Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée
2045
2046
UBIQUISME. LA CONTROVERSE


habite personnellement dans le diable, que l’enfer est en Dieu et que le ciel n’existe peut-être pas… ; conséquences naturelles d’une première absurdité. » H. Heppe, Geschichte der hessischen Generalsynoden von 1568-1582, Cassel, 1847, t. i, p. 75-78.

Remanié à Berg (1577), le formulaire de Torgau continue à être combattu à outrance par le landgrave Guillaume IV de Hesse : « Par la doctrine de l’ubiquité et les horribles interprétations qu’on lui donne, dit celui-ci, l’homme du peuple, simple et crédule, n’est exposé à rien de moins qu’à tomber dans l’athéisme. Cf. H. Heppe, Geschichte des deutschen Protestantismus, t. iii, p. 271-290. Le prince fait publier une liste d’opinions contradictoires de Luther sur la Cène. Id., Geschichte der… Generalsynoden, t. i, doc, p. 81. A son tour, Joachim Ernest d’Anhalt attaque Andréa ; et Paul de Eitzen, surintendant général, déclare l’ubiquisme une « erreur grossière ». Cf. Pressel, Churfùrst Ludwig von der Pfalz und die Concordienformel, dans Zeitschrift fur hisl. Théologie, neue Folge, t. xxxix, Gotha, 1868, p. 504-509.

L’ubiquisme mitigé.

1. Chemnitz. — Chemnitz

se pose en conciliateur des thèses opposées. Sans doute, il n’est pas parvenu à construire une véritable synthèse ; son enseignement sur la présence du Christ demeure un agrégat d’éléments disparates empruntés tant à Mélanchthon qu’à Luther et à Brenz. C’est dans le De duabus naturis in Christo, Wittenberg-Leipzig, 1578, qu’il développe (dès 1571) sa thèse. Il admet pleinement la formule aristotélicienne : propria non egrediuntur sua subjecta (p. 280) et en cela il demeure disciple de Mélanchthon. L’esse in loco appartient donc essentiellement à l’humanité du Christ. Mais, ce principe une fois posé, Chemnitz revient par un détour vers la thèse luthérienne. On conçoit très bien, dit-il en substance, que la nature humaine (en général) reçoive, à titre de dons infus et gratuits, une sorte de participation de la divinité, dans la mesure finie où elle en est capable. L’exemple proposé est celui de l’habitation de la divinité dans les âmes saintes (p. 263 sq.). À plus forte raison, en vertu de l’union personnelle, l’humanité du Christ, enhypostasiée dans le Verbe, peut recevoir en elle quelque chose des propriétés divines (lesquelles, en réalité, s’identifient avec l’essence divine) ; mais

— et c’est ici que Chemnitz se différencie de Brenz, tout en s’en rapprochant — elle les recevra, non à titre de possession essentielle, mais simplement comme un « don, d’ordre potentiel et dynamique » (p. 229 sq., 279, 328, etc.). C’est le Logos, dans l’unité duquel elle vit, qui lui communique son vouloir et son activité ; ainsi devient-elle l’organe même de ce vouloir et de cette activité, et il est impossible de séparer, même par la pensée, le Verbe de son union avec l’humanité : quæ unio adeo arcta, individua et insolubilis est, ut divina natura toC A6you ncc velit nec possit nec debeat extra hanc cum carne unionem, sed in arctissima itla unione cogitari, quirri aut deprchendi. La divinité ne s’identifie pas avec l’humanité ; elle se manifeste par elle. Pour exprimer cette union intime, Chemnitz revient avec prédilection sur la comparaison du fer incandescent plongé dans le feu (p. 305 et ailleurs). Il concède que, dans l’état de l’abaissement terrestre, le Christ, à son gré, a pu passer de la xévoxiii ; r ?, ç XP^oetoç à la xpû’^iç ttjç yprjæwc. tandis épie dans l’état de l’exaltation, la nature humaine jouit pleinement de la communication de la divinité. Mais là où Brenz avait dit : nature humaine divinisée, C.hemnitz rectifie : transdéifiée « .Cette conception permet à Chemnitz de maintenir la distinction dos deux natures ; mais, en même temps, Il croit pouvoir en déduire que le Christ, localement circonscrit dans sa nature humaine, devient, prnptcr utriusqur (nnturtr)

inter se prtesentissimam unionem et unitissimam prsesentiam, potentionnellement omniprésent.

