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ULRICH DE STRASBOURG


arguments invoqués par O. Lottin, dans Recherches de théol. âne. et médiév., juillet 1930, Bulletin, p. 225.

Son œuvre principale est et demeure 8. la Summa de bono, ou, comme il l’intitule lui-même le Liber de Summo liono, véritable somme théologique qui, écrite entre 1262 et 1272, se trouve donc être contemporaine ou légèrement antérieure à celle de saint Thomas. Vingt-deux manuscrits nous la conservent. Elle n’a été que partiellement éditée : le 1. I er par J. Daguillon, Ulrich de Strasbourg. La « Summa de Bono », Paris, 1930 ; des extraits du 1. II (le chapitre De Pulchro) par M. Grabmann, Des Ulrichs Engelberts von Strassburg O. P. Abhandlung « De Pulchro », Munster, 1926 ; du t. V, tr. I, c. 13 (sur le Corps mystique ) par I. Backes, dans Florilegium palristicum, 40, 1935 ; et du t. VI, tr. IV (relatifs à la contemplation ) par J. Daguillon, dans Vie spirituelle, Suppl. t. xiv, 1926, p. 19-37, 89-102 ; t. xv, p. 56-67.

Dans la pensée de son auteur, cette Somme devait comporter huit livres traitant respectivement : de la connaissance de Dieu ; de l’Etre de Dieu : de essentia Summi Boni ; de la Trinité. Puis, se rattachant à chacune des trois personnes : de la création : De Pâtre et de sibi appropriato efjectu creationis rerum et de creaturis ; de l’incarnation : De Filio et de incarnatione et ejus mysleriis quæ discrète conveniunt Filio et non Palri nec Spiritui sancto ; du Saint-Esprit, avec les dons et les vertus. Le 1. VII devait traiter des sacrements ; le dernier de la Béatitude. Dans tous les manuscrits, même les plus complets, l’ouvrage s’arrête, inachevé, au traité V du 1. VI. Cependant certains indices, assez ténus il est vrai, laissent croire que les deux derniers n’ont pas été simplement à l’état de projet, mais ont été écrits, bien que nous n’en connaissions aucun manuscrit.

Par sa forme, cette Somme marque un progrès sérieux sur les Sommes antérieures, celles de Guillaume d’Auxerre, par exemple, d’Alexandre de Halès ou d’Albert le Grand. Elle n’atteint pas encore cependant à la netteté de celle de saint Thomas. Elle ne se présente pas d’ailleurs comme celle-ci subdivisée en questions et articles étroitement liés, mais plutôt sous forme de commentaires et développements à partir d’un texte ou d’un thème ; les paragraphes s’y laissant cepenflant suffisamment reconnaître.

Son principal intérêt, en dehors même de l’essai de synthèse qu’elle présente, consiste en cette orientation néo-platonicienne qu’elle tient d’Albert le Grand, et de la place spéciale qu’elle occupe par le fait dans l’histoire de la pensée philosophique et théologique. Elle y fait en quelque sorte le trait d’union entre la doctrine albertinienne et les grands mystiques rhénans du xiv c siècle. Car elle n’est pas seulement philosophique, ni même théologique, comme le disait déjà Jean de Fribourg, mais elle se présente comme une œuvre éminemment mystique. A travers Albert le Grand, l’influence de Denys s’y fait sentir profonde ; et les premiers livres de la Summa de Bono sont en réalité un véritable commentaire du De divinis nominibus. Il y a d’ailleurs tout un problème littéraire et théologique qui se pose encore sur les rapports existant entre le commentaire, encore inédit d’Albert sur les Noms divins, qu’Ulrich de Strasbourg et Thomas d’Aquin entendirent également des lèvres de leur maître, et le double travail auquel ces deux disciples s’adonnèrent ensuite sur le même thème, Ulrich dans sa Somme, et Thomas dans un traité, encore inédit lui aussi. Ulrich utilise et connaît également tout le matériel doctrinal du néoplatonisme, depuis le Liber de causis jusqu’à la Métaphysique d’Avicenne.

