les laïques. Mais, tandis que les clercs coupables d’usure doivent être dégradés et excommuniés, parce qu’ils ne peuvent, vu leur état, invoquer l’excuse de l’ignorance, les laïques sont traités avec plus de ménagements. Ils ne seront excommuniés que s’ils persévèrent dans l’iniquité de l’usure, après une réprimande, et en dépit de leur promesse formelle de s’abstenir de cette pratique à l’avenir. Si quis eliam laicus accepisse probatur usuras, et promiserit correptus jam se cessaturum nec ulterius exaclurum, plaçait ei veniam tribui : si vero in ea iniquitate duraverit, ab ecclesia esse projiciendum. Can. 20, Mansi, t. ii, col. 9.

Il n’y a aucune raison de mettre en doute l’authenticité de cette prescription, mais il est probable qu’elle n’a pas eu immédiatement une grande portée pratique et qu’elle n’a été connue hors d’Espagne que beaucoup plus tard par la diffusion de VHispana ; sur cette collection, Fournier-Le Bras, op. cit., t. i, p. 68 sq., cf. aussi les indications d’Hefele-Leclercq, op. cit., t. i, p. 220, n. 3. C’est dans le même esprit et avec la même sévérité que les auteurs du c. 20 d’Elvire, que le pape saint Léon s’adressera, vers 444-445, aux évêques de la Campanie, du Picénum, de l’Étrurie et de toutes les provinces d’Italie. Après avoir noté que certains, poussés par une sordide avarice, pratiquent l’usure et cherchent à s’enrichir de cette manière, saint Léon ajoute que c’est là une chose déplorable non seulement chez les clercs, mais chez les laïques qui veulent passer pour chrétiens, quod nos, non dicam in eos, qui sunt in clericali officio constituti, sed in laicos cadere qui christianos se dici cupiunt, condolemus. En conséquence, il ordonne d’agir avec rigueur contre ceux qui auront été convaincus de pratiquer l’usure, afin de retrancher sur ce point toute occasion de pécher, quod vindicare acrius in eos qui fuerint confutati, decernimus, ut omnis peccandi opportunitas adimatur. Ep., iv, Jafl’ô, op. cit., n. 180. Le même pape revient sur l’idée de l’injustice de l’usure dans un de ses sermons, xvii, 3 = sermo VI de jejunio decimi mensis, P. L., t. liv, col. 181, pour souligner que l’usure augmente les biens mais dessèche l’âme, que le profit de l’usure est la mort de l’âme, fenus pecuniæ, funus est animæ.

Déjà un siècle auparavant, en 349, le premier concile de Carthage avait implicitement condamné l’usure exercée par les laïques, can. 13. Mansi, t. iii, col. 149. Mais ces prohibitions paraissent aller à rencontre des mœurs. Nous avons, du moins pour la Gaule, le témoignage de Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont ( 130-489), qui nous cite divers exemples de prêtsà titre onéreux consentis notamment par Maxime, évêque de Toulouse, avant son entrée dans la cléricature, dont il exige une fois évêque, les intérêts et le remboursement. Epist., xxiv, éd. P. Mohr, de la collect. Teubner, Leipzig, 1895, p. 101 sq. Grégoire de’fours (538-594) nous rapporte l’exemple de Didier, évêque de Verdun, empruntant sept mille écus d’or avec intérêt au roi Théodebert, Hist. Franc, III, xxxiv, et souligne l’importance du commerce de l’argent à son époque, op. cit., VII, xxiri. Enfin une lettre de Grégoire le Grand (590-604) nous apprend l’intervention de ce pape en faveur d’un marchand qui, ayant emprunté, avait fait de mauvaises alîaires, afin que le créancier se contente du principal sans exiger les intérêts. Epist., t. VII, xxxvii, Jaffé, n" 1197.

Quoi qu’il en soit il faut attendre, en Gaule, le concile de Clichy de 626, dont l’importance a été mise en lumière par C. de Clercq, op. cit., p. 62-63, pour voir la prohibition de l’usure étendue à tous les chrétiens, par le can. 1 qui déclare in fine : Sexcuplum vel decui>lum exigere prohibemus omnibus christianis, nous interdisons à tous les chrétiens d’exiger la moitié en plus ou le double (de ce qui a été prêté).

Mais il manque une poigne énergique pour appliquer cette décision. L’Église des Gaules, subordonnée au pouvoir séculier, est impuissante à la faire respecter par les laïques et aucun appui ne lui viendra sur ce point des rois mérovingiens. Ces faits sont connus et analysés par tous les historiens ; en dernier lieu, Fliche et Martin, Histoire de l’Église, t. v, p. 368 sq ; Declareuil, Histoire générale du Droit français des origines à 1789, Paris, 1925, p. 128 sq. Et tandis que le taux de l’intérêt n’était que de 12, 5 pour 100 environ dans la loi Gombette, Lex Romana Burgundionum, vers 502, tit. xxx, 4, qui renvoie au Code Théodosien, dans Mon. Germ. hist., Legum sectio, i, 2, 1, p. 150, et dans le Bréviaire d’Alaric, Lex Romana Wisigothorum, vers 506, ii, 33, éd. Hsenel, p. 68-70, il est monté à 33, 5 pour 100 au milieu du viie siècle, selon la formule 26, 1. II de Marculfe, dans Zeumer, Formulée merovingici et karolini sévi, pars prior, Hanovre, 1882, p. 92, et il atteindra même parfois 50 pour 100, concile de Clichy de 626, c. 1, Maassen, Concilia, t. i, p. 197, et surtout au viiie siècle ; cf. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris, 1936, p. 97 sq.

Que s’est-il donc passé entre le vie et le viiie siècle ? La Méditerranée s’est fermée au monde franc par suite des invasions arabes. Celles-ci ont entraîné l’arrêt du commerce, la raréfaction du numéraire et par contre coup une élévation considérable du taux de l’intérêt. Pirenne, op. cit., p. 143 sq., et Histoire de l’Europe des invasions au XVIe siècle, Paris, 1937 ; Halphen, Études critiques sur le règne de Charlemagne, Paris, 1921 ; Laurent, Byzantion, t. vii, 1932. Dès lors la prohibition du prêt à intérêt que l’Église cherche à imposer en conformité avec les principes évangéliques va se trouver fondée en fait. Dans un monde fermé aux courants commerciaux, le prêt à intérêt n’a plus de raison d’être. On consomme ce qu’on produit ; on consomme de même ce qu’on est obligé d’emprunter par suite de quelque événement malheureux, tel qu’une famine. Il semble donc injuste que celui qui a de l’argent dont il ne saurait faire un usage productif, puisse exiger plus qu’il ne prête. Le moment est très propice pour l’Église d’intervenir, d’autant plus qu’Église et Empire ne font qu’un désormais, ayant la direction du même peuple chrétien. Fliche et Martin, Histoire de l’Église, t. vi, L’époque carolingienne par É. Amann, p. 71 sq.

Il devait appartenir à Charlemagne de faire passer dans le droit séculier des dispositions que l’Église ne