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    1. TYRANNIE ET LÉGITIMITÉ##


TYRANNIE ET LÉGITIMITÉ. ORIGINE DU POUVOIR

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roi ne fut qu’un voleur heureux », répètent-ils ; « la force prime le droit, elle le crée », surenchérissent d’autres. Nous nous attacherons seulement aux théoriciens modernes qui ont essayé de construire une doctrine de l’État basée sur la force. Tel Hobbes, pour lequel la contrainte exercée par celui qui détient le pouvoir est un moyen indispensable d’assurer la paix dans une société humaine vouée à une guerre perpétuelle, à cause des convoitises inassouvies de ses membres. La domination du souverain étant ainsi fondée sur l’utilité et la nécessité, aucun principe supérieur ne peut limiter le pouvoir de contrainte qui appartient aux gouvernants. Le prince a tous les droits ; les sujets lui doivent donc une obéissance aveugle et sans bornes. Il n’y a jamais de tyrannie.

La théorie de Hobbes succomba en Angleterre sous le coup des révolutions qui se succédèrent dans la seconde moitié du xvir 3 siècle. Mais, au siècle dernier, ses doctrines fondamentales furent reprises avec des nuances diverses par Hegel, Nietzsche, Savigny et Durkheim, qui, partis de points de vue différents, aboutissent tous à la même conclusion pratique : l’acceptation pure et simple du fait de la domination, que ce fait résulte de la fatalité, de l’existence du surhomme ou de l’évolution. Attendu que l’idée d’obligation morale ou de droit ne répond à aucune réalité, il va de soi que, dans ces systèmes, la question de légitimité ou de tyrannie ne se pose même pas.

d. — Parmi les modernes partisans de la doctrine du bien commun, certains se rapprochent par leur positivisme des théories de la force ; cependant le critère qu’ils mettent en avant est d’une valeur bien supérieure. Partant de ce principe que l’autorité gouvernementale est indispensable à la société, ils déclarent que sont souverains légitimes de droit ceux qui, de fait, exercent cette autorité conformément au bien public. Ils ne s’appesantissent pas sur la question de l’origine du pouvoir, mais plutôt sur son exercice. Cependant la plupart d’entre eux, surtout les catholiques, professent que la transmission du pouvoir doit se faire d’après les normes établies par la constitution de chaque pays.

Pour Maurice Hauriou (catholique), c’est la capacité d’exercer le pouvoir qui est comme le point de départ du droit à gouverner et une marque de légitimité : « Il y a, écrit-il, une élite politique possédant des aptitudes spéciales pour le gouvernement… Nous prenons pour base le fait de l’élite et le droit de supériorité de l’élite…, droit de supériorité sur les autres hommes. » Précis de droit constitutionnel, Paris, 1923, p. 169 sq. Ainsi certains individus se trouvent comme marqués providentiellement pour l’exercice du pouvoir : c’est une reprise de la théorie du droit divin providentiel. M. Charles Maurras (positiviste), sans insister sur la question d’origine, s’en tient à la manière dont les gouvernants remplissent leur mission : « Le gouvernement légitime, écrit-il, le bon gouvernement, c’est celui qui fait ce qu’il a à faire, celui qui fait le bien et réussit l’oeuvre du salut public. Sa légitimité se vérifie à son utilité. » Enquête sur la monarchie, p. cvii, Paris, 1924. Si un pouvoir est juste lorsqu’il procure le bien commun de la société, il s’ensuit que le gouvernement qui ne remplit pas cette fonction devient illégitime. L’école maurrassienne n’a pas hésité à tirer cette conséquence logique : en face d’un régime incapable et défaillant, des hommes compétents et soucieux du bien public ont le droit de se substituer même par la force aux gouvernants inaptes. Le coup de force est alors légitime, il n’est que l’exercice d’un droit. Un autre positiviste, Léon Duguit, aboutit à une conclusion analogue : « Le fait politique reste toujours identique à luimême. Il est constitué par l’existence dans un groupement donné, d’un ou de plusieurs individus pouvant imposer par la force leur volonté aux autres membres du groupe. Il y a alors un État, et, ces individus, je les appelle les gouvernants. » Traité de droit constitutionnel, 2e éd., t. i, p. 513. Ainsi, à l’origine de l’État et de chaque gouvernement qui y exerce l’autorité, il y aurait ce fait unique : les plus forts des citoyens imposant leur volonté aux plus faibles. Une fois installés, ces gouvernants ne doivent pas commander de façon arbitraire, mais selon les règles objectives du droit, qui s’imposent à tous les membres. Ainsi sera constitué le gouvernement légitime, non pas fondé sur le droit du plus fort, mais établi grâce à la force, mise au service d’un droit antérieur. Ce recours à la force pour l’établissement du pouvoir est reconnu comme légitime même par certains catholiques, partisans de la théorie du bien commun ; tel de Vareilles-Sommière, qui en limite l’usage au seul cas où l’autorité n’appartient encore à personne : « Prendre possession du pouvoir, c’est avoir et déployer la force nécessaire pour se faire obéir. Pour le pouvoir, comme pour la propriété, le fait donne le droit, quand le droit n’appartient encore à personne. » Les principes fondamentaux du droit, Paris, 1889, p. 213. Notons en passant que cette assimilation de la souveraineté à la propriété est au moins surprenante. Les scolastiques, partant du même point, aboutissaient à des conclusions toutes différentes, ainsi que nous le verrons. Cf. Chénon, Le râle social de l’Église, p. 130-131.

e. La démocratie libérale. — Elle s’épanouit dans la plupart des constitutions du xixe siècle, après avoir inspiré la Révolution française. À la base de la théorie se trouvent les doctrines de J.-J. Rousseau sur la liberté humaine. Selon ce philosophe, cette liberté est tellement absolue, que le peuple, communauté humaine, ne peut l’aliéner entre les mains d’un souverain. C’est lui-même qui reste le vrai souverain, et il ne fait que commettre à des chefs un pouvoir que ceux-ci exercent en son nom. Cf. Contrat social, t. III, c. i : « La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée. » Ibid., t. III, c. xv. « La souveraineté n’étant que l’expression de la volonté générale ne peut jamais s’aliéner… » L. II, c. i. « À l’instant que le gouvernement usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu, et tous les simples citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés, mais non obligés d’obéir… » L. III, c. x. D’où il conclut que le peuple peut « limiter, modifier et reprendre le pouvoir quand il lui plaît, l’aliénation d’un tel droit naturel étant incompatible avec la nature du corps social et contraire au but de l’association ». L. III, c. i. D’après ces principes, le tyran sera celui qui n’accédera pas au pouvoir comme commissaire du peuple, ou qui, une fois revêtu de la souveraineté, résisterait à la volonté populaire.

b) La doctrine catholique. —

Il est nécessaire de la considérer à un double stade de son évolution : chez les anciens scolastiques et chez les auteurs contemporains.

a. Chez les scolastiques. —

Pour comprendre leurs théories sur la légitimité du pouvoir, il faut se rappeler que les premiers linéaments s’élaborèrent au xie siècle, à l’époque de la lutte du sacerdoce et de l’empire. La doctrine se développa au xiii « , mais surtout au xive siècle, en réaction contre les théories absolutistes des légistes du temps. Enfin elle fut mise au point à la fin du xvi 6 siècle, principalement par Suarez et Bellarmin, à l’occasion de leur controverse avec Jacques I er d’Angleterre.

En accord avec l’antique tradition romaine qui