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TRINITÉ. LA FOI DE L’ÉGLISE NAISSANTE


« vinsses et que je reposasse sur toi. Tu es, en effet
« mon repos, tu es mon Fils premier-né, qui règne dans
« l’éternité. » L’Évangile des ébionites, cité par saint

Épiphane, est encore plus étrange : « Quand le peuple eut été baptisé, Jésus vint aussi et fut baptisé par Jean. Et quand il remonta de l’eau, les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit-Saint sous la forme d’une colombe qui descendait et qui entrait en lui. Et une voix se fit entendre du ciel, disant : « Tu es mon fils

« bien-aimé ; en toi, je me suis complu » ; et encore :
« Je t’ai engendré aujourd’hui. » Et aussitôt une grande

lumière éclaira le lieu. » Hæres., xxx, 13. Si l’Esprit est présenté comme la mère de Jésus, c’est parce que le mot qui sert à le désigner en araméen ou en hébreu est du genre féminin. Mais nous avons manifestement affaire ici à des récits tardifs, dont le seul intérêt est de mettre en relief par comparaison la simplicité des Synoptiques. Les apocryphes tiennent à enjoliver la scène et à la charger de détails plus extraordinaires les uns que les autres, tandis que les Évangiles canoniques se contentent de rapporter les faits tels qu’ils se sont passés, en respectant le mystère qui les entoure.

Le second événement dont nous avons à tenir compte est la transfiguration. On sait que le miracle prend place six jours après la solennelle confession de saint Pierre à Césarée de Philippe : « Jésus prend Pierre et Jacques et Jean son frère, et il les emmène sur une haute montagne à l’écart. Et en leur présence il fut transfiguré, et sa face resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici que Moïse et Élie leur apparurent, s’entretenant avec lui. Alors, Pierre prit la parole et dit à Jésus :

« Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu veux,
« je ferai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse
« et une pour Élie. » Pendant qu’il parlait encore, voici

qu’une nuée lumineuse les recouvrit, et voici que de la nuée une voix se fit entendre qui dit : « Celui-ci est

« mon fils bien-aimé en qui je me suis complu ; écoutez-le. » Les disciples, ayant entendu cela, se jetèrent la

face contre terre et eurent une grande frayeur. Et Jésus s’approcha d’eux, les toucha et leur dit : « Levezvous et n’ayez pas peur. » Et quand ils levèrent les yeux, ils ne virent personne sinon Jésus seul. » Matth., xvii, 1-8 ; cf. Marc, ix, 2 sq. ; Luc, ix, 28 sq.

Ici encore, nous nous plaisons à trouver une manifestation de la Trinité. C’est toujours la voix du Père qui se fait entendre pour proclamer que Jésus est son Fils bien-aimé, son Fils unique ; mais le Saint-Esprit, au lieu de se montrer sous la forme d’une colombe, apparaît comme une nuée lumineuse, assez analogue à celle qui couvrait Moïse au moment où il reçut la Loi. Nous voudrions savoir si les trois apôtres privilégiés qui furent témoins de la scène en comprirent exactement le sens. La chose est peu probable. Ce qu’il y eut pour eux de plus apparent, ce fut sans doute la glorification de leur Maître : la voix céleste qui proclamait l’autorité de Jésus, l’apparition inattendue de Moïse et d’Élie, les deux personnages les plus considérables de l’Ancien Testament, voilà ce qui était surtout de nature à frapper leurs esprits. Quelques jours auparavant, Pierre avait déclaré que Jésus était le Fils de Dieu, et Jésus avait tenu à rapporter à son Père l’honneur d’avoir révélé à son apôtre sa véritable nature. Voici maintenant que la foi de Pierre trouve sa merveilleuse confirmation puisque, d’une manière sensible, le Père rend témoignage à son Fils. Le reste ne compte pas ; et il a fallu que l’Église fût enfin éclairée par l’Esprit-Saint pour s’apercevoir que celui-ci n’avait pas été absent de la transfiguration.

