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UBIQUISME. LA CONTROVERSE


fois ce n’est pas le dernier aspect de la thèse de Brenz : l’incarnation n’a pas été pour la nature humaine une simple élévation à l’existence divine ; elle est une réelle divinisation de l’humanité par la personne du Fils de Dieu. Pendant la vie mortelle du Christ, cette divinisation n’apparaissait pas, car le Christ « a voulu prendre alors les faiblesses de l’humanité et laisser à son corps la localisation circonscriptive propre à sa condition d’homme ». C’est en cela que consiste l’humiliation, Yexinanilio du Christ Homme-Dieu, ut et videretur et palparetur adcoque loco circumscriberetur. P. 925. Mais maintenant, siégeant à la droite de Dieu, ce n’est plus localement qu’il faut envisager la situation de son corps : l’humanité du Christ participe de l’omniprésence divine et acquiert ainsi, dans l’eucharistie, l’esse définitive des esprits et, dans l’univers entier, l’esse repletive Dei. P. 849-850.

Grâce à Brenz, la doctrine de l’ubiquité avait été élevée, à Stuttgart et dans les Églises luthériennes, à la hauteur d’un dogme et mise au rang des articles du symbole protestant. Cf. Dollinger, Die Reformation, ihre innere Entwicklung und ihre Wirkungen im Umfangen des lutherischen Bekenntnisses, Ratisbonne, 1846-1848, t. ii, p. 363-364 ; H. Heppe, Geschichte des deutschen Protestantismus in den Jahren 1555-1581, Marbourg, 1852-1859, t. i, p. 312-314. C’est à partir de ce moment que la controverse ubiquitaire rejaillit sur la personne même du Christ. Mélanchthon se sépare des ubiquistes et de la confession de Wittenberg « aussi opposée à la pure doctrine que la doctrine des papistes ».

2° Réactions en Palatinal ; intervention d’Andréa : le formulaire de Torgau. — C’est alors que Frédéric III le Pieux, électeur du Palatinat, découvrit que la Confession d’Augsbourg était papiste sur l’eucharistie ; il s’aperçut aussi que les écrits de Luther renfermaient des erreurs. La doctrine de l’ubiquisme, défendue à Wittenberg, lui répugnait singulièrement. A son sens, elle annihilait complètement l’humanité du Christ ou du moins elle en faisait « une chose subtile et vague, puisqu’il fallait la reconnaître dans les pierres, le bois, le feuillage, les gazons, les pommes, les poires et tout ce qui vit ; même dans les pourceaux infects et même, comme un docteur l’avait affirmé au vieux landgrave, dans le grand tonneau de Stuttgart ». A. Kluckhorn, Briefe. Friedrich der Fromme, Kurfurst von der Pfalz (1559-1j7(>), Nordlingen, 1879, t. i, p. 587. En conséquence, Frédéric fit une réaction brutale contre la messe et tout ce que les luthériens avaient conservé du culte catholique. Cf. J. Janssens, Hist. de l’Allemagne protestante, tr. fr., t. iv, p. 204-205.

La discussion reprit au colloque de Maulbronn (1564), où calvinistes et zwingliens, d’une part, luthériens, d’autre part, s’affrontèrent. Des prédicants wurtembergeois ayant affirmé que Luther, sur la fin de sa vie, avait rétracté ses erreurs ubiquistes, les luthériens prétendirent le contraire. Heppe, op. cit., t. ii, p. 101 sq. Les luthériens naturellement étaient soutenus par Christophe ; leurs adversaires, par Frédéric. Tout en maintenant fondamentalement la doctrine ubiquiste, on adoucit les formules de Brenz, dont la fragilité était rendue plus évidente encore par les considérations métaphysiques qu’y avait ajoutées Andréa, prévôt et chancelier de Tubingue. L’apologie de la convention de Maulbronn (1565) concède déjà une xévcooiç xpvjerewç à la place de la xpû^iç xp*i<*swÇ de Brenz. Sur la signification de ces deux expressions, voir kénose, t. viii, col. 2339. Mais l’on maintenait l’opposition entre l’état de la nature humaine considérée dans le Christ encore sur cette terre et celui de sa nature glorifiée dans le ciel.

