Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/195

Cette page n’a pas encore été corrigée

1919

    1. TROIS-CHAPITRES##


TROIS-CHAPITRES. CONCLUSIONS

1920

ont-elles été des concessions au monophysisme, ont-elles favorisé un retour offensif de celui-ci ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par reconnaître que les sentences du concile de 553 ont définitivement dégagé le concile de Chalcédoine de toute compromission avec la doctrine antiochienne. Celle-ci, nous l’avons dit de reste (voir surtout l’art. Théodore deMopsueste, col. 255 sq.), avait des parties extrêmement solides, tout spécialement l’affirmation des deux natures concrètes, complètes et agissantes, dont l’ineffable union constitue la personnalité unique de l’Homme-Dieu. Elle avait surtout attiré l’attention sur les activités humaines qui se révélaient en celle-ci, sur l’intime parenté que créaient ces « énergies » entre l’âme du Christ et la nôtre. Elle avait été moins heureuse quand il s’était agi de mettre en lumière l’unité foncière du Christ. Et, puisque les adversaires de Chalcédoine prétendaient que le « concile maudit » s’inspirait trop directement de cette théologie d’Antioche, peut-être n’était-il pas tout à fait inutile de souligner, d’une manière très précise, le point où l’Église catholique s’arrêtait dans son approbation du système antiochien. A la vérité cette mise au point aurait gagné à se faire autrement que par la condamnation de textes isolés, arrachés à leurs tenants et aboutissants et dont beaucoup, restitués dans leur intégrité et remis à leur place, exprimaient en somme une pensée où l’Église aurait pu se reconnaître. Telles quelles néanmoins, les sentences du Ve concile — et c’est plus vrai encore des condamnations appuyées de considérants prononcées par Vigile dans le Constitution de mai 553 — ne laissaient pas d’avoir leur importance. À toute tentative possible de ressusciter le « nestorianisme », elles signifiaient un congé définitif.

Est-ce à dire que l’œuvre dogmatique du Ve concile soit absolument parfaite. Il faudrait, pour le prétendre, oublier ce qu’il y a de défectueux dans toute affaire humaine, oublier surtout les circonstances historiques dans lesquelles s’est déroulée celle-ci. Il ne saurait faire de doute que le concile — mais le concile seul, car Vigile n’a dans l’occurrence rien dit sur ce point — a canonisé la terminologie et jusqu’à un certain point la théologie de Léonce. Celle-ci est partie d’un postulat qui est loin d’être incontestable, à savoir qu’il n’y avait entre la doctrine chalcédonienne et celle de saint Cyrille aucune différence. Non sans habileté, le moine byzantin a donc essayé une synthèse des deux enseignements. Mais il n’a pu aboutir qu’à une superposition factice : les deux théologies ne pouvaient s’amalgamer. Finalement la synthèse de Léonce, si elle a constitué une terminologie satisfaisante et même, si l’on veut, une ontologie acceptable de l’incarnation, est loin de permettre une analyse réelle de l’être intime du Verbe incarné. En particulier la question des « opérations » de l’Homme-Dieu est restée complètement en dehors des perspectives du théologien byzantin ; on s’en apercevra cinquante ans plus tard au désarroi que va causer la controverse monénergiste. En s’en tenant sans plus à cette théologie, le Ve concile, tout au moins par son silence, témoignait d’un recul par rapport aux affirmations si claires du Tome de Léon. Celui-ci avait expressément affirmé la « dualité d’opérations » ; à Constantinople il n’en était plus question, on se scandalisait même des analyses de Théodore portant sur les opérations de l’âme humaine du Christ ; quelques-unes des déductions de celui-ci étaient repoussées avec décision par le pape Vigile. De certaines nuances fort exactes qu’avait exprimées Chalcédoine on ne tenait pas davantage compte. La théologie de VUnus de Trinitate emportait celles-ci dans ses affirmations un peu massives, oserait-on dire un peu paradoxales. Parlant du terme de Théotocos appliqué à Marie, Chalcédoine l’avait traduit : « Mère de Dieu, selon l’humanité ». L’expression paraît quasi suspecte au Ve concile ; elle disparaît de son formulaire.

