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    1. TYRANNIE##


TYRANNIE. RÉSISTANCE AU POUVOIR TYRANNIQUE

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Age : le peuple a le droit de se soulever, même à main armée, si le prince n’accomplit pas les obligations auxquelles il s’est astreint par serment. Ainsi parle la Grande Charte d’Angleterre de 1215 ; de même la Paix de Fexhe de la principauté de Liège (1316). En Hongrie, l’article 31 de la Bulle d’Or stipule que, si le roi ne respecte pas la Bulle, « les évêques, les autres grands et nobles de notre royaume, réunis ou séparés, présents ou à venir, ont le libre droit de faire remontrance et de résister à nous ou à nos successeurs, sans être taxés pour autant d’infidélité. Cf. J. Leclercq, op. cit., t. ii, p. 191. On connaît mieux encore le fameux passage du De regimine principum, t. I, c. vi, où saint Thomas affirme ce même droit de résistance à la tyrannie : » S’il appartient de droit à la multitude de se donner un roi, elle peut, sans injustice condamner à disparaître le roi établi par elle ou mettre un frein à sa puissance s’il abuse tyranniquement du pouvoir royal… > Même doctrine chez Banès, In II tm -II iii, q. lxiv, a. 3, concl. 1 ; Sylvius, In II tm -II m, q. lxiv, a. 3, concl. 2 ; Billuart, De jure et justifia, dissert. X, a. 2, ad 3 am ; Bellarmin, De concil. auct., t. II, c. xix ; Suarez, Defensio fidei. t. VI, c. iv, §15.

