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UNIGENITUS LITTÉRATURE AI TOI’R DE LA BULLE

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Noailles avait publié le 20 août 1696 une Instruction pastorale, dont une partie était tirée de mémoires fournis par Bossuet (d’après son secrétaire Ledieu, 28 août 1702). Cette Instruction fut attaquée dans un écrit intitulé Problème ecclésiastique, qui mettait Noailles en contradiction avec lui-même et l’accusait de soutenir le jansénisme. Pour défendre cette Instruction pastorale, qui était en partie son œuvre, et pour défendre son ami Noailles, contre l’accusation de jansénisme, Bossuet, à la demande du cardinal, rédigea en 1699, un Avertissement ; cet écrit devait être mis en tête d’une nouvelle édition du livre des Réflexions morales, qui allait paraître avec l’approbation de Noailles. L’écrit de Bossuet ne parut pas à cette époque. Pourquoi ? Certains disent que Quesnel refusa de faire les corrections demandées par Bossuet. Ledieu, secrétaire de Bossuet, écrit à la date du 15 juin 1711 : « M. l’Archevêque de Paris ne jugea point à propos de le faire imprimer et il se contenta de faire publier, pour répondre au Problème, Quatre Lettres imprimées à Anvers en 1700, qu’il a lui-même avouées et fait répandre dans Paris et qui n’étaient qu’un extrait de l’Avertissement composé par feu M. Bossuet. » Il s’agit des Lettres d’un théologien à un de ses amis, à l’occasion du Problème ecclésiastique, adressé à M. l’abbé Boileau. L’auteur, l’abbé de Beaufort, théologien de Noailles, reproduit littéralement, sauf quelques changements imposés par la forme littéraire, l’ouvrage de Bossuet, en supprimant les huit derniers chapitres (xvii à xxiv), auxquels, dit-on, Bossuet tenait beaucoup : il y est question des vertus théologales en tant que séparées de la charité, de la crainte de l’enfer, de la nécessité d’un commencement d’amour de Dieu pour recevoir l’absolution dans le sacrement de pénitence, des membres de l’Église, de l’état de pure nature et des principes fondamentaux de la grâce.

L’ouvrage lui-même ne fut publié qu’après la mort de Bossuet (1704), à Lille en 1710, et à Paris en 1711, par les soins de Quesnel. Celui-ci mit en tête, pour expliquer le dessein de Bossuet, un Avertissement que Bossuet n’aurait pas probablement signé et il donna à l’écrit un titre que Bossuet n’eut certainement pas approuvé : Justification des Réflexions morales. Mais l’ouvrage lui-même est authentique et il a été rédigé par Bossuet : à la Bibliothèque Nationale, le mss. latin 17 680 contient deux copies, dont l’une porte de nombreuses corrections écrites de la main de Bossuet, ce qui, dit Ledieu, « est la marque d’un ouvrage achevé et prêt à donner », voir Urbain : Bossuet apologiste de Quesnel, dans la Revue du clergé français, du 15 janvier 1901, t. xxv, p. 361-392.

Bossuet plaide les circonstances atténuantes en faveur de Noailles qu’on ne saurait accuser de jansénisme, car, à maintes reprises, il a condamné les cinq propositions de Jansénius, et en faveur de Quesnel qu’il juge avec beaucoup de bienveillance, car il s’applique à justifier son écrit, et en particulier, plusieurs propositions que la bulle Unigenilus condamna en 1713. Bossuet les interprète dans le sens de saint Augustin : en défendant le livre de Quesnel, il veut défendre la doctrine du Docteur de la grâce, doctrine « consacrée par l’Église et adoptée par tant d’actes solennels des souverains pontifes depuis saint Innocent I er jusqu’à Innocent XII ».

