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TYPE. ÉLABORATION DES DONNÉES BIBLIQUES

investi d’une dignité supérieure à celle du sacerdoce institué par Moïse. On notera d’ailleurs qu’il n’est point fait usage, dans la démonstration, de la nature des offrandes — le pain et le vin — présentées à Dieu par le roi de Salem. La seule chose qui soit mise en lumière, c’est la supériorité de Melchisédec sur Abraham et dès lors sur Lévi, son descendant, et sur tout le sacerdoce lévitique. Prêtre selon l’ordre de Melchisédec, comme dit l’oracle davidique, le Christ est donc honoré d’un sacerdoce supérieur à celui des fils de Lévi. Heb., iv, 14-vii, 19. Mais ce thème se transforme peu à peu en un autre assez différent. Ayant proclamé Jésus grand-prêtre, l’auteur est amené à méditer sur l’acte essentiel du sacerdoce, le sacrifice, sur la médiation que le sacrifice réalise entre Dieu et l’humanité. Pour mettre en bonne lumière ces deux points de vue, il étudie ces deux actes dans le rituel que ses lecteurs connaissaient, le rituel lévitique. Le cérémonial de l’Ancienne Loi, il le présente donc comme le prototype de l’acte sacrificiel offert par le Christ, c’est à savoir l’immolation de Jésus sur la croix, suivie par son entrée au sanctuaire céleste, où le prêtre éternel se constitue pour jamais médiateur entre Dieu et les hommes. Heb., viii, 1-x, 18. Menée avec beaucoup d’art et d’esprit de suite, la démonstration était bien de nature à faire impression sur des lecteurs fort au courant du rituel lévitique. Peut-être nous frappe-t-elle moins nous-mêmes. Mais il reste que la considération du cérémonial aaronique a inspiré à l’auteur quelques magnifiques développements sur le sacerdoce en général et sur le sacerdoce du Christ en particulier. Nulle part dans le Nouveau Testament l’exploitation du thème fourni par la méditation d’un « type » ne s’est faite plus heureusement et de manière plus systématique. Une institution fort complexe de l’Ancienne Loi devient ainsi le point de départ de considérations fort élevées sur un des faits les plus importants de l’histoire du salut.

D’ordre plus terre-à-terre sont les applications que fait à notre vie morale la Ire aux Corinthiens des aventures du peuple israélite au désert. I Cor., x, 1-12. Les malheurs subis par les incrédules et les rebelles sont pour nous une bonne « leçon » : « Ces choses ont été des figures de ce qui nous concerne, afin que nous n’ayons pas de concupiscences coupables comme ils en ont eu ». Ibid., 7. C’est beaucoup dire que de voir dans les châtiments réservés aux Hébreux des « types » au sens propre du mot.

En définitive, soucieux de ne pas couper la communication entre l’ancienne et la nouvelle économie de salut, le Nouveau Testament voit dans un certain nombre de faits et d’institutions du passé des moyens préordonnés par Dieu pour mettre en bonne lumière des faits et des institutions de la nouvelle histoire du salut.

II. Systématisation des données scripturaires et traditionnelles.

Élargissement par la Tradition de l’interprétation typologique.

