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    1. TYRANNIE##


TYRANNIE. LE TYRAN DE GOUVERNEMENT

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prudents ont la conviction d’un succès qui parera à de funestes perturbations civiles, les gouvernants indignes peuvent êtres destitués en dehors des moyens constitutionnels. « On comprend aisément que ces règles doivent être observées dans toutes leurs conditions et avec la plus grande conscience ; faute de quoi on retomberait immédiatement dans la sédition, à la suite de personnalités téméraires se prévalant de servir le bien public. » Lallement, Principes catholiques d’action civique, p. 238-239. Et l’auteur conclut en se référant à saint Thomas : dans les cas où l’on ne peut trouver aucun remède humain contre la tyrannie, il faut recourir à Dieu par la prière et réformer les mœurs du peuple.

4. Les objections. —

Elles sont nombreuses et ont été formulées plus ou moins explicitement par les adversaires de toute résistance.

a) La première vient de Bossuet qui fait observer que les premiers chrétiens, persécutés par les empereurs païens, ne se défendirent pas ; ils se laissèrent condamner et martyriser. Cf. Politique tirée de l’Écriture, t. VI, a. 2, § 5 ; et mieux encore : Ve Avertissement contre le ministre Jurieu, c. xii. — La réponse est aisée : il faut tout d’abord distinguer entre le droit et la perfection, entre ce qui est permis et ce qui peut être conseillé. Par leur conduite les premiers chrétiens ont « donné l’exemple d’une vertu héroïque qu’on ne peut qu’admirer ; mais ils avaient incontestablement le droit d’agir autrement et de repousser la violence par la force. » Chénon, Le rôle social de l’Église, p. 119. Et le cardinal Hergenrôther renchérit encore sur cette conclusion en soulignant la différence entre les cas où les intérêts personnels et temporels sont seuls en jeu, et ceux qui mettent en cause le bien de la société et de la religion : « C’est une affaire de perfection chrétienne, mais non un devoir qui subsiste en toutes circonstances. Le droit naturel autorise une légitime défense pour la sauvegarde de notre vie individuelle et ne connaît pas de devoir inconditionné d’y renoncer. Que si l’on peut tout à la fois sauver la religion et sa propre vie, on a raison de faire tout son possible dans ce but. L’exemple des premiers chrétiens est ici sans valeur : leur situation n’était pas la même que la nôtre depuis que les pouvoirs publics sont devenus sujets du christianisme… Il y a deux manières de défendre la religion : à la façon d’Éléazar, par le martyre ; à la façon de Matathias, qui prit les armes. Ce qui, sous l’Ancien Testament, fut permis de droit naturel aux Machabées, doit être permis aussi, dans les mêmes circonstances, sous le Nouveau. » Katholische Kirche und christlicher Staat, 2e éd., c. xiv, p. 405, En matière de résistance, Bellarmin parle moins de droit que de devoir. De Romano pontifice, t. V, c. vii, 3° ratio. Cf. M. de la Taille, En face du pouvoir, p. 173.

Le droit étant ainsi établi, il est hors de doute que ce droit peut toujours être sacrifié pour une fin supérieure et plus parfaite, lorsque des intérêts personnels ou d’ordre purement temporel sont seuls en cause. De plus, en engageant une lutte civique, même parfaitement légitime, les chrétiens n’oublieront pas l’obligation qu’ils ont de veiller à la moralité des personnes et des groupements avec lesquels ils sont appelés à collaborer, afin que les passions ne fassent pas dévier leurs activités du bien public, et que les intérêts des partis ne soient pas placés au-dessus de ceux de la religion. Enfin dans la lutte elle-même et aussitôt après la conclusion, les chrétiens dignes de ce nom ne perdront point de vue les règles supérieures de la justice et de la charité ainsi que le bien suprême de la paix.

b) La seconde objection vient des abus pratiques qui résultent ou peuvent résulter de la reconnaissance du droit de résistance ou de révolte. Avec ce principe, dit-on, les criminels pourraient, au nom de la liberté individuelle qui leur appartient, résister aux agents de l’autorité chargés de les arrêter. — Nullement, répondrons-nous ; car, en commettant leur crime, les coupables ont troublé l’ordre social. En les faisant arrêter, le dépositaire du pouvoir cherche à rétablir cet ordre. Il a droit à l’obéissance, puisqu’il agit pour le bien commun et dans les limites de ses attributions. La résistance ne saurait être légitime.

c) Si l’on accorde à la conscience le droit de résister, poursuit-on, chacun s’en prévaudra pour désobéir, de sorte qu’il n’y aura plus de loi. « L’objection est spécieuse, mais frivole », déclare Mgr d’Hulst, Conférences de Notre-Dame, Carême 1895, 2e conférence, note 9, p. 330. t Elle n’aurait de consistance que s’il n’y avait pas de morale absolue et si la conscience individuelle n’était qu’une fantaisie individuelle. Mais il y a des actions bonnes ou mauvaises en elles-mêmes ; il n’est jamais permis à l’autorité de commander celles qui sont mauvaises ; si elle s’égare jusque-là, il faut lui désobéir. Et qu’on ne dise pas que la conscience individuelle n’est pas infaillible, et qu’elle peut se créer des devoirs imaginaires ou regarder comme coupable une action bonne ordonnée par la loi. Tout cela est possible. Mais le législateur n’a pas le droit d’ignorer ce qui est bien et ce qui est mal. En présence d’une conscience faussée, il fera bien, si l’intérêt public le permet, de renoncer à ses exigences, car rien n’est respectable comme les scrupules d’une âme de bonne foi. Toutefois, pour le bien commun, l’emploi de la contrainte est ici légitime. Le sujet ainsi violenté sera le martyr honorable de son erreur. Ce n’est pas une raison pour qu’on puisse contraindre de la même sorte une conscience bien formée… C’est l’honneur du christianisme d’avoir toujours placé au-dessus de toutes les dispositions contingentes du droit politique la règle absolue du devoir, empreinte dans la conscience humaine. » Ibid., p. 331.

d) Quelle que puisse être, en théorie, la légitimité du droit de révolte, la solution des cas pratiques est tellement tributaire de l’effervescence des passions, que les règles ordinaires de la moralité sont ordinairement sacrifiées. Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux refuser purement et simplement le droit de révolte, puisque, dans la plupart des cas, on s’en sert à si mauvais escient ? C’est à quoi ont incliné plusieurs auteurs catholiques modernes, effrayés par les révolutions des deux derniers siècles. — Notons d’abord que l’abus ne saurait condamner tout usage ni détruire un droit. Il faut reconnaître aux hommes le droit de résistance parce qu’ils ont ce droit, même en prévoyant qu’ils en abuseront. D’ailleurs les abus de la tyrannie sont égaux ou pires que ceux du droit de révolte. En face des dangers de l’arbitraire, « la résistance à l’oppression judicieusement comprise, sagement contenue en ses lignes directrices, maniée avec tact, demeure… le palladium suprême de la justice et du droit. Gény, Science et technique en droit privé, t. iv, p. 133.

e) Une autre objection vient de la difficulté à délimiter le droit de résistance. Où commence-t-il exactement ? À quel point cesse-t-il ? Par qui peut-il être exercé ? et surtout, qui décidera de son existence dans un cas donné ? — Nul doute que donner une réponse à ces diverses questions ne soit parfois chose délicate, mais ce n’est point impossible, et la difficulté ne saurait nuire à la légitimité du droit. Nous avons dit que le droit de résistance active n’appartient pas normalement aux simples particuliers, qui n’ont reçu mission de défendre le bien commun ni contre