Adversaire acharné de Rome et des papistes, Andréa déplorait cependant l’absence de vertu chez les

réformés. Tout en se proclamant ennemi des disputes et partisan de la concorde, il voulut restaurer le luthéranisme dans le Palatinat, avec le seul catéchisme de Luther comme symbole de foi. Par les soins de l’électeur Auguste de Saxe, un nouveau colloque eut lieu à Torgau (1576), où intervinrent douze théologiens de l’électorat et cinq étrangers dont Andréa. Les Églises saxonnes avaient déjà changé d’avis au sujet de l’ubiquisme. Elles l’avaient enseigné sous Luther ; mais, après la mort du réformateur, sous l’influence de Mélanchthon, elles commencèrent à attaquer l’ubiquisme défendu par Illyricus (Liber de ascensione Domini) et Brenz. Dans une lettre à Frédéric, comte Palatin (1559), Philippe de Hesse avait blâmé ceux qui ont rêvé cette ubiquité pour le corps du Christ : hsec sunt portentosa omnia, ignota eruditse vetustati. Bien plus, en 1571, le synode de Dresde, auquel prirent part tous les surintendants du duché de Saxe, les docteurs de Leipzig et de Wittenberg, décida que l’ubiquité du corps du Christ était « une horrible profanation de tous les articles du symbole et le renouvellement de toutes les hérésies ». C’est dans ces conditions qu’Andréa intervint en faveur de l’ubiquisme. Nommé inquisiteur de l’électorat de Saxe, il prononça devant le sénat universitaire de Wittenberg un discours où il déclarait que Jésus-Christ, présent partout selon son humanité sainte comme selon sa divinité, l’avait choisi comme instrument et lui avait confié la mission de répandre la bonne doctrine. Il accabla d’injures Mélanchthon et voulut même renvoyer Chemnitz, jugé trop hésitant. Sur Chemnitz et sa doctrine ubiquiste, voir plus loin. Cf. Pressel, Die fùnf Lehre des D’Andréa in Chursachsen, dans Jahrbiïcher fur deutsche Théologie, t. xxv, p. 239 sq. Pour Andréa, quiconque repousse l’ubiquité du corps du Christ est un hérétique endurci contre lequel l’autorité a le devoir de sévir. Une violente dispute s’éleva entre Andréa et Luc Major, surintendant de Halle. Andréa soutenait que la nature humaine du Christ est toute-puissante et partout présente, présente « dans les pierres, les herbes, les bâtons, les cordes ». Major ripostait en colère qu’on devait chercher le Sauveur non dans les corps inanimés, mais dans ses paroles et dans les sacrements. Andréa dira plus tard que cette présence du Christ en toutes les créatures est un article de foi. Mais, ajoutera-t-il, « nous enseignons qu’il [le Christ] n’y est que d’une manière toute spirituelle et non pas comme si, dans toutes les créatures, il était présent en chair et en os, avec ses mains et ses jambes, comme la paille dans le sac ou le pain dans la corbeille. Une telle doctrine nous ferait horreur ; nous l’attribuer est une calomnie ». Dans Das Bericht von der Ubiquitàt an eine hohe fiirstliche Person gestellt, Tubingue, 1589.

Andréa eut finalement le dessus à Wittenberg : le « livre de Torgau » fut accepté dans le Wurtemberg, à Bade, Brunswick, Mecklembourg, Lubeck, Hambourg et Lunebourg, enfin à Magdebourg. Mélanchthon fut déclaré « hérétique et séducteur du peuple ». En Saxe, ceux-là même qui, au synode de Dresde en 1571, avaient protesté contre l’ubiquisme, acceptèrent pleinement cette doctrine : Rêvera omnia implet et ubique, non tantum ut Deus, verum eliam ut homo prœsens, dominatur a mari usque ad mare. Cf. Bellarmin, De Christo, t. III, c. i, n. 17. Par contre, la Poméranie rejeta l’accord de Torgau. Les deux ducs d’Holstein refusèrent de la signer ; les théologiens d’Anhalt protestèrent et, sous l’influence du landgrave Philippe, la Hesse lui fit une très vive opposition. Philippe s’opposa même à ce que l’université de Marbourg enseignât l’ubiquisme : « Je ne puis comprendre, disait-il, quelle sorte d’hommage nous rendons au Christ en admettant… que Jésus-Christ