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unil.i.nitus littérature autour de la bulle


en ce temps qu’elle n’a jamais été, la terreur répandue par les exils, les emprisonnements, l’enlèvement des biens de ceux qu’il plaît à ces Pères de faire passer pour jansénistes, la liberté qu’ils ont de tout dire impunément… » Voilà tout ce qui explique la bulle et doit la faire rejeter.

Ce fut toujours la tactique des jansénistes de vouloir confondre leur cause avec celle des thomistes ; ils s’appelèrent d’abord des augustiniens, puis les nouveaux-thomistes ; mais, en dépit de leurs efforts pour se cacher derrière la robe de saint Thomas, leur doctrine et, en particulier, la théorie de la grâce efficace par elle-même, est essentiellement différente de celle des thomistes. La grâce efficace des thomistes sauvegarde la liberté humaine, tandis que la grâce janséniste détruit cette liberté. Sans doute, les jansénistes repoussent avec indignation la grâce nécessitante, que, d’après eux, les jésuites leur attribuent, mais, s’ils rejettent le mot, ils conservent en réalité la chose : lorsque la grâce est la plus forte, l’acte bon suit infailliblement, invinciblement ; lorsque la concupiscence est la plus forte, le péché suit aussi invinciblement. Où donc est la liberté, dans cette lutte à laquelle la volonté assiste en simple témoin ?

D’autre part la bulle Unigenitus ne canonise nullement le molinisme. Thomisme et molinisme sont et demeurent deux systèmes librement défendus au sein de l'Église. Le pape Benoît XIII, successeur de Clément XI, le déclare formellement dans son bref Demissas preces du 14 novembre 1724 et il demande aux dominicains de mépriser les calomnies lancées contre la doctrine thomiste au sujet de la grâce efficace par elle-même et de la prédestination gratuite sans la prévision des mérites. Et le pape Clément XII, dans le bref Apostolicse Providentim du 2 octobre 1733, adressé aux dominicains, proteste contre l’obstination intolérable de ceux qui répètent que la constitution Unigenitus a condamné la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas sur la grâce efficace, et il renouvelle le décret de Paul V qui interdisait d’employer, soit en écrivant, soit en enseignant, soit en discutant ou, en toute autre occasion, une note ou censure théologique quelconque pour les doctrines des écoles catholiques.

li. L’acceptation de la bulle n’est pus canonique. Toutes les objections opposées à la bulle se ramènent et aboutissent à celle-ci : la constitution Unigenitus n’est canonique ni dans son contenu, ni dans les conditions au milieu desquelles elle a été élaborée, publiée et acceptée. Jusqu'à la mort de Louis XIV, en septembre 1715, il n’y eut que quelques protestations timides, car on n’osait élever la voix. Mais dès l’avènement du régent, qui favorisa et encouragea le jansénisme jusqu’au début de 1718, les écrits se multiplièrent. Cependant, malgré le zèle des défenseurs de Quesnel, le nombre des opposants et appelants resta relativement peu élevé : il y eut quinze ou seize éveques, dont quelques-uns hésitants. Trois universités seulement. Paris, Reims et Nantes, comptèrent un assez giand nombre de docteurs appelants ; parmi les congrégations. seuls les oratoriens, les bénédictins et lis doctrinaires eurent un grand nombre d’appelants ; environ 6 000 prêtres, religieux et ecclésiastiques sur plus de 200 000, s'élevèrent contre la bulle. Nivelle b réuni les protestations et appels dans le livre lèbre : Le cri de la foi, 3 vol. in-12. s. I.. 1719, revu et tenté dans l.a constitution Unigenitus déférée à l’Eglise universelle, 3 vol. in-fol., Cologne, 1757.