2. La formule de concorde de 1580. — Elle s’inspire visiblement (part. II, a. 7 et 8) des concessions de Brenz. Les termes en sont habilement rédigés pour établir un prudent compromis. Directement elle n’enseigne pas l’ubiquité du corps du Christ, mais seulement sa présence multipliée dans l’eucharistie et même multipliable au gré de la volonté divine (multi ou ubivoliprésence). À la vérité, elle ne manque pas d’attribuer à l’humanité du Christ, soit dans l’état d’abaissement, soit dans son exaltation, la pleine possession de la divine majesté ; mais des attributs divins, elle ne mentionne que la toute-puissance et l’omniscience, jamais l’omniprésence. Cf. J.-Th. Muller, Die symbolischen Bûcher der evangelisch-lutherischen Kirche, 11° éd., Gutersloh, 1912, p. 549, 680, 691, 692, 695. Si elle parle de l’omniprésence de Dieu, ibid., p. 548, 692, 695, jamais il n’est question de l’omniprésence de l’humanité du Christ, mais bien de sa présence « sur terre », « dans l’Église », « chez les croyants », présence réalisée grâce à la toute-puissance. Ibid., p. 672, 680, 691, 692, 695. Une seule fois on lit le texte, si souvent invoqué par les partisans de l’ubiquisme : omnia implet et ubique non tantum ut Deus, sed etiam ut homo prsesens dominatur et régnât. Ibid., p. 680. Bellarmin a condensé la doctrine de la Formule de concorde en deux propositions, la première, tirée de l’art. 7, § 5 : « La droite de Dieu est partout et l’humanité du Christ est élevée jusqu’à elle » ; la seconde, tirée de l’art. 8, § 11 : « Dès la conception du Christ, son humanité a été élevée à la droite de Dieu ; aussi, même comme homme, le Christ est présent à toute créature. » Op. cit., c. i, n. 14 ; Symbolische Bûcher, p. 672, 676. On remarquera toutefois que prœsens ubique n’est pas l’équivalent de ubique, esse. D’ailleurs, une interprétation exagérée de l’ubiquisme est nettement rejetée à deux reprises. Symbol. Bûcher, p. 548, 695.

Il n’en reste pas moins vrai que la Formule semble indirectement approuver l’ubiquisme luthérien par les larges citations qu’elle emprunte aux écrits de Luther sur l’eucharistie, dans les phrases mêmes qui enseignent l’ubiquisme et l’esse replelive. On peut le voir également dans la doctrine de l’ « ubivoliprésence », ainsi que dans l’interprétation métaphorique de la droite de Dieu, uniquement considérée comme la majesté divine. Symbol. Bûcher p. 540, 546. Mais, à côté de ces assertions de portée générale, des concessions particulières faites à la terminologie de Chemnitz, de Luther et de Brenz montrent bien l’intention conciliatrice du document. Le problème comme l’indique Chemnitz lui-même dans sa souscription, est loin d’être résolu. Quoi qu’il en soit, « le réalisme de la communication des idiomes est conçu dans le document comme le fondement de l’ensemble de la christologie, en accentuant cependant l’intégrité des deux natures et de leurs propriétés, l’inaccessibilité de la nature divine aux propriétés humaines et la distinction des états. La Formule (de concorde) pourrait ainsi être accueillie comme du brenzianisme » adouci, à la manière d’Andréa ou comme du « mélanchthonisme » un peu forcé de Chemnitz. » Munzinger, art. Ubiquitât, dans Prot., Realenc, t. xx, p. 195.

Fin de la controverse.

Bien que la modération

de Chemnitz l’ait emporté dans la Formule de « Mi-Corde de 1580, l’ubiquisme intégral trouva encore pendant un certain temps d’ardents défenseurs, notamment les deux théologiens souabes, Léonard Hulter et Aeg. Hunnlus. Le premier reprend purement et simplement l’enseignement rigide de Brenz. Ii second est plus nuancé et semble s’inspirer de