Si au contraire on passe aux philosophes et théologiens de l’époque contemporaine, on remarque que, préoccupés par les tendances révolutionnaires du temps, ils se montrent beaucoup plus réservés. S’ils citent encore les anciens scolastiques et acceptent en général leur doctrine, ils insistent avec minutie sur la différence qui existe entre la résistance active et la rébellion. Les papes eux-mêmes, depuis Pie VI jusqu’à Pie XI auront à cœur d’insister spécialement dans leurs encycliques et lettres officielles, sur le devoir d’obéissance à l’égard des pouvoirs établis. Sans doute, ce faisant, ils n’ont été que l’écho fidèle de l’Évangile, de saint Paul et de toute la tradition patristique ; mais ce qui est remarquable, c’est que jamais ils ne soulèvent la question de la tyrannie, si étudiée au Moyen Age, et de l’attitude que doit prendre à son égard le peuple chrétien. Le document le plus significatif à cet égard est peut-être un bref de Pie VI, daté du 5 juillet 1796, « très authentique, déclare P. de la Gorce, quoique non rédigé, ni notifié suivant les formes canoniques ». Hist. rel. de la Révol. française, t. v, p. 31. Il ne fut jamais promulgué, ni communiqué officiellement aux évêques de France auxquels il était adressé, parce que le Directoire n’avait ni donné ni promis fermement les satisfactions légitimes que le général Bonaparte avait fait espérer. Voir le texte complet dans Questions actuelles, 4 juin 1892, t. xiv, p. 37. Le pape y recommande aux catholiques français l’acceptation du Directoire. Après avoir exposé la « nécessité d’être soumis aux autorités constituées, il exhorte ses chers fils à ne pas se laisser égarer et à ne pas, « par une piété mal entendue, fournir aux novateurs l’occasion de décrier la religion catholique. Votre désobéissance serait un crime… » En 1803, Pie VII, dans son encyclique Ecclesia Christi publiée pour ratifier le Concordat, rappelle que l’Évangile suffit, sans l’obligation d’aucun serment, pour astreindre les évêques à l’obéissance due au gouvernement ; néanmoins, il les engage à prêter serment de fidélité entre les mains du premier consul, comme c’était l’usage auparavant. Même préoccupation chez Grégoire XVI, dont l’encyclique Mirari dos, 15 août 1832, rappelle la soumission due aux princes, alors que 1’ « Avenir » attaquait le gouvernement de Louis-Philippe récemment établi et plus encore l’autocratie russe persécutrice de la Pologne. Léon XIII, qui donna sur les questions politiques des instructions et directives si abondantes et si précieuses, insiste dans le même sens ; s’il soulève la question de la sédition, c’est pour la réprouver aussitôt : « Secouer l’obéissance et révolutionner la société par le moyen de la sédition, c’est un crime de lèse-majesté, non seulement humaine, mais divine. » Immortale Dei, 1 er novembre 1885, t. ii, p. 21. S’il reconnaît le droit et le devoir de ne pas se soumettre à des lois mauvaises, il insiste davantage sur la nécessité de bien distinguer le pouvoir politique de la législation ; l’acceptation de l’un, qui est un devoir, n’implique nullement l’acceptation de l’autre. Cf. Lettre au clergé de France, 16 février 1892, t. iii, p. 119 et Lettre aux cardinaux français, 3 mai 1892, t. iii, p. 127. Pie X se référera souvent à la doctrine exposée par son prédécesseur et Benoît XV, dans sa première encyclique, Ad Beatissimi, du 1 er novembre 1914, traite la question de la soumission au pouvoir légitime avec autant d’ampleur que celle de la paix. Pie XI parlera également de la nécessité de restaurer la notion d’autorité, dans son encyclique Ubi arcano, qui parut le 23 décembre 1922 ; il rappellera ces mêmes enseignements dans Quas primas, sur le Christ-Roi, en décembre 1925. Cependant dans la deuxième décade de son pontificat, le pape est préoccupé par les atteintes de plus en plus graves portées aux droits et à la dignité de la personne humaine. L’encyclique Dioini Redemptoris (1937) rappelle que c la société est faite pour l’homme et non l’homme pour la société ». Dans ses discours comme dans ses écrits, il s’élève contre les prétentions étatiques et totalitaires de certains gouvernements à tendance dictatoriales de l’époque. Sans doute, la primauté de la personne humaine n’exclut pas une légitime subordination de l’individu à la société et à l’autorité qui la préside. « Mais si la société prétendait rabaisser la dignité de la personne humaine en lui refusant en tout ou en partie les droits qui lui viennent de Dieu, elle manquerait à son but et, au lieu d’édifier, elle ne ferait que détruire. » Ces dernières paroles sont du cardinal Pacelli, alors secrétaire d’État de Pie XI, Lettre à la Semaine sociale de Clermont-Ferrand, 1937. Cf. Compte rendu, p. 7-8. L’année suivante, la lettre qu’il adressait à la Semaine sociale de Rouen (1938) trahit les mêmes préoccupations : « L’ordre civil n’est pas celui de la tyrannie et de l’esclavage, qui privent les membres du corps social des droits propres de la nature humaine, ou bien qui en règlent l’exercice de telle sorte qu’ils font du citoyen un simple instrument de l’autorité despotique. » Compte rendu, p. 8, Paris, 1938. Devenu pape sous le nom de Pie XII, alors que les erreurs par lui dénoncées commençaient à porter des fruits de mort, le nouveau pontife dans son encyclique Summi Pontificatus, 20 octobre 1939, soulignait une fois de plus les dangers de la déification de l’État, qui, attribuant à l’État ou au groupe des droits illimités sur les individus et les citoyens, aboutit normalement à l’absolutisme. « Il est une autre erreur non moins dangereuse pour le bien-être des nations et la prospérité de la grande société humaine…, c’est l’erreur contenue dans les conceptions qui n’hésitent pas à délier l’autorité civile de toute espèce de dépendance à l’égard de l’Être suprême, cause première et maître absolu soit de l’homme, soit de la société, et de tout lien avec la loi transcendante qui dérive de Dieu comme de sa source première. De telles conceptions accordent à l’autorité civile une faculté illimitée d’action, abandonnée aux ondes changeantes du libre arbitre ou aux seuls postulats d’exigences historiques contingentes et d’intérêts s’y rapportant. L’autorité de Dieu et l’empire de sa loi étant ainsi reniés, le pouvoir civil, par une conséquence inéluctable, tend à s’attribuer cette autorité absolue qui n’appartient qu’au Créateur et maître suprême, et à se substituer