Voilà la petite armée des opposants. Le nombre des évêques, des universités, des congrégations, des curés, 'li ecclésiastiques et des fidèles qui acceptèrent explicitement ou Implicitement la bulle, est par comparaison, beaucoup plus grand, (.'est pourquoi le parti

DICT. DE 1 HF.ni.. C.ATHOL.

janséniste s’effrayait de sa solitude, qui risquait de faire le vide autour de lui, d’autant plus que les appelants qui mouraient n'étaient pas remplacés par de nouvelles recrues ; il va se réduisant de plus en plus, malgré le bruit qu’il fait, et qui, durant quelques années, est en raison inverse du nombre des adhérents. Cette constatation fait impression sur la foule des fidèles. C’est pourquoi les adversaires de la bulle vont tenter de montrer que cette désertion progressive ne compromet en rien la légitimité de leur position. La bulle est acceptée du plus grand nombre, mais le grand nombre n’est pas un argument en faveur de la bulle, qui reste toujours nulle et non avenue. Le P. Yi vien de La Borde, écrit dans son Témoignage de la vérité, p. 22 : « Cessez de nous opposer le grand nombre, règle équivoque en cas de partage, si vous ne pouvez, en même temps, l’appuyer de l’aveu général du corps des fidèles, qui ne peut jamais être faux ou douteux en matière de foi. »

Dans les écrits que publièrent, de 1715 à 1725, les amis de Quesnel, on trouve exposés tous les systèmes qui s’appuient plus ou moins explicitement sur les théories de Richer, tous les systèmes qui préparent la Constitution civile du clergé et qui lui servent de fondement (voir sur ce point l’ouvrage de Préclin, Les jansénistes et la Constitution civile du clergé, Paris, 1929). L’examen de ces systèmes, inventés pour justifier la bulle, a une grande portée doctrinale, car il permet de voir la forme que Jésus-Christ a donnée à son Église et de constater comment elle gouverne les âmes et comment elle promulgue les vérités qu’elle impose à la foi des fidèles.

Pour certains, l’infaillibilité n’a été promise qu’aux conciles généraux et, par suite, la bulle ne peut s’imposer à la foi que si elle est approuvée par un concile général, auquel les opposants font appel. Ils oublient que, durant les trois premiers siècles de l'Église, phisieurs hérésies furent condamnées et cependant le premier concile général de Nicée n’eut lieu qu’en 325.

Pour d’autres, il faut l’unanimité absolue dans l’acceptation. Mais cette opinion est contraire aux paroles les plus formelles de l'Évangile et incompatible avec les caractères de l'Église, que Jésus-Christ doit assister, tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles. D’ailleurs, cette unanimité absolue est tout à fait irréalisable, surtout aux époques de trouble et de division.

D’autres admettent que l’unanimité morale peut suffire, seulement « en temps de liberté, c’est-à-dire, lorsque les choses se traitent en esprit de paix et dans l’ordre ». C’est là restreindre l'étendue des promesses divines qui doivent se réaliser dans les temps de confusion, de division et de violence, aussi bien que dans les temps de paix. Dans les temps d’oppression, disent les jansénistes, les opprimés, fussent-ils peu nombreux, ont raison, car la vérité seule peut leur donner la force pour résister à l’oppression. « Lorsque la liberté manque…, les masses abandonnent la vérité, qui n’est plus défendue cpie par une élite, une petite plia lange de prêtres et de laïques ardents. » Mais alors que devient le signe visible qui permet de reconnaître la vérité sans équivoque possible et en tout temps ? Où est l’assistance divine promise par Jesus-t Jirist a son Lglisc, si c’est le petit nombre qui représente la vérité, alors que le grand nombre l’abandonne ?

C’est après 1717 et surtoul après la publication de la lettre l’astnralis officii (8 septembre 1718), qui condamnait les opposants à la bulle et les séparait de l'Église catholique, que se multiplièrent les écrits subversifs, qui bouleversaient entièrement la constitution de l'Église catholique et développaient les théories déjà esquissées par le P. Vivien de La Borde el le chanoine Nicolas Le Gros. Tous supposent que

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