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TYRANNICIDE. APPRECIATION MORALE


gation. Theol. mor., 6e éd., Paderborn, 1901, t. i, n. 184, p. 234. Et encore chez Neyraguet, Comp. theol. mor., Lyon, 1841, p. 157.

"Voici d’autre part les réponses données par Gury-Palmieri, Compend. theol. mor., Rome, 1878, t. i, p. 375 : Il n’est pas permis de mettre à mort le tyran de gouvernement ; ni le tyran d’usurpation qui est déjà en possession du royaume. Quant à l’usurpateur « en acte », il ne peut être mis à mort si ce n’est de par l’autorité du prince légitime ou pour cause de légitime défense, ou enfin au cours d’une guerre que la nation a entreprise contre lui. En ce cas, on présume que mandat a été donné à tout citoyen pour exécuter le tyran. — Bucceroni, Inslit. theol. mor., 4e éd., Rome, 1900, donne une réponse plus absolue : Nemini licet principem unquam interftcere, t. i, n. 706, 3° ; et il cite à l’appui l’autorité de saint Alphonse et la réfutation que fait celui-ci de l’opinion de Gerson. — La pensée de Lehmkuhl, un autre jésuite, est moins nette. Il ne traite pas, il est vrai, ex professo la question du tyrannicide, mais seulement de la résistance à une violence injuste. Tout en condamnant la rébellion, il affirme le droit naturel de défense, vim vi repellere, d’après le texte des Décrétales de Grégoire IX, t. V, tit. xxxix, c. 3. Si la violence est le fait de l’autorité, l’auteur subordonne l’usage de ce droit à deux conditions : chance de succès, absence de crainte de plus grands maux, Theol. mor., 10e éd., Fribourg, 1902, n. 797. II ajoute cependant un peu plus loin : In raro aliquo casu, prohiberi possum quominus me defendam : verbi gralia si uggressor, etsi injustus, bono communi sit multum necessarius, ibid., p. 495, n. 834. Ce cas, rarement réalisé, pourrait être celui d’un tyran, dont la vie serait précieuse pour la nation. Mais en dehors de l’hypothèse de la légitime défense, Lehmkuhl n’envisage pas la question du tyrannicide.

Avec Marc, Instit. morales Alphonsianæ, c’est encore la doctrine de saint Alphonse que nous retrouvons. A la question : An liceat lyrannum occidere, il répond : Négative de façon absolue, « soit qu’il s’agisse d’un tyran de gouvernement, soit qu’il s’agisse d’un usurpateur qui est arrivé à la possession pacifique du pouvoir, soit qu’il s’agisse même d’un envahisseur qui n’a pas encore obtenu cette possession pacifique, à moins que, dans ce dernier cas, le meurtre n’ait lieu de par l’ordre du prince légitime, ou en défendant légitimement sa propre vie, ou au cours d’une guerre entreprise par la nation contre l’usurpateur ». Cꝟ. 7° éd., Rome, 1892, t. i, n. 732. La raison que donne l’auteur est que : nunquam licet occidere hominem privala auctoritate. L’édition de 1933, revue par Gesterman-Raus, ajoute simplement cette réserve : nisi in actu injustæ aggressionis, ad propriam vitam tuendam. Il semble bien que la tradition scolastique soit rompue ; la théorie des modernes l’emporte. « Le renversement du tyran n’implique nullement la légitimité du tyrannicide », note Salsmans, Droit et morale, Bruges, 1925, p. 32. Et il poursuit : « Beaucoup de moralistes catholiques rejettent absolument celui-ci…, tout en admettant qu’une révolution peut être légitime dans un cas exceptionnel. » Vittrant, Théol. morale, Paris, 1941, semble être de cette école. Il admet, sous certaines conditions, le renversement, par la force, d’un gouvernement nuisible au bien commun, mais il n’envisage pas le cas du tyrannicide. n. 462, p. 242.

