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    1. TROIS CHAPITRES##


TROIS CHAPITRES. CONCLUSIONS

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quoi qu’il en soit des accusations à quoi elle a servi de point de départ, ne démontre pas l’hétérodoxie de son auteur. L’assemblée de 553, elle, a porté son attention non sur Ibas, mais sur le document dont on était parti pour l’incriminer. Elle en est arrivée même, sentant bien la délicatesse de la question, à contester que la lettre à Maris fût d’Ibas. Cette diversion la mit tout à fait à l’aise et lui permit d’être fort sévère à l’endroit du texte à examiner. Sa sentence, loin de s’inspirer d’une exégèse strictement historique du texte, fut toute dictée par une théologie où Chalcédoine ne se serait pas reconnu. On ne saurait dire néanmoins qu’il y ait contradiction, au sens plein du mot, entre les deux conciles, n’y ayant pas, comme disent les logiciens, affirmatio et negatio ejusdem de eodem sub eodem respectu.

La doctrine de Théodoret a été, au Ve concile, beaucoup moins étudiée ; à son sujet on est resté dans le vague, se contentant de lire de brefs extraits d’ouvrages et de lettres qui témoignaient de l’attachement de leur auteur à la personne de Nestorius, de son aversion à l’endroit de Cyrille et de sa doctrine. Si on laisse de côté les questions personnelles, il faut reconnaître, pensons-nous, que les doctrines exprimées par l’évêque de Cyr étaient correctes dans l’ensemble, du point de vue de l’Acte d’union. Chalcédoine qui voulait la paix, qui, dans le fond, représentait une certaine réaction contre Cyrille, a évité d’épiloguer sur les ouvrages ou les pièces en question ; il a simplement exigé de Théodoret un anathème formel contre Nestorius et est passé à l’ordre du jour. On comprend assez que le concile de 553 ait été beaucoup plus sévère contre des manifestations littéraires qui, dans l’état auquel était arrivée la théologie byzantine, ne laissaient pas d’être inquiétantes. De ce chef donc on ne saurait parler non plus d’antagonisme entre les deux assemblées.

b) Au point de vue des questions de personne. — Théodoret et Ibas sont hors de cause. Chalcédoine les avait renvoyés absous. Ainsi firent aussi tant le Ve concile, que le pape Vigile première et seconde manière. Vivants, ils avaient été réadmis dans l’Église ; morts, ils n’en furent point exclus. Tout autrement en va-t-il de Théodore. Mort dans la paix de l’Église, il avait été à coup sûr considéré comme tel par le concile de Chalcédoine, qui se serait certainement insurgé contre toute tentative de porter atteinte à sa mémoire. Sur cette dernière se sont acharnés au contraire Justinien, le Ve concile et finalement le pape. Qu’entendaient-ils faire en l’inscrivant sur la liste des hérétiques catalogués ? Simplement attirer l’attention sur l’hétérodoxie de sa doctrine ? C’était chose faite par la condamnation de ses ouvrages et cette explication ne rendrait pas compte de la véhémence des polémiques sur la question de la licéité du jugement des morts ? Ce que l’on prétendait par cette damnatio mémorise, c’était trancher la question du sort éternel de l’évêque défunt, soit que l’on s’imaginât qu’atteignant le mort par de la le tombeau on le rangerait, au jour du jugement dernier, dans la catégorie des hérétiques, et donc des damnés, soit que l’on entendit exprimer sur son état présent une déclaration constituant, si l’on ose dire, une canonisation à rebours. L’un et l’autre point fie vue sont indéfendables. Le premier suppose une juridiction de l’Église sur l’au-delà, qui de tout temps a été rejetéc par une sage théologie. Le second implique une connaissance des réalités d’outre-tombe que jamais l’Église n’a revendiquée : elle canonise les saints, elle n’a jamais déclaré personne damné. Ainsi en suivant aveuglément Justinien, le V » concile — et Vigile à sa suite — est sorti de sa compétence et s’est prononcé en une matière qui lui échappait. La srnlenee est de ce chef frappée de nullité.

