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TRINITÉ. L’ENSEIGNEMENT DE PAUL

même que le livre des Actes lui attribue déjà. Les Églises pauliniennes connaissent, tout autant que la première communauté de Jérusalem, les manifestations extraordinaires dont l’Esprit est l’auteur, et plusieurs chapitres de la première aux Corinthiens sont consacrés à régler, dans la mesure où cela est possible, l’usage des charismes. Cependant il est assez difficile de se rendre un compte exact de la véritable nature de l’Esprit aux yeux de saint Paul ? Non seulement, en certains passages, on ne voit pas au juste si l’apôtre veut parler de l’Esprit de Dieu ou de l’esprit de l’homme ; mais assez souvent, on peut se demander s’il regarde l’Esprit divin comme une véritable personne ou comme un attribut divin.

Il est vrai que l’hésitation, permise lorsqu’il s’agit de textes isolés, cesse lorsqu’on envisage l’ensemble des passages où l’œuvre de l’Esprit est mise en relief.

« L’Esprit est envoyé par le Père et il est envoyé par le

Fils ; c’est l’Esprit du Père et c’est l’Esprit du Fils. cf. Rom., viii, 9-14 ; I Cor., ii, 11 ; II Cor., iii, 17 sq. On en déduit avec raison la personnalité distincte de l’Esprit-Saint et sa procession simultanée du Père et du Fils. Bien qu’il ne reçoive jamais le nom de Dieu, il en a les attributs. La grâce, œuvre divine par excellence, dérive du Saint-Esprit, aussi bien que du Père et du Fils. L’opération de l’Esprit est aussi l’opération du Christ et l’opération du Père. I Cor., xii, 11 ; Eph., iv, 11. Les fidèles sont appelés indifféremment les temples de l’Esprit-Saint, I Cor., vi, 19, et les temples de Dieu. I Cor., iii, 16 ; II Cor., vi, 16. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont inséparablement unis dans la collation du baptême et ils habitent conjointement dans l’âme des justes. Nul n’est agréable à Dieu s’il n’est mû par l’Esprit de Dieu et le plus grand malheur d’un chrétien serait de contrister l’Esprit, Eph., iv, 30, sans lequel il est incapable de tout bien surnaturel. » F. Prat, 'op. cit., t. ii, p. 211.

Ce groupement de textes est de nature à faire impression, et il n’a rien d’illégitime. Jamais saint Paul n’a eu l’occasion d’exposer toutes ses idées concernant l’Esprit-Saint. Écrits de circonstances, ses lettres ne disent chacune que ce qu’il faut pour répondre aux besoins des Églises ou des disciples à qui elles s’adressent. On a donc le droit de rapprocher les unes des autres leurs diverses formules ; et l’on ne saurait guère hésiter sur l’opinion que l’apôtre se fait de l’Esprit-Saint.

D’ailleurs, nous pouvons aussi lire, dans les lettres de saint Paul, quelques passages qui sont hautement significatifs. Personne, est-il dit par exemple, ne peut comprendre le bonheur que Dieu destine à ceux qui l’aiment. « Dieu nous l’a révélé par l’Esprit, car l’Esprit scrute toutes choses, même les profondeurs de Dieu. Qui connaît ce qui est en l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même aussi personne ne connaît les choses de Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. Or, nous avons reçu, non l’esprit du monde, mais l’Esprit qui est de Dieu, afin de connaître ce dont Dieu nous a favorisés. » I Cor., ii, 10-12. Comme nous nous connaissons nous-mêmes par notre esprit. Dieu se connaît lui-même par son Esprit ; et cet Esprit divin peut seul nous donner la connaissance de Dieu. Il y a, dans la pensée de saint Paul, un parallélisme rigoureux entre notre esprit, qui ne nous apprend rien en dehors de nous et du monde, et l’Esprit de Dieu qui nous révèle Dieu et ses secrets : si l’esprit de l’homme n’est pas seulement en lui comme un bien étranger, mais fait partie de lui à titre constitutif, ne doit-on pas conclure que l’Esprit de Dieu est bien plus que la sagesse surnaturelle, quelque chose de Dieu ?

