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ULFILA. VIE ET ÉCRITS


le soulèvement, par un prêtre chrétien et l’on a pu émettre l’hypothèse que ce prêtre est Ulfila lui-même. La chose reste possible sans plus. Ce qui est assuré tout au moins, c’est la fidélité d’Ulfila à la Romania : cette fidélité ne se démentit pas jusqu’à sa mort. D’après la Dissertalio Maximini, Ulfila prit à Constantinople, devant l’empereur Théodose, la défense des deux évêques ariens déposés en 381 par le concile d’Aquilée, Palladius de Ratiaria et Secundinianus de Singidunum : pour être capable de faire cette démarche avec quelques chances de succès, il devait jouir d’un large crédit à la cour. La fit-il réellement ? La chose n’est pas assurée, car Maximin ne connaît qu’un seul voyage d’Ulfila à Constantinople, celui au cours duquel il mourut et dont nous savons qu’il eut lieu en 383. Cette date est bien tardive pour être celle d’une intervention en faveur des condamnés d’Aquilée. Il est donc assez probable qu’Ulfila n’eut pas à exercer son action en pareille circonstance. Par contre, en 383, lorsque Théodose tenta un suprême effort pour rétablir l’unité religieuse et invita à une conférence des évêques de tous les partis (Socrate, H. E., v, 10 ; Sozomène, H. E., vii, 12), l’évêque goth fut convoqué et descendit en effet à Constantinople. La lettre d’Auxence précise qu’il alla y combattre les pneumatomaques, Dissert. Maximini, p. 75 ; cf. J. Zeiller, op. cit., p. 456-458. Le sens de cette formule reste assez obscur pour nous, d’autant plus que la réunion projetée ne put avoir lieu, Socrate, loc. cit. ; Sozomène, toc. cit. : devant la mauvaise volonté des évêques, Théodose préféra se faire remettre par les représentants de chaque parti une profession de foi d’après laquelle il pourrait rendre sa sentence. Ulfila rédigea donc, comme ses collègues, un symbole, dont la lettre d’Auxence nous a conservé le texte. Ce fut là son dernier acte. Tombé malade dès son arrivée à Constantinople, il ne tarda pas à y mourir. Son épiscopat avait duré quarante ans, comme le règne de David lui-même.

Au cours de sa longue vie, Ulfila écrivit sans doute assez peu. Le seul ouvrage que nous puissions lui attribuer avec certitude est la traduction de la Bible en langue gothique. Nous avons déjà dit que, suivant Philostorge, Ulfila aurait traduit lui-même tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, à l’exception des livres des Rois. On croit plutôt aujourd’hui que l’historien s’est trompé en parlant ainsi et que l’évêque goth n’a pas accompli une besogne aussi considérable. Nous ne possédons en effet de l’ancienne version gothique que des portions des quatre évangiles rangés selon l’ordre ancien : Matthieu, Jean, Luc et Marc, dans le Codex argenteus du vie siècle, conservé à Upsal ; un fragment bilingue, goth et latin, de saint Luc, dans un palimpseste du vf siècle, acheté à Antinoé ; une quarantaine de versets de l’épître aux Romains dans un palimpseste bilingue de Wolfenbùttel ; des restes assez importants des épîtres « le saint Paul, sauf de l’épître aux Hébreux dans trois anciens manuscrits de Bobbio, aujourd’hui conservés à Milan et à Turin ; enfin trois feuillets du livre de Néhémie. dans un quatrième manuscrit de Bobbio conservé à Milan. Ces feuillets de Néhémie sont les seuls témoins de l’Ancien Testament en langue gothique qui nous soient parvenus. Sont-ils suffisants pour nous autoriser à croire à l’existence d’une traduction intégrale et surtout pour nous amener à croire qu’Ulfila lui-même est l’auteur de cette traduction ? De telles questions sont à peu près impossibles à résoudre. Tout au plus l’existence de la traduction de Néhémie, un des livres les moins importants de l’Ancien Testament est-elle un argument sérieux en faveur d’une version intégrale. On comprendrait mal que les Goths n’aient pas eu à leur

