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    1. UNIGENITUS##


UNIGENITUS. LITTÉRATURE AUTOUR DE LA BULLE

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De plus, des propositions vraies, dans leur sens grammatical, peuvent être justement censurées à cause des intentions marquées de ceux qui les emploient, ou à cause des erreurs déjà enseignées. Ainsi, à cause des circonstances et de l’usage qui a été fait de certaines propositions vraies en elles-mêmes, cellesci sont devenues captieuses et suspectes ; elles sont devenues dangereuses par le sens qu’on leur attache. Biles ne sont point fausses, mais, vu les circonstances de temps, de lieu, de personne, l’Église peut légitimement les condamner, car leur vérité apparente ou même réelle n’empêche pas qu’on leur attache des sens erronés. L’Église alors ne condamne point la vérité en elle-même, mais gardienne fidèle de la foi de ses enfants, elle a le droit d’interdire l’emploi d’expressions qui blessent la vérité. On pourrait employer ces expressions sans erreur, sans hérésie, mais on ne peut les employer sans exposer la foi des autres et la sienne propre aux soupçons, surtout si des hérétiques se sont servis de ces expressions dangereuses. Et, lorsque l’Église les a proscrites, on ne peut plus les employer sans se révolter contre l’autorité de l’Église.

Nicolas Petitpied, un des plus célèbres défenseurs du livre de Quesnel, dans ses Réponses aux Avertissements de Languet de Gergy, évêque de Soissons (5 vol. in-12), écrit : « L’abus est un défaut extrinsèque et étranger à la proposition. Sans doute, l’abus est toujours condamnable, aussi bien que les personnes qui le commettent, mais les choses dont on abuse, ne le sont nullement… Il faut aimer et respecter la vérité, quelque part qu’elle se trouve… On n’a condamné ces propositions que par peur du jansénisme, dont on a voulu faire un épouvantail, alors que ce n’est qu’un fantôme. » Ces remarques de Petitpied supposent que l’Église ne peut condamner que l’erreur formelle et caractérisée. Mais l’Église a le droit de condamner aussi ce qui, sans être l’erreur proprement dite, ressemble à l’erreur ou conduit à l’erreur. L’Église alors ne condamne pas la vérité mais le langage qui, en énonçant une vérité, conduit à l’erreur qu’il cache. Des propositions vraies peuvent devenir captieuses : elles présentent à l’esprit une vérité apparente, mais sous cette vérité qui frappe d’abord elles dissimulent un sens plus profond qui suggère ou renferme une erreur. Ainsi il y a des propositions qui, quoique vraies, sont suspectes et rendent suspects ceux qui les emploient. Pour garder la foi de ses enfants, l’Église a le droit de régler leur langage et d’interdire des expressions, innocentes en elles-mêmes, mais qu’elle sait dangereuses.

Ordinairement, l’Église condamne le texte pris en lui-même et indépendamment de l’auteur, mais cependant si l’auteur est notoirement suspect, elle peut condamner certaines de ses expressions devenues suspectes par l’usage qu’il en fait. L’Église connaissait les tendances de Quesnel et de ses amis, qui se gardaient d’exprimer clairement et ouvertement leur pensée, afin de surprendre les esprits non prévenus. On a toujours accusé les jansénistes d’user de cette tactique, ainsi que de l’anonymat et du pseudonymat, qui leur permettaient de multiplier le nombre de leurs écrivains et de leurs partisans ; c’est pourquoi, afin de les découvrir et de les désarmer, l’Église condamna des propositions, qui auraient pu être acceptées en d’autres circonstances et sous la plume d’autres écrivains, mais qu’elle a jugé prudent de condamner, parce qu’elles étaient susceptibles d’un mauvais sens et qu’elle-même se défiait et avait de justes raisons de se défier de Quesnel. Alors on peut dire que l’Église a condamné certaines expressions à cause de l’auteur qui les a employées, parce qu’elle suppose que cet auteur a voulu cacher ses erreurs

sous des termes en apparence exacts. Dans ce cas, l’Église ne juge pas les intentions réelles de l’auteur, qui lui échappent, mais les expressions employées par lui, et le livre lui-même, qui, indépendamment des intentions de l’auteur, peut être dangereux pour la foi des fidèles.