Ailleurs, suint Paul déclare : « Vous n’êtes pas dans la chair mais dans l’Esprit, si toutefois l’Esprit de Dieu habite en vous. Mais si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, celui-là ne lui appartient pas. Que si le Christ est en vous, le corps sans doute meurt à cause du péché ; mais l’esprit vit à cause de la justice. Or, si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts ressuscitera vos corps morts, à cause de son Esprit (qui habite) en vous. » Rom., viii, 9-11. L’Esprit du Christ habite en nous, comme un principe de vie. Sans lui, nous sommes morts : non seulement notre âme ne peut pas vivre à la justice, mais notre corps n’est pas digne de ressusciter. Sans doute, les formules de saint Paul ne sont pas aussi claires que nous le désirerions, parce qu’il est question, dans le même contexte de notre esprit, qui est un principe de vie purement naturel et de l’Esprit de Dieu, ou de l’Esprit du Christ, qui nous donne la justice surnaturelle et qui fera revivre nos corps mortels. La distinction des deux esprits est quelquefois difficile. On ne saurait cependant douter qu’elle existe.

Il est vrai que, sans l’Esprit, nous ne pouvons pas avoir part au Christ. « Quiconque n’a pas l’Esprit du Christ, celui-là ne lui appartient pas. » Rom., viii, 9. C’est que, si l’union des hommes charnels s’opère dans la chair, l’union du chrétien au Seigneur qui est esprit s’opère dans l’esprit. Par suite, les formules : vivre dans le Christ et vivre dans l’Esprit sont pratiquement synonymes. Saint Paul dit indifféremment qu’on est justifié dans le Christ, Gal., ii, 17, et qu’on est justifié dans l’Esprit, I Cor., vi, 11 ; sanctifié dans le Christ Jésus, I Cor., i, 2, et sanctifié dans l’Esprit Saint, Rom., xv, 16 ; marqué dans le Christ, Eph., i, 13, et dans l’Esprit-Saint, Eph., iv, 30 ; circoncis dans le Christ, Coloss., ii, 11, et circoncis dans l’Esprit, Rom., ii, 29. Il exhorte ses fidèles à se tenir dans le Seigneur, Phil., iv, 1, et dans l’Esprit, Phil., i, 27. Il parle tout aussi bien de la joie, de la justice, de la foi, de l’amour, dans le Christ et dans l’Esprit, Phil., iii, 1 ; Rom., xiv, 19 ; Gal., iii, 26 ; I Cor., xii, 9 ; Rom., viii, 39 ; Col., i, 8. Il invite les chrétiens à participer au Fils, I Cor., i, 9, et à participer à l’Esprit-Saint, II Cor., xiii, 13 ; Phil., ii, 1.

Mais ces formules ne permettent pas de conclure à l’identité du Christ et de l’Esprit. Seul le Fils de Dieu s’est incarné ; seul il a eu une existence historique, qui a trouvé son terme dans la mort sur la croix. Saint Paul se garde bien de parler de l’Esprit en des expressions qui pourraient ici prêter à la moindre équivoque. Au plus pourrait-on se demander si l’Esprit n’est pas en Jésus le principe de la vie comme il l’est aussi en nous. Nous vivons grâce à notre esprit : Jésus n’a-t-il pas vécu à cause de la présence en lui d’un Esprit divin, ou plus exactement de l’Esprit divin ? Il faut avouer qu’ici il est permis de regretter quelque imprécision, sinon dans la pensée de l’apôtre, du moins dans les expressions qu’il emploie.

4o  La Trinité.

En toute hypothèse, nous devons tenir le plus grand compte des passages dans lesquels saint Paul fait intervenir en même temps les trois personnes de la Sainte Trinité. Ici, nous n’avons plus le droit d’hésiter, puisque nous trouvons réunis, sous une formule unique, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Sans doute, nous ne devons pas nous attendre à trouver dans les lettres de l’apôtre une théologie développée avec tout l’attirail de la terminologie précise que créeront les siècles suivants : il n’est question chez lui ni de substance, ni de subsistence, ni de personne, ni de procession, ni de circumincession, etc. Aussi bien, même de nos jours, ces termes n’ont pas passé dans le langage courant et ils demeurent réservés, ou presque, aux techniciens. C’est beaucoup déjà que saint Paul nomme ensemble le Père, le Fils et le Saint-Esprit,