disposition une version du Pentateuque et des psaumes par exemple, alors qu’ils pouvaient lire le livre de Néhémie dans leur langue. Cependant, il n’est pas permis d’utiliser, pour démontrer l’existence d’une traduction gothique des psaumes, la lettre de saint Jérôme à Sunnia et à Fretela. Même s’il ne s’agit pas ici de personnages imaginaires, ainsi que l’a pensé dom de Bruyne, ils ne s’intéressent qu’aux divergences entre la traduction grecque et la traduction latine des psaumes et c’est sur ces divergences qu’ils consultent le savant exégète de Bethléem. Un texte gothique, quel qu’il soit, reste en dehors de leur horizon. Il faut ajouter que Sunnia et Fretela sont des orthodoxes : auraient-ils utilisé couramment et avec confiance une traduction faite par un arien ? La même remarque vaut à propos d’une allusion de saint Jean Chrysostome affirmant que de son temps, à Constantinople, le peuple chrétien chante les psaumes en toutes langues, en latin, en syriaque, en barbare et en grec, Hom. n ad popul. Constantin., P. G., t. lxiii, col. 467. Sans doute la langue barbare dont il s’agit ici est-elle bien le gothique ; mais on a peine à croire que les goths catholiques aient employé dans leur liturgie une traduction due à un hérétique. S’il est donc assuré qu’Ulfila a traduit en gothique les évangiles, les épîtres de saint Paul, à l’exception de l’épître aux Hébreux, et même les autres livres du Nouveau Testament, il est sage de conclure par un non liquet lorsqu’il s’agit de l’Ancien Testament.

En toute hypothèse, la traduction d’Ulfila présente les caractères suivants : « 1. elle a pour principe fondamental un strict littéralisme. (En quoi elle ressemble fort aux anciennes versions latines, surtout à l’africaine.) Le traducteur observe une double règle : le mot à mot, le même ordre des mots dans la phrase.

2. Un second trait remarquable, mais pas aussi rigide, de la technique wulfilienne est l’uniformité générale de la traduction : toutes les fois que le sens le permet, le même mot grec est rendu par le même mot gothique.

3. En dépit de cette méthode, dont l’effet naturel est une rédaction médiocrement intelligible à part des originaux grecs, le choix des termes révèle un respect profond pour le génie de l’idiome, en même temps que le souci de l’exactitude… 4. Les déviations par rapport à la norme s’expliquent, pour une part, par le désir d’éviter dans le même contexte la répétition d’un mot ; toutefois ces variantes purement stylistiques sont peu nombreuses, beaucoup plus rares que les critiques ne le prétendaient jusqu’à présent. » A. Wilmart, Les Évangiles gothiques, dans Revue biblique, 1027, p. 49-50.

A côté de la traduction gothique de la Bible, Ulfila a-t-il écrit d’autres œuvres ? Auxence l’affirme : après avoir dit qu’Ulfila prêchait sans répit dans la seule et unique Église du Christ, en grec, en latin et en gothique, il ajoute : Qui et ipsis tribus linguis plures traclatus et mullas interpretationes… post se dereliquit. Disserl. Maximini, p. 74. Les traclatus sont assurément des sermons ; les interpretationes des commentaires exégétiques. Nous n’avons pas de raison pour mettre en donte le témoignage d’Auxence ; mais de toute cette production, il ne nous est plus possible de juger, car elle n’est pas parvenue jusqu’à nous. Il est vrai que I. Zeiller, op. cit., p. 505-511, lui attribue la composition du Skeirein, série d’homélies, à la fois exégétiques, morales et dogmatiques, sur au moins sept chapitres du IV évangile. Mais les arguments qu’il fait valoir en faveur de cette hypothèse ne dépassent pas les limites d’une simple possibilité. Il serait imprudent de s’y arrêter. « Ulfila fut surtout un conducteur d’hommes ; 11 avait à instruire des fidèles sortis d’une nation où le christianisme commençait seulement à pénétrer. Une