Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1571
1572
TRINITÉ. LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE

qu’il se rattachera ni même aux rabbins palestiniens, mais aux livres de l’Ancien Testament, et spécialement aux prophètes dont il réalisera les promesses. De là le caractère étrangement vivant de sa doctrine. Avec lui, c’est vraiment le Dieu vivant que nous allons retrouver.


II. La révélation chrétienne.

1. l’enseignement de Jésus d’après les évangiles synoptiques.

En toute hypothèse, les Évangiles synoptiques sont les premiers livres du Nouveau Testament que nous devions interroger. Ils ne sont pas les plus anciens, puisque les épîtres de saint Paul et sans doute aussi les épîtres catholiques ont été rédigées avant eux. Mais ils sont certainement ceux qui nous font le mieux connaître l’enseignement habituel de Jésus. L’Évangile de saint Jean, tout le monde le sait et nous aurons à le redire, est un livre à part : certes, nous n’y trouverons rien que Jésus n’ait enseigné lui-même à ses apôtres ; mais nous y trouverons sa doctrine longuement méditée et amoureusement vécue par un disciple de choix, donc exprimée avec une plénitude que ne pouvaient pas posséder de la même manière les premiers évangélistes. Nul ne sera étonné de nous voir reporter l’étude de la théologie johannique après celle même des épîtres, de manière à respecter ici l’ordre chronologique. Avant d’être écrits, les Synoptiques ont été prêches ; ils ont fourni le thème des plus anciennes catéchèses ; ils traduisent de la manière la plus exacte ce qui a d’abord été connu et compris du Christ et de sa doctrine.

A peine est-il besoin de rappeler, au début de cette enquête, le caractère concret de l’enseignement du Sauveur. Ce n’est pas un théologien ou un philosophe qui s’exprime par sa bouche ; c’est l’ami des petits et des pauvres, qui emploie leur langage et ne désire rien tant que de les entraîner à sa suite. Aussi les Évangiles synoptiques ne donnent-ils pas une théorie du mystère de la Trinité ; il faut même attendre jusqu’à la dernière page et presque jusqu’à la dernière ligne de l’Évangile selon saint Matthieu, pour trouver la formule décisive qui nomme les trois personnes divines, de manière à mettre en relief l’unité de leur action et l’identité de leurs attributions : « Allez, dira le Sauveur à ses disciples, avant de remonter vers son Père ; enseignez toutes les nations ; baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » Matth., xxviii, 19. Jusque-là, le Sauveur procédera plutôt par voie d’allusions ; il parlera de son Père qui est dans les cieux ; il fera comprendre que lui-même est d’une manière absolument unique le Fils du Père céleste ; il rappellera la sainteté de l’Esprit et mettra en relief la gravité du blasphème contre lui. Peu à peu, ses auditeurs apprendront à rapprocher les unes des autres toutes ces leçons et, sans que le moindre doute ait jamais pu effleurer leurs âmes au sujet de l’unité divine, ils se rendront compte que le Dieu unique dans son essence réalise dans sa vie intime une ineffable Trinité de personnes : quel éblouissement que cette découverte !

1° Dieu le Père.

Le message de Jésus est essentiellement la bonne nouvelle du royaume de Dieu. Mais Dieu est bien plutôt annoncé par lui comme un père que comme un souverain puissant et redoutable. Le souverain apparaît certes dans quelques paraboles : on peut dire que, par rapport à l’ensemble de l’Évangile, son rôle est insignifiant. Partout, le Père céleste est mis au premier pian. H suffit de lire le discours sur la montagne pour s’en rendre compte : « Ne vous inquiétez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de ce dont vous vous vêtirez. Est-ce que la vie n’est pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel ; ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit : est-ce que vous ne valez pas plus qu’eux ?…Ne vous tourmentez donc pas en disant : Que mangerons-nous ? Que boirons-nous ? De quoi nous vêtirons-nous ? De tout cela les païens s’inquiètent. Mais votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. « Matth., vi, 25-32.

Dieu est le père des hommes : il les aime avec tendresse ; si les hommes qui sont mauvais savent donner de bonnes choses à leurs amis, combien plus le Père qui est bon traitera-t-il ses enfants avec générosité ! Il les récompense pour le bien qu’ils auront fait : même un verre d’eau donné en son nom ne reste pas sans être récompense ; et ceux qui ont jeûné, prié, fait l’aumône sans ostentation ni orgueil, mais au contraire de façon à ne pas être vus des hommes, seront magnifiquement rémunérés par le Père céleste qui voit dans le secret. Il pardonne leurs péchés, et la parabole de l’enfant prodigue est la plus splendide expression, la plus touchante aussi qu’il soit possible de trouver, de la miséricorde divine.

Il y a cependant autre chose et qui doit nous retenir davantage. Dieu n’est pas seulement le père de tous les hommes. Il est d’une manière spéciale et absolument unique le Père de Jésus. Celui-ci le déclare dès son enfance : lorsque la Vierge Marie et saint Joseph le retrouvent au temple de Jérusalem au milieu des docteurs, la seule réponse qu’il fasse à leurs questions angoissées est celle-ci : « Pourquoi me cherchiez-vous ? ne saviez-vous pas que je devais être aux affaires (ou dans la maison) de mon Père ? » Luc, II, 49. Plus tard, au cours de son ministère public, il ne perd aucune occasion de mettre en relief le caractère exclusif de ses rapports avec son Père : « Quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère. » Matth., xii, 50. « Je dispose en votre faveur du royaume, comme mon Père en a disposé en ma faveur. » Luc, xxii, 29. « Voici que je fais descendre sur vous le promis de mon Père. » Luc, xxiv, 49. « Quant à être assis à ma droite et à ma gauche, ce n’est pas à moi de vous le donner, ces places seront à ceux à qui mon Père les a réservées. » Matth., xx, 23. « Venez les bénis de mon Père ; possédez le royaume qui vous a été préparé depuis le commencement du monde. » Matth., xxv, 34. Aussi bien, les hommes n’ont-ils pas le droit de parler ainsi : lorsqu’ils prient, ils disent Notre Père, car Dieu est leur père commun ; mais aucun d’eux ne peut, comme Jésus, dire : mon Père ; et le Sauveur lui-même fait nettement la distinction dans une parole rapportée par l’évangile de saint Jean : « Voici que je monte vers mon Dieu et votre Dieu, vers mon Père et votre Père. » Joa., xx, 17. D’un côté, tous les hommes y compris les apôtres ; de l’autre, Jésus seul, en présence de son Dieu qui est aussi son Père.

2° Le Fils.

Il y a là un mystère que nous devons chercher à éclaircir. Ce mystère est celui de Jésus-Christ, Fils de Dieu, ainsi que s’exprime, dès son premier verset, l’évangile de saint Marc. Quelques critiques ont prétendu, il est vrai, que le titre de Fils de Dieu ne signifiait rien de plus que celui de Messie. Nous avons déjà fait justice de cette affirmation qui ne repose sur aucun fondement, car, à l’époque du Sauveur, bien rare était l’expression Fils de Dieu, si même elle était employée. Si l’on donne ce titre à Jésus, c’est qu’il le mérite en un sens absolument unique.

Lui-même cependant ne le revendique pas lorsqu’il parle de lui. Il emploie une expression plus humble, bien que tout aussi mystérieuse : il s’appelle le « Fils de l’homme ». Des trésors d’érudition ont été dépensés pour retrouver l’origine de la formule et son sens exact : il n’est pas sûr que ces recherches aient été