Il convenait d’ailleurs que le Sauveur fût entré, par le mystère de sa résurrection, dans la vie glorieuse, pour achever de révéler à ses disciples la Trinité divine. Saint Matthieu est le seul à nous raconter comment

« les onze disciples se rendirent en Galilée, sur la montagne

que Jésus avait marquée ; et le voyant, ils l’adorèrent, mais quelques-uns doutèrent. Et Jésus s’approchant leur dit : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc ; enseignez toutes

« les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils
« et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout
« ce que je vous ai prescrit ; et voici que je suis avec
« vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles. » Matth., xxviii, 16-20.

On a voulu contester l’authenticité de la formule trinitaire du baptême dans ce passage de saint Matthieu et lui attribuer une origine postérieure due à la répercussion des usages liturgiques. Contre cette hypothèse se dresse l’universalité des manuscrits et des versions du premier Évangile : nous ne connaissons pas un texte de saint Matthieu d’où soit absent l’ordre de baptiser au nom des trois personnes divines. Les Pères de leur côté, lorsqu’ils veulent citer exactement l’Évangile, rappellent la formule trinitaire ; seul le témoignage d’Eusèbe de Césarée présente quelques difficultés : il ne saurait prévaloir contre l’unanimité des autres Pères.

Il est vrai que, lorsque l’évangile de saint Matthieu fut rédigé, l’Église était déjà vigoureuse et avait adopté l’usage liturgique de baptiser au nom des trois personnes : ne pourrait-on pas supposer que l’évangéliste a voulu faire remonter à Jésus lui-même la formule couramment employée sous ses yeux ? Le problème à résoudre demeurerait celui de l’origine de cette formule ; car on comprend sans peine que l’Église ait obéi à un ordre du Seigneur et conféré le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Mais on comprend mal comment elle aurait pu, surtout dès les premiers jours, imaginer elle-même cette formule, étant donné surtout le petit nombre des affirmations claires qu’elle possédait alors sur le mystère de la Trinité.

Nous pouvons ajouter d’ailleurs que ce texte de saint Matthieu est de beaucoup le plus clair parmi ceux que les Synoptiques nous ont livrés. Il nous surprend un peu par sa précision, en particulier par le relief qu’il donne à la personne de l’Esprit, beaucoup plus discrètement présentée partout ailleurs. Cela ne suffit pas, faut-il le dire, pour nous autoriser à l’écarter. Nous savons assez que les évangélistes sont loin de rapporter tous les enseignements de Jésus. Nous savons aussi que le Sauveur, avant de quitter ce monde, avait promis à ses apôtres de leur envoyer l’Esprit-Saint qui leur ferait comprendre tout ce qu’il leur avait révélé : orientée vers l’avenir, puisqu’elle ne devait trouver son application que dans l’Église, la formule baptismale restait peut-être obscure pour ses premiers auditeurs : après la Pentecôte seulement et l’effusion de l’Esprit-Saint, ils devaient en pénétrer la plénitude

II. La foi de l’église naissante.

Lorsque furent rédigés les évangiles synoptiques, l’Église chrétienne avait déjà derrière elle plusieurs années de vie. Si nous avons commencé cependant par l’étude de ces livres, c’est parce que nous pouvions y retrouver les témoignages les plus fidèles de l’enseignement de Jésus. Nous pouvons encore reprendre les Synoptiques d’un autre point de vue, et essayer d’y retrouver aussi quelques-unes des expressions employées par l’Église primitive : recherche difficile sans doute, mais qui, faite avec précautions, peut être utile. Pour nous y aider, nous avons d’ailleurs le secours du livre des Actes qui nous apporte sur la foi et sur la prière de l’Église des premiers jours des indications précieuses, encore que trop fragmentaires à notre gré.

1° Jésus Seigneur.

L’un des faits sur lesquels nous pouvons insister, c’est le titre de Seigneur donné à