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    1. TYRANNIE ET LÉGITIMITÉ##


TYRANNIE ET LÉGITIMITÉ. ORIGINE DU POUVOIR

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aux contours souvent incertains, apparaîtra plus nettement tracé.

Le pouvoir légitime peut être considéré dans son point de départ ou acquisition originelle, aux fins d’en établir le bien-fondé ; dans son exercice, pour en tracer les limites ; enfin dans sa perte ou cessation, pour déterminer les conditions de celle-ci.

1. L’origine du pouvoir.

Il ne s’agit pas ici d’étudier comment les premières autorités se sont constituées dans les sociétés : c’est là une question historique que nous n’avons pas à traiter. Ce qui nous intéresse ici, c’est une question de doctrine : en quoi et par quoi la légitimité du pouvoir dépend-elle de ses origines. Sur ce point une foule de théories se sont fait jour ; nous résumerons les principales, pour exposer ensuite la doctrine de l’Église à ce sujet.

a) Les systèmes.

a. — Dans l’antiquité gréco-latine, on ne se posa guère de questions sur les conditions que devait réaliser à ses origines un pouvoir légitime. On avait cependant l’idée que, par de la la loi positive, il existait une norme supérieure fondée sur la nature, qui voulait que tout gouvernement pourvût au bien commun des citoyens. Celui qui agissait à rencontre de ce droit était réputé tyran et méritait d’être renversé. Ajoutons que, chez les Romains, le pouvoir du gouvernant, fût-il l’empereur, n’était pas un pouvoir personnel ; le prince restait le mandataire du peuple, au nom duquel il commandait. Le vrai souverain, c’était l’État, la République, « le sénat et le peuple romain ». Cf. Jacques Leclercq, Leçons de droit naturel, t. ii, l’État, Namur, 1934, p. 140.

A la fin de la période impériale, sous l’influence d’idées venues de l’Orient, l’empereur cesse peu à peu de paraître l’élu du peuple, il devient le représentant des dieux, l’autocrator, le despotes, en attendant qu’il devienne dans l’empire byzantin, à partir du vir 3 siècle, le basileus, l’empereur par excellence, le successeur et l’émule du Grand-Roi (de Perse), désormais vaincu, et dont il s’empresse d’adopter le pompeux cérémonial. Cf. Diehl, Byzance, Paris, 1919, p. 26. Cette conception de l’autorité une fois admise en doctrine et passée dans les faits, il n’y a plus de place pour la tyrannie d’usurpation. Tout souverain qui accède au trône, de quelque manière que ce soit, reçoit en quelque sorte une investiture divine ; la nation s’incline et accepte. La chose est particulièrement sensible dans la période du Bas-Empire byzantin. Sur les 107 souverains qui se succédèrent de la mort de Théodose (395) à 1453, plus de la moitié abdiquèrent ou périrent de mort violente à la suite de révolutions de caserne ou de palais. Cf. Ch. Diehl, Études byzantines, Paris, 1905 p. 112. La légitimité de l’accession de leurs successeurs ne fut pas mise en cause ; si à leur tour ils furent renversés, ce fut pour d’autres motifs.

