Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2017
2018
TYRRELL (GEORGES)

Cependant une évolution intime s’accomplissait en lui sous l’influence des grands théologiens libéraux anglais Mathew Arnold et B. Jowett, puis de la philosophie allemande que lui faisait connaître son ami le baron Fr. von Hügel, grâce auquel il était également initié à l’école française du dogmatisme moral et de l’ « action », ainsi qu’à la critique d’A. Loisy. D’où le besoin finit par s’imposer à lui de rénover l’enseignement de la foi catholique en subordonnant le caractère intellectuel de la révélation aux émotions de la piété, la valeur absolue du dogme à la caducité de ses formules, le rôle de l’Église aux poussées de l’Esprit. Au triomphe de ce « modernisme » il allait vouer désormais toutes les ressources de son esprit subtil et de son tempérament passionné.

Période moderniste. — Ses nouvelles tendances qui filtraient à peine dans ses productions publiques, auxquelles les milieux étrangers commençaient à prendre un intérêt de plus on plus vif, s’exprimaient nettement dans des publications clandestines, qui se multiplièrent à partir de 1902 et que la presse finit par ébruiter. Aussi le général des jésuites, auprès de qui G. Tyrrell était justement en train de négocier administrativement sa sortie, prononça-t-il d’autorité son exclusion (1er  février 1906). Mesure qui lui enlevait de plein droit toute situation et tous pouvoirs ecclésiastiques, dès là qu’il se trouvait congédié de la compagnie sine episcopo receptore.

Recueilli par Miss Petre dans la maison de famille qu’elle dirigeait à Storrington, G. Tyrrell mit à profit sa liberté pour entreprendre une campagne d’agitation et de propagande, où les lettres et notes relatives à son cas personnel destinées aux journaux de tous les pays s’ajoutaient aux livres de circonstance et aux articles de revue dans lesquels il plaidait avec ardeur la cause du « modernisme » doctrinal. L’encyclique Pascendi provoqua de sa part des protestations indignées dans le Giornale d’Italia du 26 septembre, puis dans le Times des 30 septembre et 1er  octobre 1907. Ce qui lui valut, dès le 22 octobre, une sentence de Rome aux termes de laquelle il était « privé des sacrements ».

Plus intraitable que jamais, il prônait « l’excommunication salutaire ». Tenté parfois de revenir à l’anglicanisme, il préférait s’attacher à la communion catholique, sauf à rêver que s’organisât « un fort noyau d’excommuniés qui constitueraient une protestation vivante contre la papauté ». En attendant, il payait de sa personne tant dans les revues de langue anglaise que dans le Rinnovamento de Milan et autres feuilles Italiennes qui s’efforçaient de combattre le bon combat pour la modernisation de l’Église. Au cardinal Mercier, qui l’avait nommément cité comme adepte du « modernisme » dans son mandement pour le carême de 1908, il répliquait par un livre où il dénonçait le « médiévalisme » du catholicisme actuel et en préparait un autre où il montrerait le christianisme lui-même

« à la croisée des chemins ».

C’est au milieu de cette activité débordante que la mort surprit l’impétueux sectaire le 15 juillet 1909, sans qu’il pût se réconcilier avec cette Église de son choix dont il ne cessa pas un instant de se dire — et de se croire — le défenseur contre l’aveuglement de ses chefs.

II. Œuvres. — De ses nombreuses publications, seules méritent d’être ici retenues celles qui intéressent de près ou de loin la théologie. Échelonnées sur tout le cours de sa carrière, elles en reflètent l’histoire et en marquent l’évolution.