S’il en est ainsi, disent les jansénistes, il n’est pas de proposition qu’on ne puisse détourner en un mauvais sens, dont on ne puisse abuser ; et, par conséquent, qui ne puisse devenir condamnable. On en arrive à trouver le sens qu’on veut, par des interprétations arbitraires ; il n’est pas de propositions, pas de livre que l’Église ne puisse condamner, s’il lui plaît, un jour ou l’autre, car il n’est pas de propositions dont on ne puisse abuser ou même dont on ne puisse craindre que l’on abuse.

Cela pourrait être vrai, si l’autorité qui juge et qui condamne, était une autorité humaine, plus ou moins tyrannique, mais il s’agit de l’Église dont les jugements échappent aux caprices et aux passions des hommes, parce que, lorsqu’ils intéressent la doctrine catholique, comme c’est le cas de la bulle Unigenitus, ils engagent l’autorité même de Dieu, et lorsqu’ils n’intéressent pas la doctrine elle-même, on doit estimer que la sagesse et la prudence ont inspiré les juges, conscients de leur responsabilité devant les hommes et devant Dieu.

Un auteur, janséniste très ardent, le P. Vivien de La Borde, dans un opuscule intitulé : Dissertation où l’on établit les principes généraux pour juger la constitution et où l’on montre d’une manière géométrique que l’on ne peut la recevoir absolument même avec des explications, écrit, p. 23-24 : « Un mauvais sens ne rend une proposition condamnable que si ce sens est en même temps prédominant et le plus naturel. Lorsqu’une proposition renferme deux sens, on ne peut la diviser et en condamnant le mauvais sens, on condamnerait aussi le bon ; si celui-ci est prédominant, il est sage de ne pas condamner la proposition. Or, pour trouver un mauvais sens dans beaucoup de propositions condamnées, il a fallu se donner la torture, forcer les expressions, subtiliser, chicaner sur les plus mesurées, fouiller jusque dans le secret des cœurs, avoir recours aux intentions cachées. »

Ces remarques pourraient avoir une valeur, au point de vue grammatical et logique et trouver leur application, s’il s’agissait de propositions abstraites et sans conséquences pratiques ; mais il est question ici de propositions qui peuvent être dangereuses pour la foi et, dès lors, l’Église est en droit de les proscrire pour sauvegarder la foi. Il faut observer, de plus, que ia bulle n’a pas condamné toutes les propositions comme hérétiques ou erronées ; certaines sont captieuses, ambiguës, donc elles ont une apparence de vérité, et c’est parce que l’Église les a estimées dangereuses, quelle a jugé opportun de les condamner, et d’en interdire l’emploi.

2. Propositions tirées de l’Écriture et des Pères, spécialement de saint Augustin. — À la suite de Bossuet, beaucoup d’écrivains jansénistes ont voulu justifier les propositions condamnées de Quesnel, en montrant qu’elles étaient empruntées soit à l’Écriture, soit aux Pères de l’Église et tout particulièrement à saint Augustin et à saint Prosper. Le livre des Hexaples, 1714, ou Écrit à six colonnes, composé par l’élite des auteurs jansénistes : Boursier, Fouillou, d’Étemare, Nivelle, et réédité en 1721, en 7 vol. in-4°, s’efforce de justifier les cent une propositions condamnées par des textes conformes, extraits des auteurs ecclésiastiques ; on conclut que condamner ces propositions, c’est condamner des auteurs autrefois approuvés par l’Église. Il faut dire, d’ailleurs, que les Anti-Hexaples ont groupé des textes tout opposés et montré