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1575 TRINITÉ. LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES
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faut interpréter la filiation divine de Jésus ; et le voile du mystère n’est pas déchiré. Les auditeurs sont du moins amenés à réfléchir sur la dignité que le Seigneur s’attribue d’une manière aussi exclusive.

Un pas de plus est franchi, lorsque Jésus pose la fameuse question sur le Fils de. David : « Comment donc les scribes disent-ils que le Christ est fils de David ? Car David lui-même a dit, sous l’inspiration de l’Esprit-Saint : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : a assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que je messe tes « ennemis sous tes pieds. » David lui-même l’appelle Seigneur : comment donc est-il son fils ? » Marc, xii, 35-37. Le texte du psaume était bien connu, et les Juifs n’hésitaient pas à l’interpréter dans un sens messianique. Mais le problème soulevé par Jésus n’avait pas, semble-t-il, retenu leur attention : il méritait cependant d’être posé. Le Messie est le Seigneur de David ; il lui est donc supérieur ; bien plus il est invité à prendre place à la droite du Tout-Puissant et même à s’asseoir à son côté, pour partager en quelque sorte sa royauté : n’est-il donc pas l’égal de Dieu qui lui assigne un pareil rang d’honneur ?

Enfin le décisif aveu est prononcé aux premières heures de la passion : Jésus est conduit devant le grand-prêtre, et celui-ci s’efforce d’obtenir de lui des déclarations qui puissent servir de prétexte à une sentence capitale. Les témoins qui ont défilé les uns après les autres n’ont rien dit ou ont apporté des affirmations contradictoires : « Le grand-prêtre, se levant (alors), lui dit : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ces « gens témoignent contre toi ? » Mais Jésus se taisait. Le grand-prêtre lui dit : « Je t’adjure, au nom de Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. Jésus lui dit : « Tu l’as dit. En outre, je vous le dis, vous verrez désormais le Fils de l’homme assis à la « droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. » Alors, le grand-prêtre déchira ses vêtements en disant : « Il a blasphémé. Qu’avons-nous encore besoin de témoins ! Vous venez d’entendre le blasphème. Que vous en semble ? » Et ils répondirent : « Il est digne de mort. » Matth., xxvi, 62-66.

La question posée à Jésus est aussi claire que possible : elle porte à la fois sur sa dignité messianique et sur sa qualité de Fils de Dieu. Dans la pensée de Jésus d’ailleurs, les deux choses sont inséparables l’une de l’autre : comment serait-il le Messie s’il n’était pas le Fils de Dieu ? Et il répond en faisant une allusion évidente à la prophétie de Daniel. Le grand-prêtre ne s’y trompe pas : sans hésitation, il déclare blasphématoire la réponse de Jésus. « Or, on en convient sans peine, revendiquer simplement le titre de Messie n’était pas blasphémer et ce ne l’était pas non plus de se dire Fils de Dieu, si l’on entendait seulement par là une filiation morale et religieuse. Il fallait donc que ces deux affirmations eussent été dépassées par Jésus dans son enseignement tel que Caïphe le connaissait, tel par conséquent que les foules l’avaient entendu et que les disciples l’avaient reçu. » J. Lebreton, op. est., p. 328.

Ajoutons que les circonstances mêmes donnent un relief particulier à la réponse du Sauveur. L’heure est venue pour lui de rendre le témoignage suprême ; sa vie est l’enjeu de sa réponse ; il le sait et il n’hésite pas à se déclarer Fils de Dieu. Il a pu garder le silence devant les mensonges des faux témoins ; désormais, il se doit de parler, et il le fait sans phrases inutiles, mais sans obscurité. Ne disons pas qu’il manifeste clairement le mystère de ses relations intimes avec le Père ; aussi bien n’est-ce pas ce que lui demande le grand-prêtre. Il peut mettre lui-même dans l’expression Fils de Dieu bien plus de choses que son juge et ses auditeurs. Du moins, pour eux tous, il se place dans une sphère incomparablement supérieure à toutes les autres : nul ne peut le rejoindre parce que seul il est le Fils de Dieu.