b. — La théorie du droit divin des rois s’apparente beaucoup à la doctrine précédente, encore qu’elle procède d’une source différente. Historiquement parlant, il apparaît que cette conception de l’autorité, dont se soucièrent fort peu les Mérovingiens ou les Carolingiens, prit corps dans la pensée occidentale vers le XIe siècle, alors que s’organisait l’ordre féodal. Dès 1076, Henri PV d’Allemagne y faisait appel au cours de sa lutte contre la papauté. Ce système qui favorisait le despotisme, fut adopté par les écrivains royalistes ou Impérialistes du XIVe siècle, au service de Philippe le Bel ou de Louis de Bavière, spécialement Pierre Flotte et Guillaume d’Occam. Ce dernier en avait donné une première formule : « L’empereur ne tient point de l’homme le pouvoir suprême laïque ; donc il le tient de Dieu seul. » Cf. Hitier, La doctrine de l’absolutisme, Paris. 1903, p. 28-33. Ce n’était là peut-être qu’un argument de circonstance contre les pontifes romains, plutôt qu’une doctrine bien assise. Le dernier pas fut fait au xvie siècle, à l’époque des guerres de religion. Les princes réformés s’en firent une arme pour consolider leur absolutisme à rencontre des droits de la nation. Jacques Ier d’Angleterre s’en prit à Bellarmin, qui avait osé soutenir que le « droit du roi est d’institution humaine » ; dans sa Préface monitoire, le roi rétorque que « le principat civil vient immédiatement de Dieu ». Hitier, op. cit., p. 37. Le synode des Églises réformées de France tenu à Vitré en 1617 s’adressait à Louis XIII en ces termes : « Notre religion… nous enseigne qu’il faut s’assujettir aux puissances supérieures, et que leur résister, c’est s’opposer à l’ordonnance de Dieu, lequel nous savons vous avoir élevé et assis sur votre trône, vous avoir mis la couronne sur la tête, le sceptre en la main. » Cf. Féret, Le pouvoir civil devant l’enseignement catholique, Paris, 1888, p. 342 sq. Ainsi, pour les partisans de cette théorie, le pouvoir n’est pas seulement divin par son origine et sa raison d’être in abstraclo, il l’est encore dans le concret, en tant que possédé par l’homme même qui en est investi. Selon le mot de de Vareilles-Sommière, « ce n’est pas seulement la souveraineté qui vient de Dieu, c’est aussi le souverain ». Les principes fondamentaux du droit, Paris, 1889, p. 398.

La constitution des monarchies absolues au xviie siècle fit de la théorie du droit divin des rois la doctrine officielle de la plupart des pays de l’Europe. En France, elle eut son apogée sous Loufs XIV : les évêques, la cour, les parlements professent couramment que les rois tiennent leur couronne immédiatement de Dieu. La Déclaration de 1682 (directement issue du livre de Pierre de Marca, De concordantia sacerdotii et imperii, publié en 1641) donna une sorte de consécration officielle à cette doctrine qui triompha chez nous jusqu’à la Révolution. Bien que généralement déchue au xixe siècle, elle s’est maintenue dans certains pays monarchiques et surtout chez les partisans de la monarchie.

Mais elle fut renouvelée, si l’on peut ainsi parler, sous la forme plus achevée du droit divin providentiel, par deux philosophes du début du siècle dernier : Joseph de Maistre et de Bonald. Selon eux, c’est la Providence qui dirige les événements et dispose les circonstances pour donner à tel peuple telle ou telle forme de gouvernement qui lui convient, monarchique ou républicaine : Quand on dit qu’un peuple s’est donné un gouvernement, écrit J. de Maistre, c’est comme si on disait qu’il s’est donné un caractère ou une couleur. Tous les peuples ont le gouvernement qui leur convient et nul n’a choisi le sien. » Étude sur la souveraineté., t. I, c. vu.

Il est aisé de comprendre que les principes de la théorie du droit divin des rois n’admettent même pas l’hypothèse de l’abus de pouvoir ou de la tyrannie. Les gouvernants jouissent d’une inviolabilité et même d’une impeccabilité quasi charismatique ; ou plutôt, quelle que soit la façon de gouverner du prince, les sujets ne sauraient légitimement ni le juger, ni lui résister, encore moins le détrôner. De plus, son droit au pouvoir persiste indéfiniment : aucun usurpateur ne saurait acquérir la légitimité, même avec le consentement du peuple ; même après des années ou des lustres il mérite le titre de tyran. C’est nu nom de ce principe que les légitimistes français revendiquaient au xixe siècle le trône de France contre la dynastie d’Orléans en faveur de la branche aînée. Cf. t. I.eclercq, Leçons de droit nnlurrl, t. ii, Y État, p. 146.

c. Théories de la forer. —

Nous laissons de côté tes affirmations des pragmatistes ou des sceptiques de tous les temps, qui ne voient d’autre fondement du pouvoir qyo la violence qui l’Impose : « le premier