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    1. TYRANNIE##


TYRANNIE. LES DEGRÉS DE RÉSISTANCE

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au Tout-Puissant, en élevant l’État ou la collectivité à la dignité de fin ultime de la vie, d’arbitre souverain de l’ordre moral et juridique, et en interdisant de ce fait tout appel aux principes de la raison naturelle et de la conscience chrétienne. » Summi Pontiftcatus, n. 41-42 ; cf. n. 44-45, éd. Spes, p. 44 sq.

Les degrés de la résistance.

La souveraineté, n’impliquant pas un pouvoir illimité, trouve une barrière et une sanction dans le droit de résistance des sujets. Ce droit commence au point où le prince excède ses pouvoirs et abuse de son autorité, c’est-à-dire quand il abdique son rôle de « ministre de Dieu pour le bien ». Rom., xiii, 4. Dès lors l’obéissance cesse d’être un devoir. En conséquence les sujets ont le droit de résister. Mais comment résister ?

Les théologiens distinguent ordinairement quatre degrés dans la résistance, depuis la simple passivité jusqu’à la rébellion offensive ou sédition.

1. Résistance passive.

Au premier degré se trouve la résistance passive qui consiste à ne pas obtempérer aux injonctions tyranniques du prince ou aux prescriptions d’une loi injuste, mais sans plus. Cette attitude est toujours permise ; elle devient obligatoire en face de prescriptions contraires à la loi de Dieu et à la conscience. Sous l’empire de la contrainte et de la violence, il est permis de subir, mais non d’accepter, encore moins de coopérer. Cependant, si la loi injuste ne lèse que des intérêts particuliers, sans violer le droit naturel, il est loisible aux sujets molestés d’obtempérer à l’injonction du prince, surtout si la résistance doit leur attirer des représailles plus cruelles et non moins injustes. Quand des intérêts matériels sont seuls en jeu, chacun peut en faire le sacrifice s’il le juge moins préjudiciable à la cause qu’il veut servir. C’est en ce sens qu’il faut entendre l’apostrophe de saint Ambroise à l’empereur Valentinien II, qui, poussé par sa mère Justine, voulait livrer une église aux ariens : « Si l’empereur veut avoir les biens de l’Église, il peut les prendre ; personne ne s’y oppose ; qu’il nous les ôte s’il le veut ; je ne les donne pas, mais je ne les refuse pas. » Cité par Bossuet, Politique tirée de l’Écriture, t. VI, a. 2, prop. 6.

2. Résistance active légale.

Elle consiste à poursuivre, par des moyens dont la loi ou la constitution permettent l’usage, l’abrogation de décrets injustes ou l’aboutissement de réformes jugées indispensables, au besoin même le changement du gouvernement. Tel était jadis le but de l’appel au suzerain, à l’empereur ou au pape, dans le droit du Moyen Age. Ce droit prévoyait même, dans certains cas, le droit de résistance à main armée, résistance qui, en l’occurrence, ne cessait pas d’être légale. Aujourd’hui les procédés communément employés sont le référendum, l’élection, la pétition, le recours à une juridiction suprême, une campagne de presse honnête, un appel à l’opinion, lorsque le gouvernement est un gouvernement d’opinion. Ce sont là des moyens dont l’emploi est parfaitement licite. Cependant il pourrait être nécessaire d’y recourir avec beaucoup de discrétion dans le cas où, les passions étant surexcitées, une violente campagne d’opinion risquerait de provoquer des désordres et entratnerait à des maux plus grands que ceux auxquels on veut porter remède.

3. Résistance active illégale.

C’est l’emploi, contre les gouvernants, de tous les moyens de pression, même de la force année, pour les ramener au droit ou pour s’opposer à l’exécution d’un ordre inique. Rentrent dans cette catégorie certains procédés qui, de nos jours, pour être en apparence plus pacifiques, n’en sont pas moins efficaces, par exemple : grève des services publics, grève générale, refus de payer l’impôt, sabotage, émigration, désobéissance civique, etc. Dans l’état actuel des sociétés modernes, ces moyens de pression peuvent prendre l’allure d’une véritable révolution et aboutir au renversement du pouvoir. Ils sont certainement illégaux.