C’est dans son exposé sur la connaissance de Dieu, sa possibilité et ses voies, que se manifestent plus

particulièrement ses tendances. On y retrouve les théories sur l’être, première émanation, produit propre de l’être suprême, celui-ci devenant l’esse formate de toutes choses, non au sens panthéiste, évidemment, mais en tant que toutes les autres formes dérivent de cette forme primordiale, et se faisant également lumière de toutes les intelligences. Ainsi dans l’intellect possible se trouve déjà déposée une connaissance confuse de Dieu, dont le contact avec les œuvres divines permet de prendre conscience. L’action illuminatrice de Dieu s’accomplit en outre avec le concours des intelligences, inférieures à lui, qui meuvent les corps célestes.

Il expose plus loin, à propos de la théologie et de ses principes, comment un certain nombre de vérités nous sont naturellement connues, indépendamment de la foi, et commandent toute l’étude théologique comme ses principes premiers : à savoir que Dieu est la vérité suprême et la cause de toute vérité ; que cette première vérité. ne peut ni se tromper ni nous tromper ; qu’il faut donc croire tout ce qu’elle affirme. Qu’il faut accorder la même créance à ceux dont Dieu ratifie le témoignage par les miracles dont il les accompagne ; enfin que la sainte Écriture, pour ces mêmes motifs, possède la même vérité.

Pour la doctrine de la Providence, c’est de Denys qu’il dépend beaucoup plus que d’Aristote ; car ce n’est pas à ce dernier qu’il a emprunté les noms de sanctus, dominus, rex, sous lesquels il désigne ce Dieu Providence Pour sa notion de la loi éternelle, il se rattache à saint Augustin.

Dans le détail de ses positions théologiques, de celles du moins qui ont fait l’objet d’études particulières, l’influence néo-platonicienne semble moins accusée. Il en est ainsi pour ses doctrines trinitaires. Malgré les éléments grecs de son système, il n’est pas tant apparenté à un Bichard de Saint-Victor, un Alexandre de Halès ou un saint Bonaventure qu’à la psychologie augustinienne, et donc à Pierre Lombard, Albert le Grand et saint Thomas. Sa christologie se rapproche sensiblement de-celle exposée par ce dernier dans son Commentaire sur le IIIe livre des Sentences. Ses positions sur l’immaculée conception sont conformes à celles de son ordre, et de toute son époque, d’ailleurs. Son traité sur les vertus, au t. VI, suit de très près la paraphrase d’Albert sur l’Éthique à Nicomaque.

Quand l’œuvre d’Ulrich aura été publiée dans son intégrité, on saisira mieux l’importance qu’elle présente pour l’histoire de la théologie dominicaine, plus particulièrement de l’école rhénane. C’est à Strasbourg que vécurent Tauler, Nicolas de Strasbourg, Jean de Dambach. Dans quelle mesure ont-ils subi l’influence d’Ulrich et de sa Somme ? Jean de Fribourg, lui, Jean Nider, Denis le Chartreux accuseront plus nettement leurs emprunts. Il y a là, pour la mystique comme pour la pensée théologique, tout un chapitre, et non des moins intéressants, à écrire.

M. Grabmann, Studien tiber Ulrich von Strassburg, 2e éd. dans Mittelalterliches Geistesteben, Munich, 1926, p. 147221 ; G. Théry, Extraits de la Summa de Bono d’Ulrich de Strasbourg, relatifs à la connaissance de Dieu, dans Vie spirituelle, suppl. t. vii, 1922, p. 38-46 ; t. ix, 1923, p. 2842 ; G. Théry, Originalité du plan de la Summa de Bono d’Ulrich de Strasbourg, dans Revue thomiste, 1922, p. 376397 ; M. Grabmann, Des Ulrich Engelberts von Strassburg O. P. Abhandlung De Pulchro, dans Sitzungsber. der Bayer. Akad., Munich, 1926, p. 73-84 ; A. Stohr, Die Trinitàtslehre Ulrichs von Strassburg, Munster, 1926 ; J. Daguillon, Ulrich de Strasbourg, O. P., La Summa de Bono, livre I, dans Bibliothèque thomiste, t.xii, 1930 ; A. Dyroff, Ueber die Entwicklung und den Wert der.Esthetik des Thomas von Aquino, dans Archiv fur sustematische Philosophie und Soziologie, 1929, p. 157-215 ; I. Backes, Der Aufbau der