Avant la crise. — Littérature pieuse et apologétique religieuse au jour le jour se partagèrent ses premier travaux : Nova et vetera, 1897 (trad. fr. par A. Clément, Paris, 1905) ; Hard sayings, 1898 (trad. fr. par A. Clément : Dures paroles, Paris, 1907) ; On external religion, 1899 (trad. fr. par Aug. Léger : La religion extérieure, 1902) ; Oil and wine, 1900 (imprimé seulement à titre confidentiel) ; The faith of the millions, 1901, réunion en deux volumes des principaux

« essais » parus dans le Month depuis 1896, parmi lesquels

se distingue un article plus important, où se trouve déjà contenu le germe de sa doctrine postérieure, sur « les rapports de la théologie et de la piété ».

Préparation de la crise. — Écrits pseudonymes :

« Dr  Ernest Engels », Religion as a factor of life, 1902

(trad. ital. par S. Gelli, pseudonyme de R. Murri : Psicologia della religione, Rome, 1905) ; « Hilaire Bourdon », The Church and the future, 1903. — Écrits avérés : Lex orandi, 1903, où se retrouve en substance, avec l’Imprimatur de la compagnie, le fond plus ou moins remanié de la brochure clandestine d’ « Ernest Engels » ; Lex credendi, 1906, ouvrage de caractère plutôt pieux et de fond assez équilibré, qui consiste surtout dans un commentaire mystique du Pater.

Explosion de la crise. — A much abused letter, 1906, reprise publique, augmentée de « réflexions sur le catholicisme », de la « Lettre confidentielle » — toute fictive d’ailleurs — « à un ami professeur d’anthropologie », qui circulait sous le manteau depuis 1904 et dont la divulgation intempestive par le Corriere della sera, le 31 décembre 1905, avait amené le général des jésuites à prononcer la peine d’exclusion contre G. Tyrrell ; Through Scylla and Charybdis, 1907, recueil d’articles divers parus au cours des années précédentes en vue de frayer une sorte de via media, sur la base de l’expérience mystique, entre le dogmatisme de l’Église et le pragmatisme purement utilitaire de la pensée moderne : l’auteur y reproduit en particulier les pages qui avaient été reçues dans le Month de janvier 1904, sous le titre de Semper eadem, où il dénonçait à mots couverts la faillite de la conception newmanienne du développement et dont la rédaction subtile avait surpris la vigilance des éditeurs ainsi que de la plupart des lecteurs.

Paroxysme de la crise. — A la condamnation portée contre le modernisme par ce qu’il appelait l’encyclique Perdendi gregis, sa plume féconde opposait tour à tour : L’excommunication salutaire, dans la Grande Revue du 10 octobre 1907, t. xlv, p. 661-672 (notes qui dataient, en réalité, du 18 mai 1904) ; The programme of modernism, Londres, 1908, traduction d’Il programma dei modernisti, manifeste anonyme lancé à Rome par Ern. Buonaiuti dès le 28 octobre 1907 ; Mediævalism, Londres, 1908, réplique au mandement du cardinal Mercier ; Christianify at the crossroads, 1909 (œuvre posthume dont la préface est datée du 29 juin 1909) ; Essays on faith and immortality, 1914, fragments groupés après sa mort par les soins de ses amis.

A mesure que la crise moderniste prenait les allures d’un mouvement international, les principaux ouvrages de G. Tyrrell bénéficièrent de traductions jusqu’en Allemagne et en Italie. Chez nous la « Bibliothèque de critique religieuse » éditée par la maison Nourry publiait successivement : Lettre à un professeur d’anthropologie, 1908 ; Suis-je catholique ? Examen de conscience d’un moderniste. Réponse au mandement quadragésimal de Son Éminence le cardinal Mercier, 1908 ; De Charybdeen Scylla. Ancienne et nouvelle théologie, 1910 ; Le christianisme à la croisée des chemins, 1911.

III. Doctrine. — Autant il serait peut-être excessif de chercher, à travers cette littérature de guerre, un système cohérent, autant se dessinent avec un suffisante clarté les grandes lignes de la pensée novatrice qui s’y exprimait à bâtons rompis.

Principes directeurs. — 1. Dans l’ordre de la philosophie religieuse, le seul où il put prétendre à une