C’est qu’au vrai le Ve concile, à la remorque de Léonce de Byzance, acceptait comme un bloc intangible toute la théologie et même toute la terminologie cyrillienne, y compris la Au cpûmç toG 0eoû Aôyou oeoapxiouivT). C’était l’aboutissement de toute une évolution où le monophysisme sévérien avait joué un grand rôle et qui avait fini par transformer Cyrille en docteur infaillible de l’incarnation. Attaquer l’évêque d’Alexandrie, même quand il s’agissait des parties les plus caduques de son œuvre, passait au vie siècle pour un véritable crime. Les sévérités du Ve concile contre Théodoret et Ibas n’ont pas d’autre explication. Ainsi les décisions du concile de 553 nous mettent-elles très loin de l’Acte d’union de 433 ; il serait, pensons-nous, bien hasardeux de prétendre qu’il y ait en cela un progrès dans l’étude du mystère de l’Homme-Dieu. En bref, la théologie n’avait rien gagné à faire intervenir, dans ses délibérations, les arguments apportés par la raison d’État.

Relativement aux questions ecclésiologiques.

Plus délicats encore sont les problèmes que pose l’affaire des Trois-Chapitres dans le domaine de l’ecclésiologie. Si autour d’elle les luttes ont pris, soit avant, soit après 553, l’âpreté que nous avons dite, c’est que l’on a senti, plus ou moins obscurément, qu’était posée la question de l’irréformabilité des décisions ecclésiastiques. N’est-il pas vrai qu’on y voit un antagonisme entre une sentence conciliaire et une autre, entre un concile et un pape, entre deux définitions données par un même pape ?

1. Antagonisme entre un concile et un autre.

C’est ce qu’ont vu surtout les contemporains et c’est pour défendre l’irréformabilité des décisions de Chalcédoine qu’ont bataillé les défenseurs, surtout occidentaux, des Trois-Chapitres. Dès l’abord ils ont eu l’impression que le basileus, le Ve concile et finalement Vigile dernière manière avaient, par leurs sentences, ébranlé l’autorité du concile de 451.

Pour résoudre la difficulté très réelle que ce problème soulève, il faut faire les remarques suivantes :

a) Au point de vue strictement dogmatique, il n’y a pas de différence, nous l’avons dit ci-dessus, entre l’enseignement de Chalcédoine et celui du Ve concile. Et ceci est vrai non pas des seules affirmations dogmatiques générales, mais encore de l’appréciation des doctrines des trois personnages mis en question.

Il est bien certain d’abord que Chalcédoine n’a pas eu à se prononcer sur la doctrine de Théodore de Mopsueste ; l’on ne peut vraiment pas prendre pour une approbation de ce personnage le fait que l’assemblée a entendu sans protester les louanges que lui décernait la lettre à Maris. Le Ve concile, lui, après une enquête sérieuse, sinon totalement impartiale, a retenu de Théodore nombre de propositions qui, prises prout sonant, ne sont pas, à coup sûr, d’une impeccable orthodoxie. Aucun antagonisme de ce chef entre les deux assemblées. Soumises à une discussion par Chalcédoine ces propositions auraient peut-être été expliquées ; telles quelles elles n’auraient pu rallier l’adhésion des Pères.

Pour ce qui est d’Ibas, la question de doctrine entre moins en jeu. Il est difficile de prétendre que la lettre à Maris constitue un manifeste théologique ; elle contient surtout des appréciations personnelles, d’ailleurs non dénuées de fondement, sur des affaires où la doctrine est mêlée, ce qui est bien différent. Le concile de Chalcédoine ne s’est pas exprimé directement sur l’orthodoxie de la lettre ; c’est sur l’auteur, non sur la lettre, qu’il a prononcé une sentence ; et cette sentence revient à ceci : À tout prendre la lettre,