2. Antagonisme entre pape et concile.

Cette seconde question a plus ou moins échappé aux historiens de la théologie qui, au xviie siècle, se sont occupés de cette affaire. La découverte tardive par Baluze de la « rédaction longue » aurait dû transformer du tout au tout le problème ; elle n’a pas été suffisamment remarquée. Or, on se rappelle, voir col. 1906, que c’est exclusivement dans cette recension longue que sont insérées et la lettre de Justinien réclamant la radiation de Vigile des diptyques dans l’Église universelle, et la sentence du concile se ralliant à la décision impériale. Du fait qu’ils ont ignoré cet événement capital, les apologistes du Ve concile sont passés en dehors de la question. En fait, par leur séparation explicite d’avec le pape, les Pères du Ve concile ont frappé eux-mêmes de nullité toutes leurs décrions ultérieures, c’est à savoir le décret dogmatique de la séance du 2 juin, avec les anathématismes qui y sont annexés. Et ceci n’est pas seulement vrai de notre point de vue actuel ; tel qu’il s’élaborait à ce moment même, le droit oriental exigeait, pour qu’il y eût concile œcuménique valable, la participation des cinq patriarches, celle par conséquent du titulaire du premier siège. Le concile s’en est si bien rendu compte que, par une anticipation singulière sur l’avenir, il a inauguré la distinction entre la chaire apostolique, avec laquelle il n’entendait pas rompre et le titulaire de ce siège : inter sedem et sedentem. Mais ce n’était là rien de moins qu’une sentence de déposition contre Vigile, qui était désormais considéré, comme sans pouvoirs. Par quoi justifier ce coup d’État ecclésiastique ? Il est bien difficile de le dire. Tout au plus la démarche du basileus, suivi par le concile, pourrait-elle de leur point de vue trouver un semblant d’excuse dans ce fait que le soutien donné par Vigile aux doctrines « hérétiques » des Trois-Chapitres classait le pape au rang des hérétiques. Nous aurions ici une première esquisse de cette doctrine du « pape hérétique », destinée à une si curieuse fortune. L’idée en est exprimée assez clairement dans la lettre de Justinien au concile : His igitur ab eo (Vigilio) factis, alienum christianis judicavimus nomen ipsius sacris diptychis recitari, ne eo modo inveniamur Nestorii et Theodori impietali communicantes. Mais cette déposition ou, si l’on veut, cette, suspension du pape « hérétique » ne saurait donner force opérante à la définition conciliaire. D’autant que, sur plusieurs points d’importance, elle prend le contre-pied de l’acte pontifical du 14 mai 553. Ci-dessus, col. 1907. On ne saurait donc nier l’antagonisme entre le pape et le concile, sinon en matière de doctrine, du moins sur des décisions de faits qui touchent d’assez près aux dogmes.

On dira, à la vérité, que Vigile après coup s’est rallié aux sentences conciliaires et que le Judicatum de la IIe indiction a constitué pour les décisions conciliaires une véritable sanatio in radice. On dira aussi qu’à supposer même la nullité de ce Judicatum — nullité qui tiendrait au manque de liberté de son signataire — l’approbation ultérieure des successeurs légitimes de Vigile et finalement de l’Église tout entière couvre toutes les irrégularités antérieures. C’est dans ce sens, nous paraît-il, qu’il faut rechercher la solution. Mais cette solution on n’y parviendra qu’après avoir élucidé un dernier problème.

3. Antagonisme entre deux décisions pontificales.

De fait il existe un antagonisme certain entre le Constitutum du 14 mai 553, où Vigile engageait sa responsabilité et qu’il déclarait équivalemment irréforniablc, et le Judicatum du 23 février 554 où, pour se conformer aux décisions du enneile, le même pape réforme son premier jugement et casse, en terme* 1-xpiès. sa première sentence. À la vérité l’écart entre les deux documents ne porte pas sur les doctrine professées