Parmi les contemporains, Merkelbach, O. P., est à peu près le seul à se rattacher à la tradition scolastique, par l’intermédiaire de Billuart, aux conclusions pratiques duquel il se réfère. Voici sa doctrine sur le tyrannicide, telle qu’il l’expose dans sa Summa theol. ntonilis, 3° éd., Paris, 1939, t. ii, n. 364, 5° : « Il n’est pas permis de mettre à mort un prince qui est légi time, mais qui gouverne tyranniquement et en opprimant son peuple. » La raison donnée est classique : nul n’a le droit, s’il n’est revêtu de l’autorité publique, de tuer un malfaiteur, quelque insigne qu’il soit. Mais à cette prohibition, notre auteur reconnaît deux exceptions, qu’il emprunte au passé et qui légitimeraient le tyrannicide : nisi populus conslituendo regem, hanc potestatem puniendi sibi reservaverit, vel nisi agatur de dejensione necessaria contra actualem aggressionem injuslam. Quant à l’usurpateur (lyrannus ex titulo), qui n’a pas encore obtenu la légitimité, il peut être mis à mort, « non seulement dans le cas de légitime défense, mais encore sur l’ordre du prince légitime ou bien au cours d’une guerre entreprise par la nation contre lui, dans le cas où il ne possède pas encore pacifiquement le pouvoir ; mais s’il en a déjà obtenu la permission paisible, le tyrannicide ne peut être accompli que sur ordre du prince légitime. » Cependant, conclut l’auteur, le meurtre du tyran d’usurpation ne sera permis pratiquement qu’aux quatre conditions suivantes : le tyran n’a certainement aucun droit au pouvoir ; il n’existe aucun supérieur auquel on puisse recourir ; la nation, dans son ensemble, n’est pas opposée au meurtre du tyran ; de ce meurtre ne doivent pas résulter, selon de prudentes prévisions, des maux plus grands et plus nombreux. Ibid., n. 364, p. 367.


II. Appréciation morale. —

En dépit d’un fatras de doctrines si diverses et à travers le dédale d’opinions qui se sont affrontées au cours des âges, il n’est pas impossible, croyons-nous, de retrouver le fil conducteur de la saine morale, à la lumière des enseignements de l’Église et de la droite raison.

Constatation préalable.

L’enquête que nous avons menée, au sujet du tyrannicide, à travers huit siècles d’histoire, nous amène à des conclusions analogues à celles que nous avons énoncées à propos de la résistance au pouvoir tyrannique. Si, dans l’ensemble, les auteurs qui ne sont pas des partisans sont d’accord pour refuser à un simple particulier ou à un groupe de particuliers sans mandat le droit de mettre à mort un usurpateur ou un prince qui abuse de son pouvoir, l’unanimité est loin d’être acquise en ce qui concerne les droits de la nation en pareille occurrence. En mettant à part les périodes troublées, dans lesquelles le droit n’est pas très clair et les passions sont déchaînées, on constate une assez nette évolution des doctrines. Les vieilles théories scolastiques développées par Gerson et Suarez, après un temps de défaveur et même de réprobation, semblent connaître un regain d’actualité tant chez les théologiens que chez les civilistes contemporains. Pourquoi ce changement de ton ?

1. On peut l’expliquer d’abord par un souci général de sauvegarder les droits imprescriptibles de la personne humaine, plus ou moins menacés d’écrasement ou d’absorption dans des conceptions totalitaires de l’État. Sur ce point les préoccupations des juristes se rencontrent avec les avertissements solennels des derniers papes.

2. Cela tient aussi, semble-t-il, à une conception plus juste de l’autorité politique, de ses limites et de ses relations avec le corps social. Accorder à l’Etat un pouvoir illimité est une erreur nuisible à l’autorité elle-même. La théorie du droit divin des rois a pesé, parfois lourdement, sur la notion des pouvoirs de l’État, lui partant du principe de l’indépendance absolue à l’égard de Dieu, les théoriciens du’totalitarisme » étatique ont abouti à des conclusions pratiquement identiques : l’attribution à l’État ou au prince de droits illimités sur les citoyens ; absolutisme et totalitarisme sont frères jumeaux. De là à faire de l’autorité (comme on l’a tenté pour l’obéissance), une