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les lois défendent à ceux qui gouvernent l’État de prendre pari à ces gains honteux. Op. cit., col. 557.

Tandis que les Pères de l’Église grecque luttaient ainsi avec vigueur contre l’usure, ceux de l’Église latine n’étaient pas restés inactifs.

2. Les Pères de l’Église latine. —

On trouve déjà chez Tertullien au début du nr siècle, un témoignage 1res net contre l’usure, mais Tertullien n’a pas en vue l’examen de ce problème dans son ensemble ; il veut simplement répondre à Marcion qui oppose l’Ancien et le Nouveau Testament. Voulant prouver, au contraire, l’harmonie qui existe entre la loi judaïque et l’Évangile, Tertullien souligne très heureusement, en prenant pour exemple l’enseignement donné sur le prêt à intérêt, que l’Ancien Testament a prohibé l’intérêt du prêt, jructus fœnoris, afin que l’habitude se contractât plus facilement île perdre, au besoin, le principal lui-même, ipsum jœnus, ainsi que le conseille Notre-Seigneur. Ado. Marc., iv, 17, P. L., t. ii, col. 398-399.

De tous les Pères de l’Église, c’est probablement saint Ambroise qui a le mieux examiné dans le détail, la question de l’usure. Il y a consacré tout le Livre de Tobie, P. L., t. xiv, col. 759-794, composé aux environs de 377 selon les bénédictins, plus probablement vers 389 sejon J.-R. Palanque, Saint Ambroise et l’Empire romain, Paris, 1933, p. 445, où l’on trouve trace de l’homélie de Basile sur le ps. xiv. L’exemple de Tobie est particulièrement significatif, qui ayant prêté à tout le monde ne demanda rien quand il fut tombé dans le besoin. C’est à peine s’il songea à redemander le capital à la veille de mourir, moins par désir de récupérer ce qu’il avait prêté que de ne pas frustrer ses héritiers. Il lit donc le devoir d’un juste en prêtant de l’argent et en le prêtant sans intérêt. Tel est le thème sur lequel sont greffés les développements relatifs à l’usure. S’adressant plus particulièrement à ces « riches impitoyables qui ouvrent les oreilles dès qu’on leur promet quelque profit », le saint évêque leur fait honte de leur cruauté ; il leur rappelle que non seulement l’usure en argent est défendue, mais aussi l’usure en nature, car tout ce qui est pris en sus du principal est une usure. Et il poursuit : Et esca usura est, et vestis usura est, et quodeumque sorti accidit, usura est : qtwd velis ei nomen imponas, usura est. Op. cit., c. xiv, n. 49 ; t. xiv, col. 778. Même idée dans le Breviarium in ps. liv : usura est plus accipere quam dure, P. L., t. xvi, col. 982. Il incite vivement les chrétiens à prêter dans l’esprit évangélique à ceux de qui ils n’espèrent pas recevoir ce qu’ils ont prêté : date mutuum iis a quibus non speratis vos, quod datum fuerit, recepluros. A tous, riches et pauvres, il déconseille l’emprunt, source d’ennuis pour les créanciers, à quelques exceptions près, et de pauvreté pour les débiteurs. T. xiv, col. 780 sq. Par exception saint Ambroise permet de pratiquer l’usure avec les ennemis, ubi jus belli, ibi jus usuræ, et c’est en ce sens qu’il interprète les dispositions de l’Ancien Testament permettant l’usure avec l’étranger. De Tobia, c. xv, n. 51, t. xiv, col. 779.

Dans le Livre de Tobie, saint Ambroise condamne l’usure au nom de la religion, parce que l’usure compromet gravement le salut éternel. Dans son De officiis, il condamnera les usures comme contraires à la loi naturelle, en déclarant que prendre par les usures quelque chose à autrui est un vice qui ne peut convenir qu’à des âmes serviles et de la plus basse condition et qu’il est contraire à la nature de faire tort à autrui pour se procurer des avantages. T. xvi, col. 151.

