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    1. TYRANNIE##


TYRANNIE. LE TYRAN DE GOUVERNEMENT

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d’hommes prudents et compétents. Elle s’en tiendra pratiquement aux décisions de l’autorité ecclésiastique, chargée de la défense de la foi et de la morale, décisions qui seront transmises par la voix de l’ensemble des évêques ou par celle du pape. Cf. Lallement, Principes catholiques d’action civique, p. 235.

2. Dans le doute, portant sur la légitimité d’une prescription clairement édictée, l’obéissance demeure la règle, car la présomption est en faveur du législateur. Seule une loi certainement injuste est sans valeur. Pratiquement le bien commun exigera presque toujours une soumission effective.

3. Comment résister ?

La résistance passive s’impose obligatoirement en présence d’atteintes portées au droit divin. D’autre part, la résistance active légale est toujours permise. Léon XIII en parle en ces termes : « …Tout dissentiment politique mis à part, les gens de bien doivent s’unir comme un seul homme, pour combattre, par tous les moyens légaux et honnêtes, les abus progressifs de la législation. Le respect que l’on doit aux pouvoirs constitués ne saurait l’interdire : il ne peut imposer ni le respect, ni beaucoup moins l’obéissance sans limites à toute mesure législative quelconque, édictée par ces mêmes pouvoirs. » Au milieu, 16 février 1892, op. cit., t. iii, p. 119-120. La sédition, en tant qu’offensive ou agressive, est toujours illicite. Quant à la résistance active et violente, elle peut être tolérée sous certaines conditions :

a) La violence ne visera qu’à s’opposer à la loi injuste et ne signifiera pas une rébellion contre un gouvernement par ailleurs légitime et acceptable. C’est la grande distinction « entre le pouvoir politique et la législation », maintes fois soulignée et nettement formulée par Léon XIII : « L’acceptation de l’un n’implique nullement l’acceptation de l’autre, dans les points où le législateur, oublieux de sa mission, se met en opposition avec la loi de Dieu et de son Église. » Encycl. Notre consolation, aux cardinaux français, 3 mai 1892, op. cit., t. iii, p. 126. Voir dans le même sens : Au milieu, 16 février 1892, t. iii, p. 119. Le théologien Lehmkuhl écrit de son côté : « Autre chose est la rébellion, autre chose la résistance aux lois injustes et à leur exécution. Que si on vous fait une violence injuste, ce n’est plus à l’autorité, c’est à la violence que vous résistez. » Theol. moralis, t. i, 7e éd., 1893, n. 797. — b) La violence ne sera pas offensive, mais seulement défensive, avec la modération de la légitime défense : « de même qu’il est permis de résister aux brigands, ainsi est-il permis, en pareil cas, de résister aux mauvais princes ». II » - II", q. xlii, a. 4. — c) L’injustice de la loi doit être manifeste et les maux qu’elle cause doivent être plus grands que ceux que la résistance violente pourra attirer sur le pays. — d) Enfin on ne devra pas user de moyens illicites, violant la justice à l’égard des particuliers (tels que jugements téméraires, calomnies, faux témoignages, à plus forte raison agressions violentes, rapines, exécutions sommaires) ; le calme et le sangfroid aideront à garder la mesure et à préserver des excès et par dessus tout on observera la charité à l’égard des personnes.

Ces règles de justice et de charité s’imposent à un titre spécial et plus rigoureusement encore, s’il s’agit de défendre les droits de la religion et de la conscience chrétienne. « Que les hommes catholiques, écrit Pie X, luttent pour l’Église avec persévérance et énergie, sans agir toutefois de façon séditieuse et violente. Ce n’est pas par la violence, mais par la fermeté qu’ils arriveront, en s’enfermant dans leur bon droit comme dans une citadelle, à briser l’obstination de leurs ennemis. » Encycl. Gravissimo, t. ii, p. 224 ; cf. Lallement, Principes catholiques d’action civique, c. xiv, p. 237.