Sont-ils aussi illégitimes ? C’est une grave question à laquelle les juristes et moralistes ont donné des réponses divergentes. Une réponse négative est donnée par les partisans de la monarchie de droit divin. Bossuet a comme résumé leurs théories lorsqu’il écrivait : « Le respect, la fidélité et l’obéissance que l’on doit aux rois ne doivent être altérés par aucun prétexte… L’État est en péril et le repos public n’a plus rien de ferme, s’il est permis de s’élever pour quelque cause que ce soit contre les princes. » Politique, t. VI, a. 2, prop. 4. Et encore : « Les sujets n’ont à opposer à la violence des princes que des remontrances respectueuses, sans mutinerie et sans murmure, et des prières pour leur conversion. » Ibid., prop. 6. Voir aussi, t. VI, a. 3, la façon ingénieuse dont il explique les révoltes de David et des Machabées. Cf. encore le Cinquième avertissement contre le ministre Jurieu, et la Défense de l’Histoire des variations contre le ministre Basnage. Or, nous le verrons, la tradition scolastique est à peu près unanime à reconnaître le droit de résistance allant, dans les cas extrêmes, jusqu’au droit de révolte. Un de ses modernes représentants, le cardinal Zigliara a écrit : « Il est certain que les sujets possèdent le droit de résister passivement, c’est-à-dire de ne pas obéir aux lois tyranniques… Le droit même que les sujets possèdent de ne pas obéir au pouvoir législatif tyrannique, leur donne celui de résister à la violence du pouvoir exécutif, en repoussant la violence par la violence, ce qui constitue la résistance défensive ; car ridicule serait le droit de résistance passive, s’il ne pouvait s’exercer activement contre un injuste agresseur. Dans ce cas, on résiste non à l’autorité, mais à la violence ; non au droit, mais à l’abus du droit ; non au prince, mais à l’injuste agresseur d’un droit propre et dans l’acte même de l’agression. » Summa philosophica, t. iii, 4 « éd., Lyon, 1882, p. 266-267. Et Zigliara n’était que l’écho fidèle de Gerson qui proclamait : Et si [subditos] manifeste et cum obslinatione in injuria et de facto prosequatur princeps, tune régula hme naturalis, vim vi repellere licet, locum habet. Gerson, Contra adulatores principum, consid. 7 ; cf. Suarez, Defensio fidei, t. VI, c. iv, § 15. Les modernes ne suivent les anciens scolastiques sur ce point qu’avec réticence et une certaine inquiétude, effrayés par le progrès des idées révolutionnaires et les abus que l’on a fait du droit de révolte. S’ils admettent pratiquement le droit de résistance active et même de déposition du souverain tyrannique, ils y mettent des conditions très strictes, qui peuvent se ramener à trois : nécessité urgente ou extrême utilité, c’est-à-dire pratiquement chance de succès, et enfin proportion à garder entre la gravité du désordre et l’importance des moyens employés. Cf. J. Lcclercq, Leçons de droit naturel, t. Iꝟ. 2e éd., p. 193-195 ; Chénon, op. cit., p. 120. Déplus, ils mettent en relief, comme l’a fait Zigliara, le caractère défensif de la révolte, insistant sur la différence qui existe entre la résistance active et la sédition. Quant à la résistance elle-même, beaucoup lui refusent la légitimité si elle est une entreprise privée ; ils réservent le droit de révolte à une autorité supérieure : le pape ou la nation ; en particulier les sabotages et coups de force ne sauraient être le fait de simples particuliers ou même de groupes isolés, ainsi que les préconisèrent au début du siècle certains milieux monarchiques. Cf. Ami du clergé, 1913, p. 215-217.

4. La sédition.

II est une espèce de révolte qui, de l’avis des théologiens, est gravement coupable et toujours Interdite, c’est la sédition, que saint Thomas