Le Père et le Fils.

Sur les relations entre le Père et le Fils, quelques passages des Synoptiques nous éclairent davantage. Nous citerons d’abord le texte bien connu sur l’ignorance du jour du jugement. Interrogé par des apôtres sur le jour de la consommation finale, Jésus se contente de leur répondre : « Quant à ce jour ou à cette heure, nul ne le connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul. » Marc, xiii, 32 ; Matth., xxiv, 36. Dans le texte de saint Matthieu les mots, ni le Fils, manquent dans la plupart des manuscrits grecs ; ils figurent par contre dans saint Marc d’une manière indiscutée ; et de fait, si l’on voit fort bien les raisons pour lesquelles un copiste soucieux d’orthodoxie a pu les omettre, on ne voit pas pourquoi ou comment ils auraient pu être introduits dans le texte évangélique. Leur authenticité peut être regardée comme certaine. Nous n’avons pas ici à discuter le problème théologique qu’ils soulèvent, celui de la science du Christ, voir l’art. Science, t. xiv, col. 1 630 sq., mais seulement à relever le titre de Fils que le Sauveur revendique pour lui. Ici, le mot uios est employé d’une manière absolue ; il se suffit à lui-même ; il n’a pas besoin d’explication : Jésus est le Fils par rapport au Père, et tout le monde sait bien quel est ce Père dont il parle. Il est aussi le Fils unique : personne ne possède cette dignité. Et il est bien au-dessus de toutes les catégories créées : les hommes et les anges lui sont inférieurs ; ils n’appartiennent pas à la même région. Cependant le Père reste plus grand que lui, puisqu’il sait ce que lui-même ignore.

Un second texte est plus important encore. La scène se passe, d’après saint Luc, après le retour des soixante-douze disciples qui viennent de raconter au Sauveur les prodiges accomplis en son nom. « A cette heure même (Jésus) tressaillit de joie dans l’Esprit-Saint et il dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces choses aux sages et aux puissants et que tu les as révélées aux petits enfants. Oui, Père, parce que tel a été ton bon plaisir devant toi. Tout m’a été donné par le Père et personne ne sait qui est le Fils sinon le Père et qui est le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils voudrait le révéler. » Luc, x, 21-22 ; Matth., xi, 25-27.

Ce texte figure dans saint Matthieu et dans saint Luc, mais il est absent de saint Marc, comme beaucoup d’autres : l’accord de Matthieu et de Luc est d’ailleurs une garantie suffisante de son authenticité. Les manuscrits grecs ne sont pas sans présenter des variantes assez considérables : ils hésitent en particulier entre les leçons egno et ginoskei, bien que saint Irénée accuse nettement les hérétiques marcosiens d’avoir introduit la leçon egno, et aussi entre l’ordre à donner aux deux membres de phrase relatifs à la connaissance réciproque du Père et du Fils. Malgré tout, le sens général du texte ne souffre pas grande difficulté et la traduction qui vient d’en être donnée a bien des chances de représenter les lectures les plus assurées de l’original grec.

La prière de Jésus est un acte de louange reconnaissante et joyeuse. Le Sauveur exulte dans l’Esprit-Saint et sous son action ; il commence par remercier le Père, son Père, d’avoir révélé aux enfants le mystère du royaume tandis qu’il le laissait ignoré des prudents et des sages. Ce n’est donc pas la raison naturelle qui peut connaître ce mystère ; il y faut une illumination divine. Personne ne peut venir s’il n’est attiré par le Père ; et seuls les petits dont l’âme est pure sont capables de se laisser entraîner. Mais il y a plus : tout a été donné au Fils par le Père ; le Fils a donc reçu la toute-puissance, comme il sera dit ailleurs par saint Matthieu ; il est le roi de l’univers en vertu de cette délé-