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UNIGENITUS. LITTÉRATURE AUTOUR DE LA BULLE


que les textes cités par les Hexaples sont presque toujours falsifiés. Mais que faut-il penser de l’affirmation elle-même ?

Il faut rappeler d’abord que c’est l’Église qui est la véritable interprète de l’Écriture et des Pères ; c’est elle qui fixe le sens de l’Écriture et de la tradition. L’Écriture n’est règle de foi qu’en tant qu’elle est interprétée par l’Église, qui en fixe le sens authentique. On sait d’ailleurs que toutes les hérésies, au cours de l’histoire, ont prétendu s’appuyer sur l’Écriture et les Pères, entendus dans leur sens particulier. Les propositions condamnées sont, disent les jansénistes, tirées de l’Écriture et des Pères ; sans doute. Mais elles ressemblent beaucoup à des expressions employées par Calvin, Baius, Jansénius, et leur conformité avec l’Écriture et les Pères est souvent plus apparente que réelle.

D’autre part, l’autorité des Pères en général et de saint Augustin en particulier sur la question de la grâce, est assurément très grande, mais quoi qu’en ait dit Jansénius, l’autorité de saint Augustin n’est pas infaillible et elle est inférieure à l’autorité de l’Église et aux constitutions reçues par l’unanimité des pasteurs unis au pape. La doctrine d’Augustin sur la grâce est approuvée, en général, par l’Église, mais Augustin n’est pas le docteur infaillible et il a pu se tromper de bonne foi sur tel ou tel point. De plus, il écrivait au ve siècle, contre les pélagiens qui exagéraient la liberté humaine au détriment de la toute-puissance divine ; or, lorsqu’on combat une doctrine, on est porté à exagérer dans le sens opposé, afin de frapper plus fort. Dans sa lutte contre les pélagiens, Augustin n’aurait-il pas exagéré la toute-puissance divine, comme, lorsqu’il combattait les manichéens, il a parfois exagéré la liberté humaine ? A Julien d’Éclane, qui lui opposait des expressions qu’il avait employées dans ses polémiques contre les manichéens, l’évêque d’Hippone avoue que les expressions dont il se servait à cette époque, exagéraient sa pensée pour répondre à ses adversaires d’alors. C’est pourquoi un ouvrage polémique ne doit pas être compris et apprécié dans toute la rigueur des termes, comme on a le droit de le faire pour un ouvrage qui expose une doctrine de manière irénique. Bref, pour saisir la vraie pensée d’un auteur, il ne faut pas isoler ses termes ; il faut tenir compte du contexte, qui comprend non seulement les propositions qui l’entourent, mais encore le but que poursuit l’auteur.

Ajoutons qu’Augustin écrivait avant la naissance d’erreurs toutes modernes ; il a pu employer des expressions moins exactes, dont les hérétiques ont abusé au cours des temps et qui sont ainsi devenues franchement mauvaises par l’usage qui en a été fait. C’est cela qu’ont oublié au xvie siècle Luther et Calvin : c’est cela qu’après eux ont oublié Baius, Jansénius et Quesnel. C’est pourquoi l’Église peut justement condamner des expressions devenues dangereuses pour la foi, parce qu’elles sont employées dans un sens qu’Augustin ne connaissait pas et ne pouvait pas prévoir et qu’il aurait certainement désavoué. Quesnel est coupable d’avoir employé, au xvii » sièile. au milieu des protestants, et après Baius et Jansénius, des expressions qui ressemblent parfois si parfaitement aux leurs, des expressions captieuses que l’Église avait déjà condamnées chez eux, des usions qui se trouvent peut-être dans l’Écriture et (liez les Pères, mais qui sont devenues suspectes. L’Église proscrit par précaution ce qu’elle tolérait fois. Après l’hérésie de Calvin et de Luther, l’Église condamne tout ce qui renouvelle, favorise ou insinue les mêmes erreurs.

3, Lu bulle ne lient fins compte des propositions con traires. — La bulle a faussé la pensée de Quesnel pour la condamner : elle l’accuse de renouveler le jansénisme et de reprendre, sous une forme dissimulée, les cinq propositions de Jansénius et, pour soutenir cette affirmation, elle passe sous silence des propositions formellement opposées au jansénisme. Bossuet avait déjà signalé des propositions dans lesquelles Quesnel déclarait qu’on peut résister à la grâce efficace, que les commandements de Dieu peuvent être observés par les justes, que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes. Après la publication de la bulle, les jansénistes reprirent le même plaidoyer, opposant aux propositions condamnées des propositions formellement contraires.

Pour répondre à cette objection, il n’est pas nécessaire de lire le livre des Réflexions pour voir s’il renferme vraiment des propositions antijansénistes, que la bulle a négligées pour extraire les propositions qu’elle a condamnées. Il suffit de faire la remarque suivante : même en admettant que toutes les propositions qu’on cite soient rigoureusement exactes dans les termes et le sens qu’on leur attribue, il n’en reste pas moins que les propositions condamnées se trouvent dans le livre de Quesnel, aux endroits indiqués. Tout n’est pas mauvais nécessairement dans un ouvrage que l’Église a cru opportun de condamner, et toutes les propositions condamnées ne sont pas également fausses ; il en est qui ne sont que captieuses, téméraires, ambiguës, et cela suffit pour que l’Église les ait justement condamnées comme suspectes chez un auteur dont la conduite et les écrits l’étaient déjà depuis longtemps.

4. La bulle ne lient pas compte des corrections faites.

— Quesnel, dans ses Mémoires, se plaint de ce qu’on n’ait pas tenu compte des corrections qu’il avait faites soit spontanément, soit à la demande du cardinal de Noailles, dans les éditions de 1699 et 1705, et qu’on ait condamnées des propositions légèrement inexactes dans les éditions antérieures, par exemple les propositions 2, 5, 13, 19, 30, 35, 45, 59, 67, 85, 98. Mais les éditions anciennes continuaient à circuler, donc à répandre l’erreur et, d’autre part, les propositions échappées à la plume non surveillée de Quesnel expriment la pensée spontanée de Quesnel et indiquent mieux les tendances de l’auteur et sa pensée profonde.

Il faut ajouter que, même lorsqu’il se défend, Quesnel emploie des expressions équivoques qui voilent sa pensée, laquelle reste toujours identique. Dans ses Plaintes et protestations, il admet l’existence de grâces efficaces, auxquelles on résiste effectivement et qui n’ont pas l’effet qu’elles devraient avoir. Faut-il conclure que la volonté peut résister à la grâce ? Point du tout. En effet, cette résistance à la grâce ne vient point de la volonté libre de l’homme, qui choisirait entre deux actes, mais de la cupidité qui se trouve plus forte. La volonté est placée entre deux délectations (grâce et cupidité terrestre) et elle penche invinciblement du côté de la délectation la plus forte, comme la balance penche du côté où sont les poids les plus lourds. Voilà l’erreur que l’Église condamne et que Quesnel défend toujours, malgré les termes ambigus par lesquels il exprime sa pensée. La résistance à la grâce vient non de la volonté libre, mais de la concupiscence plus forte que la grâce. L’Église enseigne que la volonté n’est pas le simple témoin de la lutte entre les deux délectations, dont la force relative fixerait l’issue, mais qu’elle intervient dans la lutte et que c’est son intervention qui décide du triomphe de la grâce pour le bien ou qui résiste pour le mal.

5. Les propositions sont condamnées en bloc, sans qualification. Les jansénistes ont surtout appuyé