La persuasion de la mutuelle dépendance des deux parties de l’Écriture était trop ancrée chez les premiers prédicateurs et les premiers écrivains chrétiens, pour qu’ils aient hésité à faire leurs et même à développer les vues du Nouveau Testament sur les « types » qui se découvraient dans l’Ancien. Aussi bien les besoins mêmes de la prédication et de l’enseignement leur en faisaient-ils une nécessité. Avant que se constituât le canon même du Nouveau Testament, dans les primitives communautés chrétiennes formées à partir des juiveries où a d’abord été annoncée la bonne nouvelle, ce sont les livres sacrés d’Israël qui servent à inculquer le nouvel enseignement. Bien que l’on soit mal renseigné sur l’ordre et la tenue générale de ces premières « synaxes », il est infiniment vraisemblable que, pour ce qui est tout au moins de leur première partie, elles se déroulaient sur un plan analogue à celui des réunions synagogales. En ces dernières la lecture et l’explication des Livres saints jouaient le plus grand rôle. Semblablement dans les assemblées chrétiennes et pendant quelque temps, l’Écriture de l’Ancien Testament demeurera le thème sur lequel se développera la prédication évangélique. C’est à partir de la péricope d’Isaïe sur les souffrances du « serviteur de Jahvé » que le diacre Philippe annonçait à l’eunuque éthiopien la mission rédemptrice de Jésus. Act., viii, 26-40. Ce thème et d’autres analogues ont dû être fréquemment exploités. Notre liturgie actuelle du samedi saint, qui a de profondes attaches dans la tradition, nous présente un raccourci des instructions préparatoires au baptême. Au moment même où ils vont être régénérés dans la fontaine baptismale, que lit-on aux candidats ? toute une série de passages de l’Ancien Testament, choisis de manière à récapituler l’enseignement reçu au cours des semaines de la préparation immédiate. Successivement défilent sous les yeux des « compétents » le tableau de la création, Gen., i, 1-31, ii, 1-2, mettant en évidence la grandeur créatrice de Dieu ; celui du déluge, Gen., v-viii, dont ils seront eux-mêmes sauvés par le baptême, cf. I Petr., tout de même aussi que les Hébreux traversèrent sans dommage la mer Rouge, Ex., xiv, 24-31 ; xv, 1. Le sacrifice d’Abraham. Gen., xxii, 1-19, si expressif du sacrifice de Jésus, lequel n’a pas plus été épargné par son père, qu’Isaac ne le fut par Abraham ; les grandes prophéties d’Isaïe et de Baruch annonçant la délivrance de la captivité et les splendeurs du nouvel Israël, Is., liv, 17 ; lv, 1-11 ; Bar., iii, 9-38 ; le sacrifice de l’agneau pascal, Ex., xii, 1-11, où saint Jean avait déjà vu une annonce de la passion du Sauveur ; l’histoire de Jonas, iii, 1-10, à laquelle Jésus lui-même avait fait allusion ; la grande allégorie des ossements desséchés qui reprennent vie à la voix d’Ézéchiel, Ez., xxxvii, 1-14 ; l’héroïque résistance à l’idolâtrie des jeunes Israélites de Babylone, Dan., iii, 1-24, bien propre à susciter des candidats au martyre.

Il suffit d’avoir présents à la pensée ces magnifiques textes scripturaires, pour imaginer la façon dont a pu se dérouler, à partir de l’Ancien Testament, la prédication chrétienne. Quand, peu à peu s’ajoutèrent aux livres de l’Ancienne Loi, les écrits racontant l’économie nouvelle, qui furent bientôt mis sur le même pied que les autres, on ne laissa pas de recourir aux anciennes méthodes d’exposition. L’Ancien Testament continua de jouer un rôle des plus considérables dans la formation religieuse, intellectuelle et morale des croyants. Et cela impliquait le recours à une exégèse qui ne se contentât point d’une simple exposition littérale, mais qui cherchât à dégager du texte les exemples, les leçons, les « types », propres à affermir la foi des auditeurs et à former leur conscience morale.

Les tentatives faites par la Gnose et surtout par le marcionisme pour dissocier complètement les deux économies de salut, loin d’ébranler les habitudes prises ne firent que rendre plus intime le sens de la solidarité entre les deux Testaments. Toutes les réfutations du gnosticisme et du marcionisme, de Justin à Tertullien en passant par Irénée, supposent que l’histoire sainte ne raconte pas seulement les faits et gestes d’Israël, mais qu’en une certaine manière elle esquisse par avance les traits majeurs de la nouvelle économie. La polémique avec les Juifs devait contribuer à des résultats analogues. Que l’on relise le Dialogue de Justin avec Tryphon, on verra que le philosophe-martyr, désireux d’établir la transcendance du christianisme, fait état non seulement des prophéties explicites, annonçant la substitution à la religion Israélite d’un culte plus universel, mais encore des indications que