Voici, pour terminer, en quels termes mesurés et précis s’exprime le concile provincial de Malines de 1937, sur ce sujet délicat : « C’est uniquement dans le cas tout à fait extraordinaire où l’autorité léserait ouvertement les droits certains des citoyens ou de l’Église, que les citoyens peuvent refuser obéissance aux lois injustes ; il leur est même permis alors d’opposer une résistance active, fût-ce à main armée, à condition que ce moyen soit nécessaire et proportionné à la gravité des droits lésés et qu’il ne donne pas lieu à de plus grands maux. » Actes et décrets, Louvain, 1938, n. 22, p. 17.

Résistance à l’autorité tyrannique, qui abuse de son pouvoir.

Il ne s’agit pas de sédition, mais de résistance défensive contre une autorité légitime qui gouverne tyranniquement, c’est-à-dire contre le bien commun. La question est de savoir s’il est permis de résister activement, même à main armée, et au besoin de renverser le régime tyrannique lui-même. Deux réponses opposées ont été données :

1. Réponse négative.

C’est celle de Bossuet, qui résume l’opinion des partisans du droit divin des rois. Rébellion et violence ne sont jamais permises : « les sujets n’ont à opposer à la violence des princes que des remontrances respectueuses… Quand je dis que ces remontrances doivent être respectueuses, j’entends qu’elles le soient effectivement et non seulement en apparence… Voilà une doctrine sainte, vraiment digne de Jésus-Christ et de ses disciples. » Politique tirée de l’Écriture, t. VI, a. 2, prop. 6. « C’est à coup sûr, ajoute le P. de la Taille, celle qui eut le plus de crédit en France depuis Louis XIV. Napoléon la préférait sans doute aussi. Dans un cours publié par l’autorité du cardinal Fesch en 1810, avec cette note significative en tête du troisième volume : « cette édition est la seule enseignée dans les principaux diocèses de France », on lit ce qui suit : Le prince, fût-il tyran cruel, fût-il l’ennemi le plus acharné de la vraie religion, on n’a pas le droit de quitter son parti… Léser en paroles ou en œuvres la très auguste personne du souverain serait une espèce de sacrilège. » En face du pouvoir, Tours, 1910, p. 156.

Sans aller jusque là, quelques auteurs modernes sont demeurés hésitants et timides à cause des abus constatés de la doctrine contraire. Le sulpicien J. Carrière, un des maîtres de l’enseignement dans les séminaires au xixe siècle, répond négativement à la question : Un tyran (de gouvernement) peut-il être déposé par la communauté et même condamné à mort, si la déposition ne suffit pas ? Il n’ignore pas que d’anciens théologiens ont professé une opinion contraire ; mais, dit-il, ils ne furent ni aussi nombreux ni aussi unanimes qu’on veut bien le dire ; d’autre part leur doctrine fut surtout théorique et ils ne portèrent pas assez d’attention aux conséquences, qu’ils n’avaient jamais vu passer dans les faits. Leurs successeurs, instruits par l’expérience, apportèrent cette restriction : « à moins que cette manière d’agir ne cause de plus grands maux que la tyrannie elle-même. Et, de même que leurs devanciers, ils proscrivirent la rébellion, au nom de l’Écriture, de la Tradition et du bien commun. De justifia et jure, t. ii, Paris, 1839, p. 384.

Même réserve chez Gury, S. J., lorsqu’il pose le problème de la résistance à l’autorité temporelle et celui de la rébellion. Voici sa doctrine qu’il appuie sur l’Écriture, les Pères, les conciles, les papes, le catéchisme de Trente, saint Liguori et aussi l’encyclique Mirari vos de Grégoire XVI : a) De même qu’il est évident qu’on ne doit jamais obéir à l’autorité humaine en ce qui est manifestement contre la loi de Dieu, ainsi, dans les choses qui sont licites en elles-mêmes, il faut complètement obéir aux supérieurs, même fâcheux, et à ceux qui abusent de leur auto-