Après la publication de la bulle Unigenilus en 1713, les amis de Quesnel, pour protester contre la condamnation du livre dont, en 1699, Bossuet avait entrepris la justification, cherchèrent à s’appuyer sur la grande autorité de l’évêque de Meaux et on retrouve, chez eux, beaucoup d’arguments qui lui sont empruntés. Dès lors, on comprend les polémiques qui se sont élevées, jusqu’au début du xxe siècle, au sujet du jan sénisme, vrai ou prétendu, de Bossuet. Quelle eût été la conduite de Bossuet, s’il eût vécu en 1714, après la condamnation officielle du livre de Quesnel, approuvée par l’assemblée du clergé de France ? II est probable que les discussions violentes soulevées par les jansénistes après la bulle Vineam Domini, après le bref de condamnation du 13 juillet 1708, après la bulle Unigenilus du 6 septembre 1713, après les tergiversations de son ami Noailles, lui auraient ouvert les yeux sur les desseins cachés des jansénistes, et peut-être sa grande autorité aurait-elle réussi à arrêter ses amis dans leur marche à l’abîme.

Quoi qu’il en soit, Bossuet a défendu le livre des Réflexions mondes de Quesnel, ouvrage dont la bulle Unigenilus a extrait cent une propositions, pour les condamner avec des qualifications plus ou moins graves. Il est intéressant de relire ce livre, d’où les amis de Quesnel tirèrent, en les exagérant et en les développant, les remarques et les arguments à l’aide desquels ils essayèrent de grouper leurs partisans et de multiplier les opposants à la bulle.

Pour excuser certaines expressions moins exactes, Bossuet fatt observer, plusieurs fois, que « les Réflexions morales ne disputent pas scolastiquement » (§ 16), « qu’il ne faut pas apporter aux lectures spirituelles un esprit de chicane » (§ 20), bref, déclare-t-il, « pour peu qu’on apportât à cette lecture un esprit d’équité et que l’on s’attachât à considérer toute la suite du discours, au lieu du trouble que quelques-uns voudraient inspirer, on n’y trouverait qu’édification et bon conseil » (§ 17). Et il ajoute : « Plusieurs voudraient que l’auteur des Réflexions ait moins parlé des excommunications et des persécutions suscitées aux serviteurs de Notre-Seigneur et aux défenseurs de la vérité, du côté des rois et des prêtres. Pour nous, sans nous arrêter au particulier, nous regardons tout cela comme une partie du mystère de Jésus-Christ, si souvent marqué dans l’Évangile, qu’on ne peut pas, en l’expliquant, oublier cette circonstance, pour accomplir ces paroles du Sauveur à ses disciples : i Le « temps va venir que quiconque vous fera mourir « croira servir Dieu » ( § 22). Mais, pourrait-on objecter : cela est-il nécessaire dans un ouvrage de piété ?

Parfois, d’ailleurs Bossuet exprime des regrets ; il s’étonne, à propos de l’état de pure nature, que certaines expressions « aient échappé dans les éditions précédentes, par exemple, celle où il est porté que la grâce d’Adam était due à la nature saine et entière » (§ 24) ; c’est qu’en effet, cette proposition nie le caractère surnaturel de la grâce et reproduit une erreur condamnée chez Baius. Bossuet tente en particulier de justifier Quesnel du reproche de jansénisme sur les questions de la liberté humaine et de la résistance à la grâce, de l’observation des commandements de Dieu. Sur ces points, les amis de Quesnel reprendront souvent les remarques de Bossuet pour justifier les propositions condamnées par la bulle Unigenilus.

Résistance à la grâce et liberté humaine.

Bossuet

reproche aux adversaires de Quesnel de n’avoir pas tenu compte des passages qui expriment clairement la possibilité de résister à la grâce et qui affirment que la grâce ne nécessite pas. Sans doute, on ne peut résister à la toute-puissance de Dieu, quand il veut sauver les pécheurs, ni en empêcher ou retarder l’effet ; ces expressions si fréquentes chez les Pères ne prouvent point que la grâce soit nécessitante. Dieu tourne où il lui plaît les volontés les plus rebelles, mais sans les violenter, car Dieu fait agir librement les agents libres. « L’efficace toute puissante de la volonté de Dieu, qui opère que ce qu’il veut sera, opère aussi qu’il sera avec la modification qu’il y veut mettre, c’est-à-dire, que ce qu’il veut du libre arbitre arrive