Quant à saint Jérôme (3447-420), il aborde le problème de l’usure essentiellement sous l’angle de l’exégèse, dans ses commentaires sur Ézéchiel, xviii, 6, P. L., t. xxv, col. 176-177 et sur saint Matthieu, t. III, xxi, 12 et 13, t. xxvi, col. 150-151. Se reportant au

texte hébraïque il remarque que dans l’Écriture toute sorte d’usure est défendue et pas seulement l’usure en argent comme l’indique la version des Septante. T. xxv, col. 176. Et saint Jérôme d’insister sur ce point et de réagir contre les pratiques de son temps. « Quelques-uns pensent, dit-il, que l’usure ne se fait qu’en argent. La sainte Écriture prévenant cette erreur défend le surplus de quoi que ce soit afin qu’on ne reçoive jamais plus qu’on a donné. On exerce à la campagne les usures du blé et du millet, du vin et de l’huile et de toutes les autres denrées ; ce sont ces usures que l’Écriture appelle surplus. » Pulant quidam usuram tantum esse in pecunia. Quod prævidens Scriptura divina, omnis rei aujerl superabundanliam, ut plus non recipias quam dedisli. Soient in agris (rumenti et milii, vint et olei, cœlerarumque specierum usuræ exigi, sive, ut appellat sermo divinus, abundantiæ. T. xxv, col. 176. Saint Jérôme donne un exemple pour être bien compris ; c’est faire l’usure que de donner dix boisseaux en hiver, pour les semailles, et d’en recevoir quinze au temps de la moisson, c’est-à-dire la moitié en plus. Loc. cit. C’est également pratiquer l’usure que de recevoir, pour de l’argent prêté, des présents de diverses espèces, munuscula diversi generis, car selon le langage de l’Écriture « on nomme usure et surplus quoi que ce soit, si on a reçu plus qu’on a donné », usuram appellari et superabundanliam quidquid illud est, si ab eo quod dederit plus acceperit. Ibid., col. 177.

Parmi les autres Pères de l’Église latine on peut négliger les témoignages plus anciens de saint Cyprien, Testim., t. III, c. xlviii, P. L., t. iv, col. 759 et de Lactance, Divin, instit., t. VI, c. xviii, P. L., t. vi, col. 699. Seul saint Augustin (350-430) est un peu plus explicite. Il déclare l’usure prohibée pour tous, Ennarat. in ps..x.x. VI, serm. iii, 6, P. L., t. xxxvi, col. 386, et plus spécialement pour les clercs : Deum audi. El Ille : Clerici non jenerent. Ennarat. in ps. cxxvin, t. xxxvii, col. 1692. Dans sa Lettre à Macédonius, Ep., liv (cliii), 25, t. xxxiii, col. 665, écrite en 414, il se plaint des lois et des juges qui ordonnent de payer les usures et compare l’usurier au voleur, disant qu’il voudrait bien qu’on restituât ces biens acquis par l’usure, mais qu’il n’est point de juge à qui l’on puisse recourir pour cela ; et vellem restituantur, sed non est quo judice repetuntur. Il revient à diverses reprises sur le thème de l’usure dans plusieurs de ses sermons, notamment De verbis Domini, serm. xxxv, 6, t. xxxviii, col. 239-240, et serm. lxxxvi, 5, ibid., col. 525-526.

En résumé, c’est au nom de la charité et de l’amour du prochain que les Pères de l’Église du iv et du v siècle ont condamné ce qu’ils appellent l’usure, c’est-à-dire la perception de tout surplus en argent ou en nature dans le prêt de consommation. On ne saurait conclure de l’étude des principaux textes patristiques que seule l’usure oppressive est réprouvée tandis que l’usure modérée est seulement regardée comme contraire à l’idéal de perfection du christianisme ; en ce sens Guibbert, op. cit., p. 84. Les Pères ne font aucune concession de ce genre ; ils n’admettent aucun compromis. Leur mépris profond des usuriers, de tous les usuriers, est ouvertement proclamé ; cf. S. Basile, In ps. XIV, P. G., t. xxix, col. 274. Ambroise, De Tobia, n. 42, P. L., t. xiv, col. 775, compare l’usure à la race des vipères qui déchirent le sein de leur mère et Augustin souligne que l’usurier est rejeté par l’Église et exécré des fidèles. Serm., lxxxvi, 3, P. L., t. xxxviii, col. 524-525. Mais à l’usure, il manque encore une sanction positive. La crainte de la damnation éternelle ne suffit pas à enrayer la pratique de l’usure.

L’examen des travaux patristiques pourrait laisser